Chapitre 44
- Qu'est-ce qu'on fait ?
J'interceptai le bras de Tribal qui se portait déjà en avant, prêt à se lancer à la poursuite des fuyards, puis me détournai. Le feu à l'intérieur de la planque ne brûlait pas tant que cela mais une épaisse fumée sortait des ouvertures béantes causées par la bombe.
- On ne fait rien, dis-je. On fiche le camp.
Comme pour confirmer qu'il ne fallait pas traîner dans les parages, un vieil homme vouté ouvrit la porte d'entrée de sa maison, à quelques mètres de là et eut un hoquet de surprise.
- Nom de Dieu, Gisèle ! Appelle les pompiers ! On a foutu le feu à la maison des Keller.
Nous reculâmes précipitamment pour nous terrer dans l'angle de la bâtisse et je jetai un coup d'œil vers le vieillard, à présent accompagné de sa femme, aussi décharnée que lui, et qui agitait les bras dans tous les sens. La destruction de la maison de leurs anciens – et désormais décédés – voisins la paniquait apparemment complètement. Je grinçai des dents. Si je voulais suivre les ordres de Marx et ne laisser aucune trace de nous, c'était maintenant qu'il fallait agir. Dans la poche de ma combinaison, je pressai l'émetteur destiné à rappeler le jet.
- Venez, intimai-je.
- Qu'est-ce que tu comptes faire des deux vieux ? interrogea Samuel alors que nous revenions au pas de course près de Rick qui nous dévisagea sans comprendre.
- Rien du tout. On s'en va d'ici le plus vite possible. Il ne faut pas qu'on nous voie, ce sont les consignes du directeur.
- Tu crois vraiment que personne ne s'apercevra que cette maison est pleine de cadavres et de balles perdues ? railla Rick.
Il se tenait au-dessus du Déformé dont la cage thoracique se soulevait faiblement. D'épaisses marbrures noires couvraient sa peau, signe que le poison avait fait son œuvre. Il ne devait plus lui rester que peu de temps.
- Il y a une petite chance que le feu les abîmes assez pour que les humains ne se rendent pas compte qu'il s'agit de créatures mutantes, rétorquai-je, peu encline à la discussion. C'est de notre existence, qu'ils ne doivent pas avoir connaissance. Les humains sont très forts pour inventer des explications sans queue ni tête aux faits divers, ils trouveront bien quelque chose.
Un ronflement agita l'air et, derrière le bosquet où nous avions atterris, le jet se posa dans un léger souffle. J'avais demandé au pilote de rester à proximité au cas où les choses tourneraient mal, et on pouvait dire que j'avais eu du nez.
- On emmène le corps, ajoutai-je. Samuel et Tribal, surveillez nos arrières.
Etant donné la distance qui séparait le hameau de la ville la plus proche, les pompiers n'étaient pas près d'arriver, mais je préférais être sûre que nous n'étions pas suivis. Je m'accroupis devant le cadavre et le soulevai sous les aisselles. Allan se saisit de ses chevilles et nous tirâmes le colosse pour le décoller du sol. Aussitôt, la peau de mon ventre se tendit sur la plaie et me tirailla un peu mais, puisqu'elle se reconstruisait déjà, la douleur était largement supportable. Ce n'était de toute façon pas le moment de me laisser aller.
- C'est bon, on y va.
Rapidement, nous remontâmes le sentier aux cailloux instables, quelque peu ralentis par le Déformé qui pesait pire qu'un âne mort, et je vis avec un soulagement certain le plan incliné du jet s'ouvrit à notre arrivée. Quelques minutes plus tard, nous décollâmes dans la nuit étoilée.
Le corps agité de soubresauts de plus en légers resta là où il était, à savoir près de la porte et je me laissai tomber sur une banquette.
- Pour une première opération, commandante, c'était plutôt animé, me dit à voix basse mon mentor, alors que je défaisais ma combinaison.
- Marx ne sera pas content.
- Je ne suis pas sûr qu'il s'en prenne à toi. Ce sont les Revenants qui ont tout fait foirer, et une fois de plus, il n'avait reçu aucun renseignement à ce sujet. S'il se met en colère, je pense que ce sera plutôt contre ses informateurs.
Je haussai les épaules, puis m'attelai à retirer mon t-shirt, ne conservant qu'une brassière en dessous. Tous les occupants du jet profitaient ainsi d'une vue de choix sur mes abdos, ce qui n'était d'ailleurs pas si agréable que cela à voir étant donné la quantité de sang à demi-séché qui en gouttait, sans compter les marques noires laissées par mon récent empoisonnement. Allan s'empara d'une trousse de soins sous la banquette et humidifia des compresses. En face de nous, Samuel ne me quittait pas des yeux tandis que Tribal faisait les cent pas. Le seul à rester indifférent à la situation était Pierre, le Soldat Noir rescapé qui ne bronchait pas. Je lui avais dit de ne pas bouger, donc il ne bougeait pas, point final. Rick, assis au poste de pilotage, fit tourner son siège et s'adressa à moi :
- Alors, il se passe quoi maintenant ? Qu'est-ce que tu vas dire à Marx ?
- La vérité, fis-je en baissant les yeux sur mes côtes. Tu es le mieux placé pour savoir qu'on ne peut pas mentir à Ulrich Marx, non ?
Rick laissa échapper un ricanement ironique. Je ne devais en aucun cas laisser entendre que je pensais duper Marx d'une façon ou d'une autre.
- Explique-moi plutôt ce qui vous est arrivé, à toi et ton équipe, lui demandai-je.
- On l'a pourchassé, et il nous a attaqué. Voilà. Eli et Hubbel y ont laissé leur peau.
- Eli ? intervint Allan en interrompant sa tâche de soin. Tu as pris avec toi le frère de Svenson ? Voilà qui devrait pourvoir à de bonnes relations entre vous.
- Je t'avais demandé de rester en contact avec moi, coupai-je sèchement. Comment justifie-tu que Germond soit arrivé comme un cheveu sur la soupe en plein combat ?
- De toute façon, vous étiez pris au piège, gronda l'autre.
Il se remit face à la vitre du speed-jet, nous exposant juste son crâne tatoué. Je songeai que le prendre comme allié n'était finalement pas une si bonne idée que cela, puis je me souvins que sa petite amie venait de mourir et que cela ne l'aidait sans doute pas à être aimable. Je me tus, préférant mettre un terme à cette conversation, puis me chargeai moi-même d'étaler une crème cicatrisante sur mon abdomen. Cela accélérerait la guérison, déjà en bonne voie. Ce faisant, je sentis le regard de Rick de nouveau posé sur moi et je redressai ma nuque. Il fixait les marbrures qui couvraient ma peau, un air à la fois horrifié et fasciné sur le visage. Le pouvoir, voilà ce qui l'intéressait toujours autant, et j'en étais le symbole après avoir survécu à cela. Tribal regardait ailleurs, gêné, et Samuel, lui, ne réagissait pas plus que cela devant mes cicatrices. Il les avait forcément vues les nuits précédentes et n'avait même pas tiqué malgré leur aspect repoussant. Je lui adressai un sourire qu'il me rendit, sous l'œil morose de Rick.
Le silence s'installa, à peine rompu par le ronronnement du moteur, et les quelques mots prononcés par le pilote qui vérifiait qu'aucun engin volant ne se trouvait à proximité. Je traversai alors l'habitacle et trouvai un vêtement propre dans une caisse, que j'enfilai promptement, puis allai me poster près d'un hublot, perdue dans la contemplation du paysage flouté par la vitesse. J'avais l'esprit obnubilé par une seule chose.
Les Revenants. Pourquoi cette embuscade ? Qui les avait prévenus ? Avaient-ils supprimé eux-mêmes les amis de Marc censés se trouver là ? Voulaient-ils vraiment ma mort ? Et, surtout, quelle était la suite de leurs projets ?
Je fermai les paupières, bercée par la rumeur des conversations de Samuel et Allan, persuadée que j'étais loin d'en avoir fini avec les rebelles, et que tout ceci n'était qu'un point de départ.
***
Albert Niels sursauta au passage d'un oiseau et se reprit aussitôt. Il sortit de sa rêverie et fixa son attention sur le lac à l'eau grises. Le vent soufflait fort en ce début de matinée, et le soleil n'était pas au rendez-vous. Le Revenant s'accouda à la rambarde de bois qui bordait la promenade et ne changea pas de position lorsqu'une femme vint faire de même, juste à sa droite.
- Bonjour, Albert, sourit-elle en retirant ses lunettes de soleil.
- Bonjour, ma chère. J'ai bien cru que vous ne viendriez jamais faire votre rapport.
- Je bénéficie d'une certaine liberté à l'Institut, mais je ne peux tout de même pas me permettre de partir à tous bouts de champs pour venir converser avec vous, Albert. Laisser deux jours de battement m'a paru une meilleure idée.
- Quelles sont les nouvelles ?
L'Améliorée essuya ses lunettes dans l'écharpe de soir qui ornait son cou et les remit sur son nez. Elle sortit ensuite un rouge à lèvres qu'elle appliqua avec soin, prenant tout son temps.
- Aucun n'a survécu, lâcha-t-elle enfin.
- Aucun des leurs, ou aucun des nôtres ?
Une pointe de panique perça dans la voix du Revenant, et la Veuve pivota vers lui, ses cheveux courts agités par le vent.
- Leur équipe a été fragilisée, mais ils s'en sont sortis.
- C'est impossible... Trente GEN contre eux, sans compter les autres soldats ! Ils les ont tous tués ?
- Tous, Albert. Mais cela vous soulage, non ?
Niels fronça les sourcils et dévisagea l'Améliorée. Ne pas voir ses yeux l'aidait à résister à son charme fou, mais il n'était pas encore très à l'aise. Cela dit, les choses avaient été bien pires lorsqu'il avait eu à faire à Luna Deveille.
- Je ne comprends pas vos insinuations.
- Vous avez encore une petite chance de la ramener dans votre camp.
- Vous y étiez, n'est-ce pas ? s'agaça le chef des Revenants. Vous l'avez vue ?
- Oui, sous un autre visage, mais j'y étais. Sinon, ils m'auraient immédiatement reconnue, vous pensez bien. L'Ange Noir n'a pas choisi ses hommes au hasard, et ils étaient bien plus forts que ceux que vous avez envoyés. Rendez-vous à l'évidence, Albert, nous ne sommes pas prêts pour un quelconque affrontement. Notre armement est insuffisant et même nos GEN ne valent pas ceux de Marx.
- Ne vous croyez pas obligée de me donner des consignes sur la marche à suivre. Jouez votre rôle, ce sera déjà suffisant. Car après tout, vous n'êtes pas si proche de Luna Deveille que cela.
- Je connais bien A...
- Je sais, asséna froidement l'autre, mais ce n'est pas ce que je vous demande.
La Veuve ne laissa rien paraître de sa colère mais bouillonnait intérieurement. Elle rajusta son écharpe, prête à partir.
- Je crois que vous n'avez pas compris comment Luna Deveille fonctionne, mon cher, fit-elle d'un ton léger. Vous allez finir pas vous en faire une véritable ennemie, si ce n'est pas déjà fait après avoir tenté de la tuer, et je prie pour vous en prévision du jour où elle vous tombera dessus.
- C'est une menace ? gronda le Revenant.
- Oui, Albert. Mais elle n'émane pas de moi. Dans l'état actuel des choses, les Revenant perdraient assurément face à Marx et à l'Armée Noire, et Luna fait pencher la balance. Pensez-y.
Niels demeura seul, ressassant les événements. Il avait perdu parmi ses meilleurs soldats, et tout cela pour quoi ? Rien du tout. Luna Deveille était toujours en vie, et de surcroît, allait désormais chercher à se venger de lui, et il avait affaibli sa force de frappe inutilement.
Furieux contre lui-même, le chef des Revenants tapa du pied dans un cailloux, et s'en fut, décidé à faire tourner la chance en sa faveur.
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