Chapitre 29
Le visage aux angles carrés de Marc se leva vers la caméra et un sourire fou étira ses lèvres. Ses yeux luisaient d'un éclat mauvais et il m'évoqua un animal enragé lorsqu'il saisit le garde venu l'intercepter au col de sa veste. Il le balança contre le mur avec une violence bestiale puis sortit du champ de surveillance de la caméra, suivi de près par des deux acolytes, poignards en main et armes de gros calibre à la ceinture.
Passé un moment de flottement durant lequel je digérai ce que je venais de voir, tout se mit en place dans mon esprit avec la netteté de l'évidence. Le serveur, à l'hôtel, sa main agitée de tics... Il ne s'agissait pas là d'une manifestation de son stress, mais des spasmes incontrôlés dus à la dépendance au Rêve, la drogue prise par mon ami de lycée. C'était lui, déguisé, qui m'avait tiré dessus. Lui, qui avait essayé de me tuer. Mais, pourquoi ?
Albert Niels, de l'autre côté de la table, se recroquevilla sur sa chaise, souhaitant plus que tout autre chose disparaître, mais je n'eus aucune pitié et me ruai vers lui, l'attrapant par le haut de son vêtement. Dans mon dos, Allan stoppa le geste de Madeleine pour m'arrêter.
- C'est une plaisanterie ? sifflai-je, hors de moi. Marc, un agent double ? Un GEN instable et complètement accro au Rêve ?
- Je..., je ne...
- Il faut prévenir la sécurité, s'interposa Annabelle d'un ton sans appel et en se saisissant de son portable.
Je relâchai légèrement la pression que j'exerçais sur la gorge du Revenant et le fixai sans ciller, histoire de bien lui faire comprendre que la conversation n'était pas terminée du tout et qu'il allait passer un sale quart d'heure quand je pourrais m'occuper de son cas.
- Où arrivera-t-il en premier ? demandai-je en me détournant enfin.
- La zone de vie. Près du réfectoire.
- Allons-y.
Les jumelles s'élancèrent, Allan et moi sur leurs talons, pendant qu'une alarme stridente retentissait dans tout le bunker. Tout en avalant une volée de marches pour remonter dans les étages supérieurs, Annabelle fouilla ses poches, et, une fois sur le palier, se tourna vivement vers nous :
- Vous devriez rester en dehors de ça. Vous n'êtes pas armés.
- Pas besoin, répliquai-je sobrement.
Madeleine nous avait devancés et se mit à arpenter le corridor en hurlant à plein poumons qu'il fallait se mettre à l'abri.
- Soldats, à vos postes ! Évacuez la zone ! Dépêchez-vo...
Bang ! La porte située à l'opposé de ma position s'arracha littéralement de ses gonds, laissant entrer dans un concert de cris les trois GEN déchaînés venus s'introduire dans la base des Revenants, armes au poing.
- A terre ! criai-je en me ruant en avant.
Je bondis par la porte vitrée du réfectoire et jetai au sol une femme tétanisée, faisant dans le même mouvement basculer une table qui se renversa de sorte qu'elle constitua un bouclier. Juste à temps. Les coups de feu se mirent à pleuvoir, dans un grand bruit de verre brisé et je m'aplatis à plat-ventre, les mains sur la terre. Je me redressai dès que la fusillade cessa et évaluai la situation.
Les jumelles, accroupies dans le corridor, derrière un panneau de verre encore intact, communiquaient par geste avec les soldats dissimulés près d'elles, tandis qu'Allan, qui avait eu la même idée que moi et s'était servi du mobilier pour protéger les personnes présentes, se penchait hors de sa cachette pour vérifier où se trouvaient les assaillants. Je jetai un œil prudent dans la direction de Marc et ses acolytes, debout à l'entrée du réfectoire et fronçai les sourcils. Mon ancien ami, les yeux dévorés par la folie, ne ressemblait définitivement plus au jeune homme jouant aux cartes dans un bus deux ans plus tôt. La bave aux lèvres, il leva le canon de son arme, un gros calibre adapté au tir à répétition.
- Si vous n'êtes pas avec nous, vous êtes contre nous ! s'égosilla-t-il en rechargeant l'arme. Si vous êtes contre nous, vous êtes morts !
Bon sang, il n'y avait pas l'ombre d'un doute possible : il débloquait complètement. Une nouvelle salve de balles traversa la pièce et ses deux complices, une fille aux cheveux bruns et longs qui n'avait finalement rien à voir avec Victoire, et un Noir large d'épaules, le crâne rasé.
- Luna ! m'interpella Allan, toujours caché derrière sa table.
Je hochai la tête dans sa direction et il agita les doigts, me désignant sa poitrine puis Marc qui hurlait comme un possédé en tirant dans tous les sens, ne laissant aucune chance aux Revenants se s'approcher de lui.
- Okay, opinai-je sans attendre. Je m'occupe des humains. Ça va ? ajoutai-je à l'intention de la femme que j'avais tiré de la ligne de tir de Marc.
Brune, les cheveux courts, elle était pâle comme un linge.
- Vous êtes...,
- Peu importe qui je suis, dis-je fermement. Je vais vous aider à sortir de là, d'accord ? Y a-t-il un endroit proche où vous pourriez vous enfermer avec les autres ?
- Oui... La zone d'entrainement, juste là, bégaya-t-elle, les yeux fixés sur mon visage.
- Très bien.
Je me relevai légèrement en prenant appui sur mes talons et fis un rapide inventaire du nombre de Revenants terrés un peu partout, derrière le comptoir du self, un monticule de table ou encore un meuble de rangement. Le réfectoire carré n'offrait pas tant de cachettes que cela, mais pour le moment, les trois GEN restaient sur place, se contentant de terroriser tout le monde sans chercher à attaquer quelqu'un en particulier. J'avais donc le champ libre pour faire sortir les personnes piégées avec moi.
- Est-ce que vous avez une arme ? demandai-je à la femme. Et quel est votre nom ? Moi c'est Luna.
- Bri...Brigitte. Je... j'ai une arme, mais...
- Donnez-la moi. Ecoutez, Brigitte, je vais faire diversion, et à mon signal, vous courrez vers la porte de la zone d'entrainement et vous vous y enfermerez, c'est compris ? Les autres vous suivront, et vous ne fermerez que derrière eux.
- D'accord.
Sa voix chevrota mais elle opina du chef, visiblement décidée. Je soupesai le petit revolver qu'elle m'avait donnée, une arme minuscule et pourvue de balles ordinaires. J'allais devoir compter mes tirs pour assurer la diversion.
- Maintenant ! ordonnai-je.
Je me levai d'un bond, criant à toute les personnes près de moi de fuir derrière Brigitte. Marc avait cessé de tirer, occupé par Allan et Madeleine qui le distrayaient pendant qu'Annabelle les contournait avec une poignée d'hommes. La fille couvrait les arrières des deux autres, interceptant quiconque essayait d'entrer par la porte par laquelle ils étaient arrivés, mais le GEN Noir pointa sa mitraillette droit devant lui, prêt à stopper les fuyards. Sans lui en laisser le temps, je tirai, atteignant son poignet et lui faisant lâcher, et me jetai sur lui, franchissant la moitié de la pièce d'un seul saut, lui administrant un superbe coup de pied dans le bas-ventre.
- Espèce de...
Je ne sus jamais ce que j'étais à ses yeux et le cognai sous le menton avec tant de force que sa tête partit en arrière. Fou de rage, il me saisit le bras et le tordit, manifestant une force incroyable qui m'arracha un grondement de douleur. Le Rêve décuplait ses capacités, le rendant pratiquement plus puissant que moi. Je me défis violemment de son étreinte et plaquai le canon de mon arme contre sa bouche, y logeant une balle sans le moindre état d'âme.
Le GEN s'affala, le visage en sang, dans une curieuse imitation de la même scène vécue avec Rick, le fameux jour où je m'étais enfuie pour la deuxième fois, et où je lui avais tiré dans la figure. Je me détournai de lui, revenant à Marc sur lequel Allan venait de sauter, roulant au sol. La fille, quant à elle était aux prises avec Annabelle, qui l'avait amenée à terre et enserrait son cou de ses jambes.
- VOUS-ETES-CONTRE-NOUS ! rugissait Marc, assénant un coup de poing dans les dents de mon mentor, articulant chaque mot avec exagération.
- Marc ! Arrête ! m'écriai-je.
Il hésita, louchant sur Allan, puis sur moi et finit par pivoter et se remettre debout. Je me giflai mentalement. J'avais prévu de le calmer en lui parlant et en évitant ainsi qu'il se fasse massacrer – même si les soldats de Niels ne brillaient pas par leur efficacité – mais en vérité, qu'allais-je lui dire ? Le regard haineux du jeune GEN laissant clairement penser qu'il ne me reconnaissait pas vraiment et n'avait pas l'intention de cesser quoi que ce fut. Allan, les jambes fléchies et un peu de sang coulant de son nez, n'intervint pas, me laissant gérer les choses.
- Ne fais pas ça, repris-je. On peut t'aider.
Mais oui bien sûr, et puis quoi encore ? La dépendance au Rêve ne se soignait pas, je le savais parfaitement. Pourtant, Marc plissa les yeux et une lueur familière y brilla.
- Luna. Es-tu avec nous ?
Je fis un pas en avant, sans rien dire.
- Ne leur fais pas confiance. Ils ne sont pas avec nous.
- Qu'est-ce que tu veux dire, Marc ? interrogeai-je doucement, sans faire attention au tapage produit par la GEN brune qui refusait de se laisser maîtriser. Explique-moi.
Il frissonna et j'échangeai un regard avec Allan. Il délirait, rien de ce qu'il ne pouvait dire n'avait de sens. Mon mentor secoua la tête comme pour me dire de renoncer à le raisonner, mais Marc parut soudain sortir de sa transe. Il serra les dents, redevenant le monstre qui avait attaqué le bunker quelques minutes plus tôt.
- Ils sont contre nous, gronda-t-il encore.
Là-dessus, il fit volte-face et s'enfuit par là où il était entré. Ni Allan ni moi ne fîmes un geste pour le retenir.
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