Chapitre 6

Le lendemain matin, je m'éveillai avec une grosse boule au ventre ainsi qu'une petite voix sournoise me murmurant que la Chasse n'était qu'une broutille en comparaison de ce qui m'attendait ce jour-là. Je la fis taire mentalement et me dépêchai de m'habiller.

Pour ce troisième Jour de l'Arène de l'année, il n'était pas question d'être en retard.

Vêtue d'un pantacourt de jogging et d'une brassière de sport noire, je quittai le manoir sans prendre de petit déjeuner. Inutile de surcharger un estomac qui menaçait de se révulser alors qu'il était vide.

En chemin, mon portable vibra et je consultai un SMS de Geb. J'avais totalement oublié que je devais passer le voir avant le début des épreuves et préférai lui dire que je remettais ma visite à plus tard. Il me répondit sur le champ qu'il passerait la matinée avec Ismaël, ce qui m'arracha un sourire. Geb et moi étions sortis ensemble trois mois, et cela ne s'était pas avéré très concluant. Cela dit, depuis un certain temps, je songeais que je n'étais peut-être pas vraiment son genre... Ismaël était d'une patience folle avec la personnalité parfois étrange de Geb. Le GEN amnésique peinait parfois à adapter son comportement à celui d'un homme de son âge, même s'il n'avait plus rien du petit garçon perdu que j'avais rencontré par hasard, deux ans plus tôt.

Je pénétrai donc dans la salle de l'Arène en souriant stupidement mais retrouvai très vite mon sérieux.

Les gradins se remplissaient déjà à vue d'œil et les différents concurrents se massaient tout en bas de l'escalier. N'ayant pas trouvé Amanda, qui se battait toujours pour obtenir une place en Basse-Arène, je montai les marches d'un pas tranquille, dépassant les Moyennes-Arènes et me glissant sur mon ring.

- Alors, Luna, prête pour aujourd'hui ? me héla une voix familière.

Je me tournai vers Allan, nonchalamment accoudé aux cordes de mon arène. Il arborait un débardeur blanc qui soulignait son impressionnant bronzage et faisait ressortir ses yeux glacés.

- Comme d'habitude, dis-je avec un haussement d'épaules. Et vous, cette mission à la Réunion ?

- Achevée, commenta simplement mon mentor. Ce n'est déjà pas mal, si tu veux mon avis.

La foule avait terminé de s'installer et chacun prenait place. Les combats n'allaient pas tarder à débuter, ce qui poussa Allan à rejoindre les Très-Hautes-Arènes, juste au-dessus de moi. Auparavant, il me fit signe d'approcher et chuchota rapidement à mon oreille :

- Il faut que je te parle que ce sera terminé. C'est important.

- Pourquoi ne pas le faire maintenant ? soufflai-je.

- Toute à l'heure. Cela concerne les nouvelles recrues, mais je ne peux pas en dire plus.

Aussitôt, mon mentor s'éloigna et je restai seule avec mes questions.

La clochette sonna et le Jour de l'Arène fut lancé. Je m'assis patiemment sur le tapis et attendis. Les affrontements débutaient toujours tout en bas, mon tour ne viendrait que plus tard. J'eus le temps de voir Amanda échouer face à un colosse au crâne couturé de cicatrices, puis fermai les yeux, prenant mon mal en patience.

Deux heures plus tard, l'un des maîtres de Moyenne-Arène, mettait en déroute son dernier adversaire. Les battements de mon cœur se renforcèrent, accompagnés d'une coulée de sueur dans mon dos. La clochette se fit entendre, et le prétendant à mon titre, celui que j'allais devoir éliminer monta sur mon tapis.

- Samuel, se présenta-t-il, comme le voulait la règle.

- Luna, crachotai-je.

Depuis la dernière session durant laquelle il avait battu Harvey Matthews, nous savions tous deux qu'il nous faudrait nous confronter l'un à l'autre la fois suivante. Je m'estimai déjà heureuse de me trouver de l'autre côté de l'escalier par rapport à Allan, ce qui voulait dire que, le moment venu, je devrais vaincre Rick et non cogner sur mon mentor, mais je ne savais pas si je serais capable de faire du mal à Samuel.

En fait, si. Je savais que je pouvais tout à fait le faire, et c'était probablement cette idée qui m'effrayait le plus. J'inspirai un grand coup et fléchis les jambes, prête à attaquer la première.

Samuel ne se jeta pas en avant et patienta jusqu'à ce que je le fasse. Je bondis donc, aussi concentrée que je le pouvais dans de telles circonstances. Je le heurtai du poing à la tempe pendant qu'il se décalait sur le côté et me repoussait vivement.

Accroupie face à lui, je plongeai dans ses yeux sombres.

La difficulté, au-delà de notre relation amicale qui compliquait les choses, résidait dans le fait que nous nous connaissions pratiquement par cœur, presque aussi bien que je ne connaissais Allan. Je savais où se situaient ses points faibles, autant qu'il était sûr des miens. Et cette conscience que l'autre pouvait exploiter nos manques allait nous pousser à les combler au maximum.

Je replaçai ma tresse dans mon dos et me préparai à l'assaut.

***

- Monsieur le directeur ?

- Ah, Recrue Robilland. Asseyez-vous ma chère. Voulez-vous quelque chose à boire ?

- Non, merci.

Ulrich Marx adressa un grand sourire à la jeune GEN qui, de son côté, ne savait pas vraiment comme réagir à une telle situation. Victoire prit donc une chaise, tout en jetant de fréquents coups d'œil en bas, dans l'Arène où Luna et Samuel se battaient. L'un comme l'autre était baigné de sueur, mais nul ne prenait l'avantage.

- Intéressant, n'est-ce pas ? commenta le directeur, visiblement très décontracté. Elle est absolument formidable. Et l'agent Pidet est très prometteur, lui aussi.

Victoire enfonça ses ongles dans sa paume et tenta de cacher son énervement. Marx l'avait-il convoquée dans sa tribune personnelle pour lui vanter les mérites de Luna ? La jeune femme dû patienter pour avoir sa réponse, car le directeur s'était plongé dans la contemplation du combat. N'ayant pas d'autre choix, elle fit de même.

Samuel et Luna volaient l'un autour de l'autre, essuyant des attaques d'une force phénoménale et ne laissant jamais l'autre gagner du terrain. Victoire remarqua une plaie à la lèvre du jeune GEN, et du sang coulant du nez de son ancienne amie. Cette dernière cogna violemment Samuel sous le menton, empoignant sa nuque qu'elle rejeta en arrière avant de lancer son pied dans son abdomen. Puis, chacun s'écarta de l'autre pour reprendre ses positions.

Luna s'essuya le front et releva la tête vers la tribune du directeur. Marx était penché en avant et un petit sourire éclaira sa grosse face, comme s'il faisait passer un message à sa jeune recrue. Luna hocha imperceptiblement la tête et se reconcentra sur son adversaire.

Dès lors, sa technique d'attaque changea du tout au tout et Victoire se fit la réflexion qu'on lui passait un film en accéléré tant son amie d'enfance se mouvait avec fluidité et légèreté. Chaque geste atteignait sa cible avec une force titanesque et une précision chirurgicale. En dépit de son aversion pour ce qu'était devenue Luna, la GEN rousse se surprit à s'agripper au rebord de la tribune.

- Splendide, susurra Marx. Quel talent...

Sur le tapis de l'Arène, tout en bas, Samuel commença à montrer des signes de faiblesse, devenant moins vif à parer les coups de son amie. Celle-ci enchaîna plusieurs attaques qui le mirent à genoux, à sa merci. Malgré la distance, Victoire, fascinée, pouvait voir chaque trait de son visage, et l'expression douloureuse qui éclaira les yeux bruns de Luna au moment de porter le coup de grâce au GEN blond ne lui échappa pas.

Luna heurta la figure de Samuel du poing, lui défonça les côtes d'un coup de pieds puis se faufila dans son dos, enserrant sa gorge sans pitié. Lorsqu'elle rejeta son adversaire en avant, il s'affala sur le flanc, haletant et vaincu.

- C'est magnifique, vous ne trouvez pas, Victoire ? Vous m'autorisez à vous appeler par votre prénom, n'est-ce pas, ma chère ?

- Je..., bégaya la jeune femme. Bien sûr, monsieur.

Victoire frotta son bras pour en ôter la chair de poule qui le recouvrait. Elle se sentait glacée de l'intérieur face au déchaînement de Luna qui n'avait que peu hésité avant de mettre à terre l'une des personnes les plus proches d'elle. D'un autre côté, un goût amer envahissait sa bouche à l'idée qu'elle était incapable d'en faire autant.

- Excellent, dit avec satisfaction le directeur. Alors, Victoire, votre sentiment sur notre amie Luna Deveille ?

- Elle est... Elle est la meilleure, monsieur, finit par admettre la GEN. Elle l'est toujours.

- Précisément. C'est pour cela qu'elle nous est si précieuse, voyez-vous ? Ses capacités sont déjà hors du commun et ce n'est pas fini. Elle progressera encore et sera la pointe de la lance que notre communauté plantera dans le cœur des Hommes.

Victoire était sur des charbons ardents, incapable de deviner la raison de sa présence ici, et plutôt mécontente d'avoir à supporter l'admiration du directeur Marx envers celle qu'elle considérait comme une rivale.

- Mais voyez-vous, ma chère Victoire, ma position nécessite aussi d'être entouré de personnes de confiance, de personnes compétentes et loyales auxquelles je pourrais confier n'importe quelle tâche.

- Vous n'avez pas confiance en Luna ? releva Victoire, étonnée.

- Si, ma chère, bien sûr que si. Mais si la recrue Deveille réunissait toutes les qualités, alors l'Institut n'aurait même plus besoin de moi, non ? Tout GEN possède des avantages que les autres n'ont pas, et ils n'attendent que d'être exploités. Vous également, ma chère. Vous êtes une personne des plus qualifiées pour bon nombre de choses.

Marx prit un air paternel et tapota la main de la jeune recrue. Victoire, qui ne savait pas trop quoi penser des propos de l'homme, ne répondit rien.

- Voilà où je souhaitais en venir, Victoire. Il me faut une personne apte à réaliser une mission pour moi. Et vous me semblez toute indiquée pour cela.

- Moi ?

Victoire cligna des paupières. Marx tenait-il vraiment à ce qu'elle travaille pour lui ? Cela lui paraissait improbable, voire carrément suspect, mais elle tenait là une chance réelle de faire son trou à l'Institut. Son souffle se bloqua dans sa gorge.

- Qu'en dites-vous ? la relança Marx. Puis-je compter sur votre discrétion pour une mission aussi importante ? Naturellement, si je peux faire quelque chose pour vous en retour... Nous travaillons actuellement sur un projet novateur qui devrait vous intéresser.

- Oui, monsieur, vous pouvez, fit aussitôt la GEN.

Marx lui fit un léger clin d'œil et reporta son regard sur les combats qui se jouaient maintenant en Très-Haute Arène.

Il n'avait jamais douté qu'il obtiendrait ce qu'il désirait de Victoire Robilland. Après tout, il n'y avait pas de personne plus manipulable qu'une jeune fille rongée de jalousie...

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