Chapitre 8


Après un rapide passage par ma chambre et une toilette sommaire, j'optai pour une tenue civile ordinaire composée d'un sweet kaki et d'un jean. La saison était idéale pour justifier le port de vêtements amples qui masqueraient les armes dissimulées en dessous. J'accrochai donc mon revolver à la sangle prévue à cet effet autour de mon ventre et bardai mon abdomen de chargeurs avant de placer un long poignard dans ma bottine.

La couverture choisie était un voyage scolaire dans un bus qui contiendrait de jeunes élèves et leurs accompagnateurs. C'est fou comme le sort est ironique, parfois, non ? Quoi qu'il en soit, je trouvais la décision de transporter les nouveaux GEN si tôt après leur capture à la limite de la stupidité. De simples contrôles routiers n'étaient pas censés conduire à des fouilles approfondies des occupants du car et de leurs bagages, mais après la disparition soudaine d'autant de personnes dans un même pays ou dans ses environs, nous risquions d'attirer des soupçons. Je faisais confiance à nos informaticiens pour créer en vitesse des papiers pour chacun, mais je ne comprenais pas l'empressement de Marx.

J'atteignis la cour de l'Institut en dernier et y découvris un bus bleu quelconque. Les recrues y étaient déjà installées, immobiles, les yeux fixant le vide devant elle. Cette vision me fit froid dans le dos. 

- On dirait des zombies, pas vrai ? commenta un jeune homme blond qui descendait du véhicule. De quoi donner la chair de poule.

Je le dévisageai un instant sans le reconnaître et il eut la bonne idée de se présenter.

- Je m'appelle Caleb Maze. Je fais partie des recrues de l'année dernière.

- Je vois, dis-je poliment. Est-ce que tu as un mentor ?

- Oui, l'agent Hubbel. Vous vous connaissez, non ? La situation est un peu compliquée pour elle en ce moment, mais c'est un bon professeur.

Ça, oui, je la connaissais, et dire que les choses étaient compliquées pour elle était un euphémisme. J'esquissai une moue en songeant aux déboires subis par Anne-Lucie Hubbel depuis l'affaire Reilly. La responsabilité de l'incendie de la résidence du sénateur, ainsi que la mort de l'un des membres de mon équipe d'intervention lui avait été attribué par Tari dès notre retour, et la compagne de Rick s'était vue démettre de son statut d'adjointe à la sécurité. Après cela, Marx avait aussi décidé qu'elle ne méritait plus le titre d'Elite et la GEN s'était retrouvée tout en bas de l'échelle. Il circulait de nombreuses rumeurs selon lesquelles sa déchéance était l'œuvre de jaloux qui s'étaient ligués contre elle, et j'étais bien d'accord avec cela. Le seul élément positif dans toute cette histoire était certainement que Rick et elle était toujours ensemble, et que l'exécrable GEN l'avait défendue bec et ongles contre certains de ses détracteurs. On racontait aussi qu'il l'avait demandée en mariage, mais je trouvais que cette partie était un peu trop idyllique pour être vraie.

Je vis le reste de l'équipe sortir du bus et étudiai rapidement le groupe avec lequel j'allais devoir composer. Allan, bien sûr, le commandant Tari, Caleb et son mentor, l'agent Hubbel, et deux autres agents que je ne connaissais que vaguement. Le premier, Ravier, était l'instructeur du groupe de recrues dont avait fait partie Caleb, et l'autre, une femme, se nommait Helena Landit et avait été transformée la même année qu'Allan.

- En retard, Deveille, grinça Tari.

- Désolée, monsieur.

J'adressai au GEN un sourire angélique qui sonnait très faux et jurai avoir vu Allan rire sous cape. Je repris mon sérieux pour écouter les ordres du commandant.

- Recrue Maze, fit-il à l'intention de Caleb, du fait de votre jeune âge, vous vous mêlerez aux recrues dans le rôle des élèves en voyage scolaire. C'est aussi valable pour vous, recrue Deveille.

- C'est agent Deveille, l'informai-je tranquillement.

Tari haussa les sourcils, incrédule. Puis son regard tomba sur la plaque d'identification pendant à mon cou et il comprit que je ne plaisantais pas.

- Voilà une décision plutôt précipitée, commença-t-il, et...

- ... et qu'il ne vous appartient pas de critiquer car elle a été prise par notre bien-aimé directeur, commandant, achevai-je sèchement. A moins que vous n'ayez du temps à perdre en récriminations, bien sûr, auquel cas je pense qu'il sera enchanté de vous recevoir.

Mon affront ne fit pas réagir grand monde – les GEN étaient entraînés à en laisser deviner le moins possible sur leurs émotions – mais Tari plissa les lèvres. Ma nouvelle condition d'agent ne lui plaisait pas, ce qui ne m'étonnait guère. En tant que recrue, j'avais par deux fois contredit ses ordres et incité les autres agents à changer de plan. Il connaissait ma capacité à convaincre par mes seules paroles, mais considérait qu'une simple recrue ne représentait pas grand danger.

- Très bien, agent Deveille, jeta-t-il. Mais agent ou pas, vous restez sous mon commandement. Prenez-en bonne note.

Il aboya à tout le monde de grimper dans le véhicule et me tourna résolument le dos. Je montai à mon tout et marquai un temps d'arrêt avant de me trouver une place. Caleb avait raison, ces GEN contrôlés par puce électronique ne ressemblaient à rien d'autre qu'à des morts-vivants. Je ne souhaitais qu'une chose : que le trajet prenne fin aussi vite que possible pour ne plus avoir à contempler leurs visages pâles et inexpressifs. Je choisis finalement un siège tout au fond et bouclai ma ceinture.

***

Nous roulâmes deux interminables heures, et, alors que nous quittions l'autoroute, Allan se leva se sa place à l'avant du bus et vint me rejoindre. Il s'assit de l'autre côté de l'allée et se pencha dans ma direction.

- Tout va bien ? m'enquis-je.

- Nous avons des ordres, dit-il sur un ton énigmatique.

- Encore ? Cela faisait longtemps qu'on ne nous avait pas demandé de faire autre chose que la mission de base, ironisai-je, agacée.

Il arrivait en effet souvent que je reçoive des consignes parallèles à celles des autres, tout comme le fameux jour où j'avais dû dérober une certaine liste au sénateur Reilly. Marx se servait régulièrement d'un agent pour accomplir une tâche plus précise et top-secrète et il n'était pas facile pour cet heureux élu de ne pas se faire repérer par ses congénères.

- Alors, de quoi s'agit-il, cette fois ? soupirai-je.

Allan regarda autour de nous avec un drôle d'air, et je compris que l'étrange conduite des GEN-zombies ne lui plaisait pas plus qu'à moi.

- Espérons qu'ils ne puissent pas non plus nous entendre, ou au moins ne pas rapporter ce qu'ils auront surpris, grommela mon mentor en passant une main dans ses cheveux. Marx veut que nous tenions Tari à l'œil.

- Tari ? Il a des soupçons sur son précieux commandant ?

- Il ne m'en a pas dit beaucoup plus, mais j'ai cru comprendre que Tari est parti en Nouvelle-Guinée sur son ordre il y a environ deux mois, et que la mission ne s'est pas déroulée comme prévu. Non seulement Tari a puisé bien plus que nécessaire dans les fonds débloqués pour lui, mais un informateur humain de Marx l'a prévenu que la cible de notre cher commandant coulait des jours heureux à New-York au lieu de moisir dans sa tombe.

- Il ne l'a pas éliminée ?

Je réfléchis un instant, mais une seule conclusion me venait à l'esprit.

- C'est un traître, dis-je à voix basse. Il pourrait faire partie des...

Je ne terminai pas ma phrase, sachant qu'Allan m'avait parfaitement comprise.

Les Revenants. Voilà à quelle organisation pouvait appartenir Tari s'il avait trahi Marx.

- C'est ce que craint Marx, opina le GEN aux yeux de glace. Etant donné la position dangereuse qu'il occupe, notre directeur sait pertinemment qu'il sera toujours entouré de gens qui lui veulent du mal...

- Mais après la purge d'il y a un an, je pensais que nous serions à l'abri de ce genre de problèmes pour quelques temps.

La liste rapportée à Ulrich Marx contenait des noms de GEN traîtres à la communauté et un grand écrémage de nos rangs avait eu lieu. Je m'en sentais grandement responsable, et la soudaine disparition de Pit, un ami proche de Tribal, m'avait secouée. Certaines personnes inscrites sur la liste avaient été exécutées publiquement pour « l'exemple », tandis que d'autres ne rentraient pas de mission ou quittaient l'Institut sans laisser de traces... Toutes, évidemment, avaient été supprimées par ordre du directeur, et je ne pouvais cesser de me dire que si je n'avais pas donné cette ridicule petite feuille de papier, si j'avais prétendu ne pas l'avoir trouvée, rien ne serait arrivé. Toutefois, cela avait aussi été une façon de m'attirer la sympathie de Marx, et j'étais consciente qu'il n'aurait pas été dupe devant un échec.

- Sans vouloir t'offenser, je ne pense pas que Marx t'ait confié la responsabilité de lui obtenir le nom d'informateurs importants des Revenants. Tu n'étais qu'une recrue inexpérimentée, sans compter que je ne vois pas pourquoi Reilly se serait trouvé en possession de telles informations.

- Les Revenants lui ont donné la liste dans un but précis, mais ils n'auraient pas compromis leurs principales taupes, vous avez raison. La trahison de Tari est donc envisageable.

D'un même mouvement, nous nous tournâmes vers le commandant qui avait pris le volant du bus. Il regardait droit devant lui et ne faisait en aucun cas attention à nous. Lui, qui travaillait avec Marx depuis des années, pouvait-il l'avoir trompé jusqu'ici ? En la matière, j'étais plutôt mal placée pour critiquer, mais tout de même... Cela restait un exploit.

Allan me tapota le bras pour me faire revenir à la discussion.

- Au fait, dit-il avec un sourire en coin, je n'ai pas eu le temps de te féliciter pour ta promotion. Mon élève a pris son envol, à ce qu'il parait.

- Merci, je crois même que cela mérite un cadeau. Ou un resto, au minimum !

Mon mentor retint son hilarité pour ne pas attirer les regards des autres agents, puis son visage redevint grave. Il caressa nerveusement sa propre plaque, autour de son cou.

- Je te l'ai sûrement déjà assez répété, mais tu vas devoir être encore plus prudente, à présent. Plus rien ne fera barrage entre toi et de potentiels ennemis, Luna, puisque tu es agent à part entière.

- Je sais.

- Marx n'aurait pas risqué de te perdre en précipitant les choses lorsque tu étais en formation, insista-t-il. Il va donc t'utiliser au maximum de tes capacités, maintenant.

- Je sais, répétai-je, le cœur plombé par ses propos.

- Luna, dit-il avec douceur. Je... Que tu ne sois plus élève n'a pas d'importance, d'accord ? J'ai fait une promesse, tu le sais.

Il planta brièvement son regard polaire dans le mien, si chargé d'émotions que j'en eu la gorge nouée. L'attachement que je lui portais dépassait de loin les simples relations entre un maître et son élève, et il était de ceux qui comptaient le plus dans ma vie de GEN. S'il avait parfois des difficultés à exprimer ce qu'il ressentait, je savais ce qu'il pensait, au fond de lui, pour avoir appris à le décrypter au fil du temps.

- Je serais toujours là, chuchota encore Allan.

Il me serra contre son torse avant de me laisser seule.

Pendant quelques minutes, je ne songeai qu'à notre conversation, puis un détail capta mon attention. Je jetai un coup d'œil par le pare-brise arrière et attendis que Tari ne change de direction pour confirmer mes doutes. Une main posée sur mon arme à travers mon sweat, je gagnai la place du conducteur.

- On est suivis, annonçai-je. La Peugeot bleue, juste derrière nous.

- Tu en es sûre ? demanda Anne-Lucie Hubbel en se levant à son tour.

- Certaine. Elle était déjà sur l'autoroute et ne laisse jamais de voiture s'interposer entre elle et nous.

Tari plissa les yeux en examinant la voiture dans son rétroviseur, contrarié.

- Et merde.

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