Chapitre 45


« Incendie lors d'une fête d'anniversaire : le bilan s'alourdit »

Dans la nuit de samedi à dimanche, un incendie se déclarait dans l'une des maisons inoccupées du hameau frappé par la tragédie. Alertés par la lumière des flammes, les voisins faisant sortir leur chat ont immédiatement prévenus les secours, malheureusement arrivés trop tard pour sauver l'une des quarante-deux victimes recensées à ce jour.

La piste criminelle évoquée de prime abord semble écartée par la police qui s'est rendue sur place dès le lendemain pour procéder à un examen des lieux.

« Nous avons trouvé des restes de pétards, affirme le capitaine Singler, chargé des investigations et interrogé par notre journaliste. Nous pensons que les victimes que nous tentons d'identifier étaient invitées à une fête comme il s'en organisait régulièrement dans granges abandonnées du hameau, et que les choses ont mal tournés. Ce qui reste à déterminer, c'est pourquoi nul n'a appelé les secours plus tôt, mais ces jeunes ont peut-être eu peur des conséquences de leur intrusion »

L'enquête se poursuit donc avec l'espoir d'identifier le plus rapidement possible les victimes et de faire la lumière sur toute cette affaire qui choque et suscite de vives réactions de soutien aux proches des habitants du hameau, et des cérémonies d'hommage aux personnes décédées dans l'incendie. Voir suite page 6


Je reposai le journal sur la table basse à l'entrée d'Ulrich Marx qui me jeta un regard circonspect.

- Vous prenez vos aises, à ce que je vois, agent Deveille.

J'observai le directeur retirer son manteau et le suspendre soigneusement à la patère, puis lisser son costume qui semblait sortir du pressing et non d'un long trajet. Marx se sépara ensuite de la petite valise qu'il avait emmenée pour ses deux jours d'absence et se dirigea vers le petit guéridon qui faisant l'angle du fond, et sur lequel je distinguai une théière, des tasses, et une impressionnante quantité de boîtes à thé.

- N.I.A m'a déverrouillé l'accès, crus-je bon de spécifier. Elle a dû penser que me permettre de lire les nouvelles du jour dans votre bureau ne représentait pas un danger pour votre sécurité. Vous avez fait bon voyage ?

- Plutôt bon, oui. Et cela en a grandement valu la peine, sourit Marx d'un air énigmatique.

Il choisit une variété de thé, en emplit une boule à infuser puis brancha sa bouilloire. Avec une minutie presque risible, il prépara ensuite un plateau de bois vernis sur lequel il disposa deux tasses et un sucrier.

- J'ai appris ce qui s'était passé par le journal, dit-il tout à coup. J'espère toutefois que vous avez une meilleure explication à me servir que cette histoire ridicule de fête et de pétards.

- Les Revenants nous sont tombés dessus, monsieur, déclarai-je sans attendre. Ainsi que l'évadé Achille Germond. Cela ne justifie pas totalement le fiasco qu'a été cette opération, évidemment, mais disons que les choses ont été compliquées.

- Je ne vous blâme pas pour votre gestion de la situation, Luna. Vous permettez que je vous appelle par votre prénom, n'est-ce pas ? Nous sommes après tout amenés à travailler main dans la main.

Compte là-dessus, gros con. Une remontée acide me brûla l'estomac, mais je me contins et opinai aimablement.

- Monsieur le directeur, si vous me permettez, nous avons un problème interne assez urgent, fis-je prudemment.

Ulrich Marx versa l'eau dans la théière qu'il apporta ensuite sur le plateau. Ayant déposé le tout sur la table basse, il s'assit dans le fauteuil en face du mien et croisa les jambes. Rendue mal à l'aise par sa proximité, je me maîtrisais et forçai mon rythme cardiaque à rester aussi calme que possible. Le directeur n'avait vraiment pas l'air en colère, mais je me méfiais de lui comme de la peste.

- Je vous écoute, ma chère.

- Suite à ma présentation en tant que commandante au reste de la communauté, tout le monde était forcément au courant que j'allais quitter notre base pour mener une opération avec une poignée de Soldats Noirs, mais j'ai pris le soin de lui donner une couverture, et de prétendre à un exercice de surveillance.

- Ainsi que je vous l'avais conseillé, nota Marx.

- En effet. Cependant, une personne très bien informée a transmis notre destination aux Revenants en dépit de notre prudence.

- Une taupe. Encore une. Après vous avoir demandé de rapporter cette liste, il y a deux ans, je pensais avoir éliminé les principales menaces au sein de l'Institut...

Je ne lui précisai pas qu'il m'y avait forcé sous la menace, et que je ne lui avais pas fourni ladite liste pour lui rendre service. Je tordis la bouche avec contrariété avant de continuer :

- Cette liste étant en possession du sénateur Reilly, à savoir un humain extérieur à l'organisation des Revenants, il est possible qu'elle n'ait pas contenu de noms réellement essentiels. Je pense que nous avons à faire à un gros poisson.

- Vous pensez à quelqu'un en particulier ?

- Non, mais informer les Revenants que nous quittions l'Institut ne suffisait pas. Il fallait une personne sachant parfaitement d'où nous partions et où nous allions, afin de déterminer avec précision le temps que nous mettrions à arriver. Nos assaillants avaient un timing vraiment parfait, appuyai-je. Ils se sont trouvés sur place avant nous, ont supprimé les individus susceptibles de nous parler si nous les capturions, et ont paisiblement attendu le moment de nous piéger.

Marx se rencogna dans son fauteuil et m'invita d'un geste à prendre une tasse. J'avais pour habitude de ne jamais rien boire dans son bureau, mais acceptai tout de même en ajoutant du sucre au breuvage. Je pris une gorgée de thé fort et amer en retenant un haut-le-cœur, puis touillai du bout de ma cuillère pour me donner contenance.

- Un Elite, peut-être. Ou l'un de mes collaborateurs. Nous verrons cela.

Le directeur parlait à voix basse, comme pour lui-même, puis sortit de sa rêverie.

- J'ai vérifié moi-même le serveur du seul informaticien qui a eu accès aux coordonnées de la planque, monsieur, et il ne les a transmises à personne. Tout a été effacé en temps et en heure.

- Bien. Votre raisonnement se tient, même si je ne suis pas ravi d'admettre qu'il s'agit là d'une énorme épine plantée dans mon pied.

Je rajustai ma position sur le fauteuil et regardait un court instant la fontaine favorite du GEN. Tout me répugnait, dans cette pièce, depuis les affreux cupidons jusqu'à Marx en personne, avec ses petits yeux et ses cheveux rares.

- Je pense que les choses auraient pu être bien pires qu'elles ne sont, et je ne vous tiendrai pas rigueur de ce...contretemps, lança soudain Marx d'un ton doucereux. Vous n'avez pas été vus, ainsi que je l'avais demandé, et les humains ont eu la présence d'esprit de dissimuler la vérité à leurs concitoyens.

- Ils savent, n'est-ce pas ? murmurai-je.

L'autre prit sa propre tasse et souffla dessus.

- A moins d'être totalement dénués de cerveau, il est évident que les personnes chargées de l'enquête ont constaté le regroupement des « invités » dans une seule pièce fermée à clef de la maison, ainsi que les débris relatifs à une explosion, et non à un simple incendie accidentel, sans compter les douilles répandues un peu partout... Vous savez, Luna, le projet GENESIS n'a pas totalement disparu des esprits humains. Certains hauts dirigeants sont au courant, mais ils ont masqué les faits pour ne pas créer la panique.

Il marqua une pause étudiée et planta ses yeux sombres dans les miens. Je sentis que la suite était tout ce qui l'intéressait, et qu'il attendait depuis le départ de pouvoir aborder le sujet.

- Luna, j'aimerai avoir votre avis sur la marche à suivre. Il est clair que les Revenants ont des projets fermement opposés aux nôtres... Que dois-je faire, selon vous ?

Oups. J'entrais en terrain miné. Marx testait ses subordonnés en permanence, et je n'échappais pas à la règle. Je reposai la tasse, prenant un temps de réflexion.

- Je crois que le moment est venu d'agir au grand jour, monsieur le directeur.

Une voix dans ma tête émit un hurlement indigné. Pousser les GEN à se révéler ne revenait-il pas à précipiter des morts humaines ? Sauf qu'une fois de plus, et n'en déplaise aux amoureux des décisions altruistes, je ne faisais pas mes choix pas intérêt pour la race des Hommes, mais pour me préserver moi, et les personnes de mon entourage.

- Au grand jour ? répéta Marx, l'œil brillant. Vous pensez à une attaque, ma chère ?

- Bien sûr que non. Pas dans l'immédiat, du moins, mais il me semple qu'une approche diplomatique serait préférable.

- Vous avez conscience, j'espère, qu'une guerre contre les humains sera probablement inévitable.

- Oui, monsieur. Je me doute bien que beaucoup d'entre eux refuseront notre domination et ne voudrons pas se soumettre à la mutation – s'ils en sont toutefois digne – mais rallier certains d'entre eux à notre cause, et notamment des gens importants dans la société...

- Je suis déjà en contact avec un certain nombre de maires, députés et même quelques chefs d'Etat, agent Deveille. Aucun n'a été choisi au hasard et est, personnellement, touché par la maladie ou le handicap dans sa famille, ce qui facilite grandement leur compréhension de l'intérêt de la mutation. Mais révéler à tous l'existence des GEN ? N'est-ce pas légèrement prématuré ?

Le directeur avala un peu de thé, qu'il eut l'air de trouver fameux.

- Dans d'autres circonstances, il aurait sûrement été préférable d'attendre encore quelques temps, monsieur le directeur, assurai-je, peut-être même pendant des années. Mais dans l'état actuel des choses, les enjeux sont d'autant plus importants que nous pouvons être devancés par les Revenants.

- Je vois où vous voulez en venir, se délecta l'autre. Si ce sont les Revenants qui révèlent la présence de notre communauté, ils nous feront passer pour l'ennemi, et toute chance d'entrée en matière pacifique s'envolera.

- Exact. Si nous sommes plus rapides, nous pourrons faire l'inverse.

Il y eut un long silence, rompu seulement par les bruits de bouche de Marx qui sirotait le thé, et celui de sa cuillère sur les parois de la tasse. Je vis cependant clair dans son jeu, car il feignait de peser ma proposition alors qu'en réalité, il savait déjà ce qu'il allait faire. Prenant mon mal en patience, je repris ma propre boisson jusqu'à ce qu'il se décide à parler.

- Mon propre raisonnement m'a conduit au même genre de conclusions que vous, bien que cela ne m'enchante guère. J'ai d'autant plus de raison de craindre la suite des événements, que l'on m'a averti de votre mécontentement quant à l'Armée Noire.

- Il se peut que j'aie été un peu virulente face aux instructeurs, ricanai-je sans avoir besoin de me forcer. Mais ils sont loin d'être prêts. Les soldats d'élite promis ne sont qu'un pâle objectif.

- Dans ce cas, cela compromet l'éventualité de contacter plus officiellement les humains. Je refuse de le faire sans un moyen efficace de riposter en cas d'opposition adverse. Il faut que l'Armée soit opérationnelle.

Cela, je m'y étais attendue, et avais aussi préparé ma réponse, réponse qui me prévoyait de longs moments avec les recrues zombies, ce qui ne me réjouissait pas franchement.

- J'en fait mon affaire, monsieur, dis-je tranquillement. A partir d'aujourd'hui, c'est moi qui formerais l'Armée, et vous aurez des soldats dignes de ce nom d'ici quelques mois.

- Quelques mois seulement ? Vous me le garantissez ?

Le visage rond du GEN exprimait une satisfaction béate, presque effrayante. Bon sang, j'étais en train de pactiser avec le diable.

- Oui, monsieur.

- Je savais que je pouvais compter sur vous. Vous n'êtes pas ma commandante pour rien, après tout. Ainsi soit-il dans ce cas. Il est temps de faire face aux humains et de leur montrer notre vrai visage !

Ulrich Marx ponctua sa phrase d'un geste théâtral. Il se leva ensuite d'un pas bondissant jusqu'à son bureau. Je remarquai la lumière clignotante sur sa tablette tactile, signe qu'il recevait un appel.

- Je vous retiens inutilement, ma chère, sourit le GEN. Vous avez surement beaucoup à faire, n'est-ce pas ? Nous reparlerons de tout ceci, mais en attendant, gardez notre plan pour vous. Si nos murs ont des oreilles, je ne veux pas que cela s'ébruite.

Je marquai mon accord d'un mouvement de tête et me levai, les épaules bien droites.

- Merci pour le thé, monsieur.

- Bonne journée, agent Deveille.

J'ouvris la porte du bureau et m'en fus dans le couloir, où je m'arrêtai un instant pour reprendre mes esprits.

Dans la cour du manoir, je croisai Allan, en route pour le bureau des Elites. Il devait s'y tenir une sorte de conseil pour choisir le nouveau chef de la sécurité. Après avoir fait une esclandre suite au décès de son frère, et cordialement insulté le docteur Malcolm, Svenson avait été remercié et expédié immédiatement en mission au Japon, histoire de lui faire prendre l'air. Mon mentor m'indiqua aussi que Marwa, qui avait formé Samuel, devait quitter l'Institut le jour-même pour être mise sous couverture auprès du président russe. Elle multipliait ces derniers temps les voyages à l'étranger pour se rapprocher de lui, et Marx avait décidé de la détacher de l'Institut. Je ne pus m'empêcher de lui faire discrètement remarquer, que si la Russie nous soutenait dans une future guerre, l'humanité s'effondrerait de l'intérieur dans le chaos le plus total, puis le laissai partir, promettant de le voir plus tard.

Je me dirigeai comme un automate au fond du parc, ayant repéré Samuel qui s'étirait près d'un arbre, et le rejoignis. Un drôle de sentiment me saisit à sa vue, sans que je ne sache si c'était positif ou non.

- Ça va ? s'enquit-il. C'était comment avec le dirlo ?

- Bizarre, fis-je. Comme d'habitude.

- Tu veux en parler ?

- Je n'ai pas le droit, pour le moment.

J'agitai la tête en signe de dénégation, et lui adressai un sourire d'excuse. Le GEN blond ne se vexa heureusement pas et reprit ses exercices. Ne trouvant rien à dire, je tournai les yeux vers le manoir et aperçu Geb et Ismaël, au coin du bâtiment. Ils venaient vers nous, bras-dessus bras-dessous, et je les entendis rire. Samuel interrompit sa séance pour les regarder, et je sentis un malaise plus fort me gagner en les voyant s'embrasser. Je fixai la main de Geb se glissant dans celle de son ami, mortifiée.

- Je ne peux pas faire ça, assénai-je brusquement.

- Faire quoi ?

J'avalai ma salive difficilement dans ma bouche devenue sèche et fis un effort monumental pour le regarder.

- T'embrasser à tous bouts de champs, te prendre par la main. Et tout le reste. Les mots doux, les gestes tendres. Je ne peux pas faire ça. Je suis désolée.

Un vide immense se creusa dans ma poitrine et je me maudis pour ma futilité. Je venais de prévoir avec un psychopathe, un plan pour accélérer la déchéance des Hommes, et tout ce qui me préoccupait, c'était cela ? Me rendre compte que je ne pouvais pas aimer Samuel comme il l'aurait fallu ?

- Luna, me dit doucement Samuel. Je t'aime. Je t'aime telle que tu es, et je crois honnêtement que je vivrais très mal que tu te mettre à glousser comme une poule au moindre de mes gestes, et à me sauter sur les genoux. Ce ne serait pas toi.

Je le regardai dans les yeux, admirant ses longs cils et ses traits harmonieux. Un sourire se dessina sur mes lèvres malgré moi, et, dans un élan inattendu, je me coulai contre lui et l'embrassai avec retenue.

- Tu n'as pas peur qu'on nous voie ? chuchota le GEN avant de fourrer son nez dans mon cou.

- Tu crois vraiment qu'on peut cacher quelque chose, ici ?

- Non. Dans ce cas je ne vois pas pourquoi je me prive de te coller contre cet arbre et de t'arracher ta chemise.

J'éclatai de rire si fort que je me surpris moi-même et Samuel me rendit mon baiser, aussi hilare que moi. Il me relâcha finalement et je me raclai la gorge, de nouveau grave.

- Il y a... des choses difficiles qui s'annoncent, Sam. Des heures sombres.

Il effleura ma paume en guise de réponse, et acquiesça, puis agita le bras en direction de nos amis.

- Salut, Luna ! brailla Geb qui tirait littéralement un Ismaël un peu pâlot derrière lui.

Il m'étouffa dans une étreinte à m'en faire craquer les côtes, broya la main de Samuel, puis annonça que tout le monde – y compris Amanda et Tribal – devait se retrouver à la Cascade et qu'il n'était pas question que je manque cela. Il nous entraîna à sa suite sans cesser de jacasser, et, je notai l'air amusé de Samuel.

- C'est quoi cette fête ? voulus-je savoir.

- Une surprise, Luna ! Une surprise ! Allez, hop, hop, hop on va être en retard ! Il fait soleil, les oiseaux chantent ! Autant en profiter, non ?

Je me saisis du bras que Geb me tendait comme un cavalier au bal et lui emboitai le pas.

- C'est vrai, dis-je. Tu as raison.

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