Chapitre 43

Je me propulsai en avant, pris appui contre la façade de pierres pour gagner de la hauteur et amplifier mon sauf, puis retombai sur les épaules d'Achille Germond. Dans le même temps, je tirai un mince poignard dissimulé dans une doublure de ma combinaison.

- Descends de là ! éructa le colosse. Bats-toi à la loyale !

Non, mais, qu'est-ce qu'il allait s'imaginer celui-là ? Un duel en face-à-face, et les coups dans le dos interdits ? La folie lui faisait perdre tout sens de la réalité, à moins qu'il crût vraiment qu'un GEN pouvait avoir le moindre scrupule à tromper l'adversaire. Sans hésiter, j'abattis ma lame et la plantai entre ses omoplates.

Germond se débattit, furieux, et se jeta à terre pour me déloger. J'accompagnai sa ruade et retombai souplement sur le sol de terre, évitant de justesse sa main qui cherchait à se saisir de moi. Le deuxième poignard et...

Achille gonfla ses biceps, en proie à la colère et son visage se colora de rouge. Je sentis que quelque chose se passait en lui et me préparait à réagir, mais une fois de plus, il fut trop rapide pour que je ne l'esquive et il me heurta de plein fouet, m'écrasant contre le mur dans un bruit sourd. Quelle était cette capacité inouïe qui le faisait bouger de façon imperceptible pour moi ? La trachée comprimée par son avant-bras, je décidai que cette interrogation pouvait bien rester encore quelques instants un mystère et me tortillai contre son corps épais.

- Tu crois que... Tu crois que tu vas me...tuer ? haletai-je avec un sourire certainement affreux à regarder.

- Tu meurs, Ange Noir. Tu n'as rien de si extraordinaire que cela.

Achille dégagea l'une de ses mains et s'empara de son propre revolver. J'étais à nouveau en position d'infériorité, mais si je tenais encore un peu... Mon bras droit était coincé par la masse du corps du colosse, mais l'autre était encore libre, et je fouillai moi-même ma poche.

Bang. La douleur me tétanisa et un gout de sang emplit ma bouche.

Le Déformé venait de tirer, le canon de son arme pressé sous mes côtes.

- Tu meurs, dit-il encore.

Un filet de sueur coula sur ma tempe mais je me maîtrisais et tint à distance ce que je ressentais. Avec une grimace, je m'efforçai d'attraper le manche d'un second poignard qui représentait ma seule chance de m'en sortir.

Bang. Le second coup partit, accompagné du rire dément d'Achille qui ne cessait de m'écrabouiller, un peu comme si la perspective d'étaler mes tripes sur le tapis et de me vider de mon sang ne lui suffisait pas, et qu'il fallait en plus qu'il m'étouffe. Et ce poignard qui ne venait pas...

- Tu te...trompes, bafouillai-je, condamnée à le regarder dans les yeux.

- Quoi ?

Un bref vent de panique souffla en moi. Je fis la seule chose qui me vint à l'esprit à ce instant précis. Je lui crachai au visage.

Achille sursauta et s'écarta d'à peine quelques centimètres, plus par réflexe que par réelle peur d'une goutte de salive et je sautai sur l'occasion. J'empoignai le manche du couteau et lui plantai dans le ventre.

- C'est toi qui meure, laissai-je tomber avec un rire tremblant.

Sa bouche s'ouvrit à mesure qu'il comprenait et il me lâche brusquement, retirant d'un geste précipité l'objet qui lui ouvrait la peau. Sa lame couverte de sang luisit dans la pâle lumière de la lune. Le colosse recula de plusieurs pas, blanc comme un linge.

- Poison, chuchota Achille. Tu n'es pas loyale, Ange Noir.

- Non, sifflai-je en parvenant à rester debout. Je suis une GEN. Comme toi.

Germond voulut dire quelque chose, ses doigts tachés de sang tendus devant lui, mais une explosion des plus violentes à l'intérieur de la planque des Revenants nous interrompit et une pluie de verre s'abattit sur nous. Quelqu'un hurla à l'étage.

- Il est là ! Il est en bas, je vais le tuer !

- Rick, non ! Rick, la bombe ! s'écria la voix familière de Samuel.

Rick ? J'inspirai lentement, puis, après un aperçu rapide de mes plaies béantes sous le tissu déchiré de la combinaison, et qui tardaient à cesser de saigner, mes jambes cédèrent sous mon poids et je me laissai glisser par terre. Je levai simplement les yeux à temps pour voir Richard Simon en personne se tenir debout sur le rebord et sauter sans attendre dans le vide, atterrissant près de moi. Les genoux fléchis et le regard fou, il ressemblait à une bête sauvage et arma l'énorme fusil qu'il avait certainement prit à l'ennemi.

- Je vais te tuer, Germond. C'est tout ce que tu mérites.

- Rick, la bombe ! cria encore Samuel. Putain, la bombe !

Ce qui se passait là-haut, je n'en avais aucune idée, mais le cadavre de Julia Romanov se disloquant juste sous mon nez après être tombé de l'étage agit comme une décharge sur moi. Je détaillai la tenue de Rick qui menaçait toujours Achille sans pour autant se décider à le descendre et repérai la grosse boule ronde et métallique qui ornait son flanc. Je relâchai la pression sur mon ventre meurtri et me relevai.

- Donne-moi ça ! ordonnai-je à l'ancien responsable de la sécurité.

J'arrachai l'objet sans attendre et pivota vers la façade. A la fenêtre, Tribal enjambait le rebord.

- On les a enfermés ! me hurla le grand Noir. Vite !

Il sauta à son tour, tandis que Samuel projeta par l'ouverture la seule recrue apparemment en vie, celui qui s'appelait Pierre et qui se réceptionna à peu près correctement. Je saisis immédiatement où Tribal voulait en venir.

- Samuel, saute ! intima sèchement Allan qui apparut à son tour, une joue ensanglantée. Luna, la bombe !

Le GEN blond obtempéra avant de tenir en joue Achille qui titubait sur place. Le regard fixé sur la fenêtre et attendant le signal de mon mentor, je fis rouler la boule ronde entre mes doigts. Il y eut une détonation dans la pièce où se trouvait Allan et je serrai les dents.

- Maintenant !

J'arquai le coude et lançai le projectile de toute mes forces. La boule entra par la fenêtre. Mais Allan, lui, n'en sortit pas. Il s'abattit sur le dos, la tête pendant par l'ouverture, maintenu solidement par un GEN blond qui le tenait à la gorge. Mon sang ne fit qu'un tour.

- Tribal, ton arme !

- Je peux...

- Ferme ta gueule, et donne-moi ça ! cinglai-je, rendue peu aimable par la douleur et l'urgence.

Le GEN Noir jeta son revolver vers moi, les traits fermés et je visai la fenêtre. Allan faisait de son mieux pour se défaire de son agresseur, mais si je ratai mon coup...

- Ça va exploser ! tonna mon mentor. Fichez le camp.

- Personne n'ira nulle part, murmurai-je pour moi-même.

Mon cerveau décomptait les secondes qu'il me restait avant que la bombe ne fasse son effet, et je tirai.

Le GEN blond s'écroula sur Allan qui le rejeta et bondit au moment où un souffle brûlant démolissait le mur du haut. Il se roula en boule, tant pour se protéger que pour amortir l'impact, et demeura à plat ventre sur le sol.

L'explosion fut suivie d'une seconde, dans une autre pièce, puis d'une troisième et je fis quelques pas en arrière. De grosses flammes jaillirent de l'intérieur. Les Revenants pris au piège allaient connaître la pire fin qui fut.

Mis à part le ronflement du feu qui prenait de l'ampleur, on n'entendit rien pendant une longue minute, avant que je ne me tourne vers Rick. Debout, figé, il ne tirait pas devant un Achille agonisant sous l'effet du poison. Se repaissait-il de sa souffrance avant de l'achever ? Ma propre blessure se rappela à moi dans un élancement et je m'assis – ou plutôt, me laissai tomber – sur la murette.

- Ça va ? s'enquit Allan qui venait vers nous, le visage couvert de suie.

Il se massait le bras mais semblait entier.

- Oui. Ça guérira, comme toujours. Faites-le tour et vérifiez qu'il ne reste personne. Rick, si tu ne le tue pas maintenant il sera trop tard, ajoutai-je, au comble de l'agacement.

J'avais joué le tout pour le tout en présumant de la sensibilité au poison d'Achille – après tout, nous y réagissions tous, moi y compris, bien que ceux qui croyaient ferme en ma survie miraculeuse n'eussent pas besoin de savoir la vérité. L'immense Déformé gémissait, et vivait ses dernières secondes. S'il avait cru que sa condition le rendait invincible, c'était raté.

Les autres s'éloignèrent pour inspecter l'autre côté de la maison et je les suivis d'une démarche aussi assurée que possible. Lorsque nous atteignîmes la petite route qui reliait les habitations, je vis disparaître au loin, dans le col montagneux, une jeep dont le bruit du moteur était passé inaperçu.

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