- Vic ! hurlai-je en me jetant en avant. Qu'est-ce que tu as fait ?

Ce n'était pas elle qui gisait là, mais une fillette d'à peine dix ans, et dont le corps était agité de spasmes. Je tombai à genoux près d'elle, glacée d'effroi et soulevai sa tête. Sa poitrine était tâchée de sang autour d'une plaie hideuse.

- Ça va aller, chuchotai-je à l'enfant, tout va bien.

Amanda et Samuel déboulèrent à cet instant et, pendant que la jeune Noire attrapait une Victoire sonnée par les épaules pour la tirer en arrière, j'écartai le pull de la malheureuse.

- Elle se vide de son sang, dis-je. Tu as la trousse de soins, Sam ?

- Cela ne suffira pas, il lui faut un médecin.

- Je sais.

Le GEN blond défit des compresses de leur emballage et m'aida à contenir l'hémorragie. Le teint de la fillette virait au gris et je sentis mon estomac se contracter. Elle n'en avait plus pour très longtemps.

- Regarde-moi, lui demandai-je. Tout va bien se passer, d'accord ? On va t'aider.

Elle hocha mollement la tête et je rencontrai le regard de Samuel. Les doigts accrochés à ceux de la jeune blessée, il fit un signe de dénégation, parfaitement conscient qu'elle était en train de mourir.

- Je veux maman, bafouilla la petite fille.

- Chut, tout va bien, la rassurai-je.

Je quêtai le soutien de Samuel, cherchant quelque chose à dire et me mordis l'intérieur des joues. D'ailleurs, où était-elle, cette maman que réclamait l'enfant ? Que faisait une gamine seule à une heure pareille ? S'il y avait des adultes à sa recherche non lui de là, il ne fallait pas traîner.

- Maman, répéta-t-elle. Maman... Papy, il est dans les étoiles ?

Samuel lui caressa le front et je fus certaine de voir une larme couler le long de son nez.

- Oui, il y est, dit-il. Dans l'étoile qui brille le plus, la plus belle de toutes.

La fillette sourit faiblement et prit une inspiration rauque. Puis ne bougea plus.

Le cœur tambourinant entre mes côtes, je sentis que le poids du petit corps m'était retiré lorsque Samuel passa un bras sous elle et la déposa sur le sol entre nous deux.

- Elle ne méritait pas ça, soufflai-je en me relevant.

Victoire était toujours repliée en position fœtale à quelque pas de là, sous la surveillance d'Amanda qui luttait pour contenir ses émotions. Elle semblait choquée et se balançait d'avant en arrière, les yeux fixes. Son état aurait probablement nécessité du tact et de la douceur après ce qui venait de se passer, pourtant je marchai droit sur elle et la saisis par le col pour la remettre sur ses jambes.

- Pourquoi tu as fait ça ? assénai-je. Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Je..., je ne sais pas, je suis... Je suis désolée, couina mon ancienne meilleure amie.

- Réponds ! criai-je en la secouant. Qu'est-ce qui s'est passé ?

Victoire gémit sans se défendre alors que je la malmenais, et je raffermis ma prise sur sa gorge, furieuse. Ni Samuel, ni Amanda qui s'était rapprochée de la fillette sans vie pour lui fermer les yeux n'intervinrent.

- Elle... Je l'ai suivie et elle m'a vue, finit par avouer la GEN rousse.

- Et tu n'as rien trouvé de mieux que lui tirer dessus ? Alors que je t'avais ordonné de rester dans le van avec Amanda ?

C'était la phrase à ne pas prononcer, car l'expression de Victoire se modifia aussitôt. Ses yeux s'assombrirent et ses lèvres se pincèrent, toute trace de culpabilité envolée.

- Je n'ai pas d'ordres à recevoir de toi ! explosa-t-elle en essayant d'échapper à ma poigne de fer. C'est Tribal, le chef de l'expédition, pas toi !

Je n'eus pas le loisir de lui répondre avant qu'une main ne se pose sur son épaule pour l'écarter de moi. Tribal avait visiblement jugé qu'une voiture remplie d'humains capturés représentait un danger moindre face à deux GEN sur le point de s'entretuer. Il dévisagea Victoire avec un dégoût à peine dissimulé.

- Arrête avec tes excuses foireuses, Victoire, cingla-t-il. En te joignant à la Chasse avec nous, tu savais pertinemment que je ne menais l'opération que sur le papier puisque j'ai le titre d'agent contrairement à Luna. Et que ce serait elle qui aurait les commandes, parce qu'elle est la meilleure d'entre nous.

Samuel hocha la tête et se déplaça volontairement pour se ranger derrière moi. Je m'en voulus d'avoir imposé la présence de mon amie d'enfance pour en arriver là, même si tous prenaient mon parti.

Victoire ignora superbement la tirade de Tribal et planta son regard dans le mien. Nous nous jaugeâmes longuement, elle, la rousse, et moi, la brune. Autrefois si proches et désormais à des années lumières l'une de l'autre. Notre affrontement silencieux faisait penser à celui de deux fauves cherchant à instaurer une hiérarchie – à ceci-près qu'aucune de nous ne se mettrait sur le dos en signe de reddition à son terme. Victoire finit par cligner des paupières et détourna la tête, vaincue. Son visage se tordit en une grimace amère :

- Alors, quelle punition préconise-tu pour la mort de cette petite humaine ?

Je posai les yeux sur le cadavre de l'enfant. N'avait-elle pas de parents pour veiller sur elle ? Avait-elle fait une fugue ? Je songeai ensuite à ses proches qui n'auraient jamais de réponses sur sa disparition, ainsi que ma propre famille l'avait vécu.

- Chargez-la dans la voiture avec les autres. Si on la laisse ici, on risque d'attirer l'attention sur nous, dis-je enfin.

La bouche sèche, je passai devant Victoire et m'adressai à elle sans m'arrêter.

- Quant à toi, tu régleras cette affaire avec Rick. Il se chargera de te dire le reste.

- Et je te conseille de trouver une meilleure explication, se moqua Tribal en m'emboîtant le pas.

Je ne me retournai pas mais devinai sans mal les traits blêmes de la superbe GEN face à cette idée. Pour avoir déjà eu à faire à lui, je savais qu'il n'aurait aucune pitié pour elle.