Chapitre 37
- Luna...
- Mettez-le sur le côté ! m'écriai-je en me jetant à genoux près de Marc, et coupant court aux interrogations d'Amanda.
La jeune Noire m'imita aussitôt et m'aida à basculer notre ami qui se mit à cracher une impressionnante quantité de liquide noir, les jambes secouées de spasmes. Samuel s'accroupit à son tour et je lui attrapai le poignet d'un geste nerveux.
- N.I.A, fait prévenir tout de suite le docteur Malcolm, ordonna Allan, dans mon dos.
- Je regrette, agent Vallet, le docteur Malcolm n'est pas ici.
- Il me faut une poche de sang et de quoi soutenir son cœur d'urgence, soufflai-je.
- J'y vais, décida alors Samuel qui fila hors de la pièce, tandis que mon mentor prenait sa place pour maintenir le corps de Marc.
J'inspirai un bon coup, horrifiée d'avance par ce que j'allais faire, et déchirai la manche du t-shirt de Marc, ma main droite fouillant mes poches à la recherche d'un canif.
- Qu'est-ce que tu fais ? demanda Tribal d'une voix blanche.
Il était resté en arrière, apparemment choqué par l'image de Marc agonisant, ce que je ne pouvais lui reprocher.
- Tenez-le solidement, intimai-je avec fermeté. Amanda, il me faudra rapidement de quoi réaliser un pansement compressif.
Mon amie n'hésita pas et retira son haut, révélant sa peau sombre luisant sous la lumière du néon et se mit à en déchirer de grandes bandes. Moins sûre que jamais de ce que je devais faire, je brandis le couteau au-dessus des veines bleutées du bras de Marc, et les tranchai d'un mouvement précis et rapide sur une bonne partie de la longueur, ce qui s'avérait évidemment bien plus efficace que de les ouvrir d'une coupure perpendiculaire. Du sang se mit à couler à grande vitesse, et j'arrêtai le mouvement d'Amanda pour l'éponger.
- Il va se vider, bafouilla-t-elle.
- Je l'aide à éliminer le poison, dis-je. Il est déjà passé dans son sang étant donné la rapidité de notre métabolisme.
Elle n'ajouta rien, mais je vis ses yeux baignés de peur se baisser sur Marc, qui poussait à présent des râles rauques, même si les convulsions s'espaçaient.
Samuel choisit cet instant pour réapparaître, la poche dans les mains et une seringue entre les dents, et il se laissa tomber à la gauche d'Allan. Ce dernier attrapa la poche avec vigueur :
- Aide-moi, on va devoir le transfuser rapidement. Tiens-moi ça.
Le GEN blond ne discuta pas et se dépêcha de fixer un tuyau transparent muni d'une aiguille à la poche dont s'était emparé mon mentor, prenant bien garde à ne pas créer de bulles d'air.
Je surveillai attentivement l'état – peu brillant, il fallait bien l'admettre – de Marc. Quand étais-je censée m'arrêter de faire couler le sang ? Le sol si souillé que mon pantalon s'imbibait me fit prendre ma décision et je saisis une première bande du vêtement d'Amanda. Si je le tuais d'une hémorragie, je n'aurais rien gagné du tout.
- Maintenant, jetai-je à Allan.
Je nouai le bandage de fortune autour de l'avant-bras de mon ancien camarade de lycée, maintenant une pression suffisante sur les veines pour stopper le jaillissement de sang.
Marc arqua brusquement le dos, les yeux révulsés et sa bave noire aux lèvres.
- Qu'est-ce qui lui arrive ? hoqueta Amanda qui m'assista pour le plaquer au sol et maintenir la perfusion en place. Marc ! Calme-toi, Marc, ça va aller !
Le malheureux retomba d'un coup, comme privé de ses forces et sa respiration s'apaisa. Je levai les yeux sur la poche de sang et constatai qu'il n'avait pas encore reçu une quantité importante de sang neuf. Marc se mit à trembler, comme transi de froid, et ouvrit ses yeux dans lesquels de petits vaisseaux avaient explosé, traçant des sillons rouges dans le blanc entourant ses iris.
- Ça marche ? murmura interrogativement Tribal, dans mon dos. Il a l'air de...
Le GEN Noir ne termina pas sa phrase, coupé par un sifflement atroce venu des poumons de Marc qui tenta de parler, et ses espoirs – si maigres qu'ils avaient été – retombèrent aussi sec.
- Je...Je ne voulais pas...Je...C'était pour elle. Pour...elle.
Marc chercha son souffle, les yeux fixés au plafond sans ciller, son corps se relâcha et tout fut fini.
Le silence envahit la cellule, lourd comme du plomb après l'agitation des dernières minutes, et j'avalai péniblement ma salive. D'une main qui ne faiblit pas, je me servi de la dernière bande de tissus prélevée sur la tenue d'Amanda et essuyai avec détermination les lèvres noires du mort, avant de lui fermer les yeux.
- C'est fini, murmurai-je. Il est parti.
Je croisai le regard impénétrable d'Allan, puis celui, plus doux, de Samuel et fis rouler mes épaules nouées. J'entendis Tribal, aussi sonné que sa petite amie, faire quelques pas vers nous malgré le dégoût que la scène lui inspirait. Il respirait fort, comme s'il luttait contre une abominable envie de vomir.
- Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel, ici ? Vous organisez une fête pour Halloween ? Très réussi le décor !
Je n'eus pas besoin de me retourner pour comprendre que Rick venait d'arriver, son éternel sourire railleur aux lèvres, et pas le moins du monde choqué par la mare de sang qui recouvrait le sol. Tribal ne goûta pas de la plaisanterie et fit volte-face, attrapant l'ancien chef de la sécurité par le col.
- Toi ! beugla-t-il avec un air féroce. Toi, tu l'as tué ! C'est à toi que le directeur a demandé de lui arracher des réponses ! Avoue !
Le regard de Rick brilla un court instant et se posa sur moi avant de se recentrer sur le visage congestionné de fureur du GEN Noir. Curieusement, il ne détrompa pas Tribal alors qu'il aurait pu rejeter la faute sur moi.
- Tu me prends pour un crétin ? cracha-t-il en postillonnant abondamment sur mon meilleur ami. Pourquoi j'aurais tué le mec auquel je devais soutirer des infos ?
- C'est toi qui est venu en dernier ! Tu vas me dire que la capsule est arrivée toute seule dans sa bouche, c'est ça ?
Le rugissement de Tribal emplissait la pièce, sans que Samuel ou Allan ne tentent d'intervenir. Amanda, les bras croisés sur sa poitrine peu vêtue, serra violemment les mâchoires.
- Tribal, arrête, lui dis-je sans hausser le ton. Cela ne résout rien.
- Ce gars est une enflure, tu le sais, non ? Il l'a tué, c'est tout !
- Tais-toi.
Tribal se mura dans le silence, forcé par mes paroles de cesser son manège, et Amanda s'avança un peu. Le grand Noir cligna des paupières comme s'il se rendait juste compte qu'elle avait retiré ses vêtements, et ôta aussitôt son sweat pour qu'elle se couvre. Je songeai alors qu'il pouvait s'estimer heureux que sa petite amie fut encore adepte des sous-vêtements dans la mesure où la plastique des femmes GEN leur permettaient tout à fait de s'en passer.
- N.I.A, j'ai besoin de voir les dernières images de surveillance, repris-je. Dans le couloir et à l'intérieure de la cellule du détenu.
- Oui, agent Deveille.
Ma requête acheva de calmer les velléités belliqueuses de Tribal qui cessa de tenter d'étrangler Rick, et je me relevai péniblement, collée au sol par le sang en train de coaguler, pour me tourner vers le mur de gauche. N.I.A projeta les images bleues sans tarder, et je me concentrai.
- Passes-les en accéléré, s'il te plait.
J'étudiai attentivement les vidéos, notant les allées et venues autour de la cellule. A l'exception du garde venu apporter un repas frugal à Marc le matin-même, seul Rick était venu. L'accélération des images me permit de ne pas infliger aux autres le détail des traitements subis par notre ami, et je me félicitai de mon idée.
- Voilà, je sors de la cellule, triompha le prédécesseur de Svenson. Et le prisonnier est en pleine forme.
- Oui, à part les côtés cassées, les brûlures et l'électrocution, impeccable, ironisa Samuel.
- Il a raison sur le principe, répliquai-je en refaisant passer l'image à vitesse normale. Marc était vivant à sa sortie.
Nous observâmes en silence les minutes suivantes de la vidéo. Marc, assis au sol, s'agitait de temps à autres mais ne manifestait pas de signes d'empoisonnement, jusqu'à environ un quart d'heure après la visite de Rick. Pris de spasmes, il se mit à se rouler par terre et je stoppai le visionnage. La suite, nous l'avions vécue en direct, et c'était amplement suffisant.
- A quel moment avale-t-il la capsule ? voulut savoir Allan, un peu en retrait.
- Je n'arrive pas à le voir porter la main à sa bouche, dis-je. Ce qui veut dire...
- Qu'elle se trouvait déjà à l'intérieur ? acheva avec incrédulité Tribal. Il a dû être fouillé de fond en combles à son arrivée.
- Svenson est un prodige de sottise, ricana Allan, peut-être aura-t-il oublié de vérifier la santé dentaire du prisonnier. Par le passé, et durant les différentes guerres, les capsules de poison sous une dent creuse étaient pratiques courantes.
- Il va y avoir une enquête, assurai-je en renonçant à me débarrasser du sang que j'avais, au sens propre, sur les mains. Cela fait deux incidents dans nos murs en moins de vingt-quatre heures, cela dit je doute que Marx se lamente de la mort de celui qui s'est attaqué à lui.
Il y eut une pause dans la conversation, puis Amanda, le teint étrangement gris, prit la parole :
- Il faudrait prévenir quelqu'un pour venir enlever son corps. On ne peut pas...le laisser ici.
Je donnai mon accord, mon regard passant sur le corps sans que je n'éprouve la moindre émotion.
- N.I.A va faire venir les gens qu'il faut, dis-je d'un ton égal.
- Je vais avec lui, murmura encore la jeune Noire.
Tribal ne se prononça pas ouvertement mais il referma sa main sur celle d'Amanda, et je passai devant eux pour sortir dans le couloir. Rick m'emboita le pas, sous le regard inquisiteur de Samuel, mais le GEN blond eut la présence d'esprit de ne pas poser de questions.
- Deveille, j'ai des choses à te dire, annonça le GEN au crâne rasé.
- Ça ne peut vraiment pas attendre ? rétorquai-je.
- Non.
- Je vais prendre mon tour de garde auprès du directeur, glissa Allan en quittant la cellule morbide à son tour. Samuel, tu viens ?
L'intéressé plissa les yeux, mais finit par suivre l'élan d'Allan. Lorsqu'il me frôla au passage, je croisai son regard pour lui faire comprendre qu'il en saurait davantage plus tard et je sentis qu'il avait compris. Abandonnant Tribal et Amanda auprès de notre ami, je m'aventurai le long du couloir jusqu'aux toilettes sans adresser la parole à Rick, et entrai d'un pas résolu pour ouvrir les robinets et ainsi faire un maximum de bruit. La pièce, carrelée de blanc et accueillant trois cabinets de toilettes, était heureusement vide. Tout en me lavant les mains, je me résignai enfin à entendre ce que Rick avait à dire.
- Alors ? Qu'a-t-il révélé ? m'enquis-je en faisant énergiquement mousser le savon.
- Il n'a pas été très résistant, ton pote, nota d'un air goguenard l'ancien responsable de la sécurité. Je n'ai presque pas eu le temps de m'amuser. Rien à voir avec toi, Deveille.
- Accouche, Rick, je n'ai pas le temps pour ces jeux-là. A moins que tu n'aies rien tiré de lui, bien sûr...
Outré, il croisa les bras, et me rendit mon regard dans le miroir au-dessus du lavabo.
- Pour qui tu me prends ? Il a craché le morceau, ça, c'est sûr !
- Je t'écoute.
J'observai l'eau rougie disparaître dans le trou au fond de la vasque et recommençai le lavage en pensant que je n'étais pas prête d'être propre – et c'était encore sans compter sur l'état de mon pantalon.
- Il a balancé la localisation de sa planque. Un endroit où il se retrouvait avec une petite bande qui avait pour projet d'attaquer l'Institut pour tuer le directeur.
- Une petite bande ? répétai-je avec soin. Pas l'endroit où se cachent les Revenants ?
- Il a dit qu'il ne savait pas, tout ce que j'ai tenté n'a pas pu le faire changer d'avis. Peut-être qu'il n'en a véritablement jamais été informé. Après tout, à la place de leur chef, je n'aurais pas donné trop d'informations à un espion du camp adverse défoncé au Rêve.
Je ne souris pas, même si l'envie était forte. Rick se trompait sur toute la ligne s'il croyait que Marc n'était pas résistant – c'était même tout le contraire. Il l'avait envoyé sur une piste mineure et n'avait pas desserré les dents à propos de la Fourmilière.
- Tout ce que j'ai appris a été transmis à ton informaticien gay, Ismaël, ajouta Rick avec une satisfaction évidente.
Il évoquait l'homosexualité d'Ismaël comme une simple caractéristique descriptive, et ne manifestait pas la moindre intolérance à ce sujet, ce qui, au vu de caractère exécrable de Rick, pouvait sembler surprenant. S'il y avait bien une chose qu'on ne pouvait enlever aux GEN, c'était bien qu'au sein même de la communauté, les histoires de racisme ou d'homophobie n'existaient pas. La valeur d'un GEN se mesurait à sa puissance physique et intellectuelle, sans que sa couleur de peau ou ses préférences amoureuses n'entrent en ligne de compte. De toute manière, notre espèce était incapable de reproduction naturelle, et forcer les hommes à fréquenter les femmes n'y aurait rien changé.
- Très bien. Je lui ai précisé qu'il ne devait rien dire.
Je m'essuyai les mains dans du papier mis à disposition près du lavabo et jetai celui-ci dans la poubelle. Rick, tapant du pied dans mon dos, ne fit pas mine de sortir.
- Et pour le reste ? risquai-je avec un hochement de tête entendu.
- Je l'ai fait comme tu l'avais demandé.
Il me jaugea comme pour percer à jour mes sentiments, mais j'obligeai mon corps à ne rien montrer. Un secret tacite me liait avec cet individu détestable, un secret pire encore que le simple fait de l'avoir choisi pour interroger Marc.
- Merci.
Je prononçai ce mot avec l'impression qu'il me brûlait la gorge et me forçai à enfouir la moindre trace de culpabilité au fond de moi. Personne ne saurait jamais rien et c'était très bien comme cela...
- Je veux ce que tu m'as promis, dit alors Rick d'un ton qui ne permettait pas la discussion. Tu m'as dit que je pourrais me lancer à la poursuite de Germond.
- Et je tiens parole. Mais n'oublie pas que tu restes sous mon autorité. Un pas de travers et notre accord ne tiens plus.
- Tu as plus à perdre que moi, Deveille, fit négligemment l'autre, mais être sous le commandement de l'Ange Noir me semble un compromis acceptable pour le moment. Ce n'est pas une si mauvaise place que cela. Alors, quels sont tes ordres ?
- Tu as mon feu vert pour suivre sa piste, annonçai-je sans faire cas de sa menace voilée. Seul ou avec une équipe, à toi de voir, mais je te rappelle que la discrétion sera de mise, et que rien ne devra fuiter inutilement. Germond a moins d'une journée d'avance, et son physique de Déformé va lui imposer la plus grande prudence, on peut donc espérer qu'il n'est pas encore allé trop loin.
- Et si je le trouve ?
- Tu as mon autorisation pour le tuer. Le maîtriser serait prendre des risques stupides étant donné sa force et ses pulsions meurtrières. Je resterai en communication avec toi pendant que tu seras à sa recherche, et s'il vient à approcher la planque que nous a indiqué Marc, et que je compte moi-même attaquer, ou tout autre lieu semblant abriter des Revenants, n'interviens pas sans avoir reçu mon aval.
Richard Simon grimaça ouvertement, sans toutefois contester mes paroles. Il croisa les bras dans son dos et opina du chef, le visage redevenu fermé en une fraction de seconde.
- C'est compris, lâcha enfin le GEN.
Il affronta brièvement mon regard avant de céder, et se détourna. Décidant que la conversation n'avait nul besoin de se poursuivre, je quittai les toilettes et m'éloignai dans le couloir en direction du bureau de Marx.
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