Chapitre 24
- Luna ? Tu ne te sens pas bien ? s'inquiéta encore Samuel. Envie de vomir ?
Je m'écartai aussi vite que me le permettaient mes muscles engourdis, refusant de regarder plus longtemps l'image renvoyée par le miroir, et entrai dans la douche, le cœur tambourinant dans ma poitrine. Je devais me ressaisir, et ne plus penser à ces futilités. J'étais en vie et c'était déjà le principal.
- Si, si, ça va, dis-je d'un ton convaincant. Raconte-moi plutôt ce que j'ai manqué, à l'Institut.
J'ouvris le jet d'eau après avoir décidé de me laver assise pour préserver mon maigre équilibre, mais le laissai couler assez doucement pour entendre parler Samuel dans la pièce voisine. L'eau me détendit et chassa un peu de mon esprit mes préoccupations.
- Eh bien..., réfléchit mon ami d'une voix forte, j'ai passé quelques temps dans les vapes, alors j'ai sûrement raté des choses moi aussi. Mais à part le branle-bas de combat qui a suivi ta disparition aux laboratoires Bollart, je ne crois pas qu'il se soit passé grand-chose. Plus de morts suspectes, des recrues très obéissantes...
- Comme par hasard, ironisai-je en me savonnant. Histoire de bien enfoncer le clou et montrer que j'étais la coupable !
- Ouais, commenta simplement mon ami. Ah, si, il y a une chose que tu as loupé ! Tu aurais dû être là, c'était mémorable !
Cette conversation légère avec mon meilleur ami me faisait du bien et j'esquissai un sourire :
- Raconte !
- Victoire a embrassé Geb et lui a demandé de sortir avec elle.
Je levai les yeux au plafond en achevant de mettre du shampoing dans mes cheveux et rallumai le jet d'eau. C'était du Victoire tout craché, ça, mais je n'aurais jamais pensé qu'elle oserait avec Geb.
- Cette fille me déprime, grognai-je. Et qu'est-ce qui s'est passé ?
- Il lui a dit non, et de ne surtout pas recommencer parce qu'elle n'était pas du tout son genre. Imagine sa tête !
- Pas son genre..., ris-je doucement. Tu m'étonnes ! Il préfère surement les poils sur le torse d'Ismaël à la grosse poitrine de Vic, hein ?
Pendant que le GEN blond calmait son fou-rire, je me relevai péniblement et m'enveloppai dans une serviette en me retenant de grimacer. Chaque mouvement était plus douloureux que le précédent et tiraillait toutes les fibres de mon corps. La bouche soudain sèche, j'allai m'asseoir sur le couvercle des toilettes pour reprendre des forces.
- Le pire, ajouta Samuel, c'est que ça ne l'a pas arrêtée. Quand elle lui a dit qu'elle ne voyait pas pourquoi il ne s'intéressait pas à elle alors qu'il était déjà sorti avec toi, il a répondu que toi, tu avais au moins le mérite d'avoir un cerveau et que cela compensait le reste.
- Le reste ?
- Tu sais comment il est, dans sa bouche il s'agissait certainement d'un compliment.
Je séchai mes cheveux de façon sommaire et sans trop lever les bras – de toute manière j'en étais incapable – et m'habillai avec une lenteur insupportable. J'avais beau haïr Marx et la communauté pour le monstre qu'ils avaient fait de moi, j'étais habituée à mes capacités surhumaines et je supportais mal d'être aussi vulnérable. Lorsque j'eus terminé, je pris une grande inspiration avant de me lancer dans la traversée de la salle de bain pour aller rejoindre la chambre, et me laissai tomber sur le lit, exténuée.
- Tu veux manger quelque chose ? proposa Samuel.
- Ça va, dis-je, craignant de déclencher de nouvelles nausées. Au fait, où en était l'enquête ? Les suppôts de Marx n'ont trouvé aucun indice menant à une autre piste que la mienne ?
- Pas que je sache, non. Mais...
Mon meilleur ami écarta ses cheveux de son visage et s'assit à côté de moi, un air étrange plaqué sur sa figure. Il avait quelque chose à me dire, c'était évident.
- Luna, je dois t'annoncer quelque chose d'important, même si je pense que ça ne te plaira pas.
- Je t'écoute.
- Okay. Après ta fuite des laboratoires Bollart, tout le monde était persuadé que c'était toi, la meurtrière, et aussi que tu avais provoqué la rébellion des recrues. Je crois que ça n'a pas motivé grand-monde à chercher un autre coupable, mais nous – Trib, Amanda, Geb et moi – étions sûrs du contraire. Même Ismaël s'est joint à nous pour essayer de comprendre ce qui s'était passé. Amanda était morte d'inquiétude et a bassiné Tribal pour qu'il s'implique vraiment et qu'il t'innocente, alors on s'est mis à surveiller un peu tout le monde.
- Et ?
- Ecoute... Je sais ce que tu vas dire : on est des centaines à naviguer à l'Institut, ça pourrait être n'importe qui, mais Victoire a vraiment un comportement bizarre ces derniers jours. Et je ne parle pas de sa demande à Geb.
- Qu'est-ce qui vous fait dire ça ? demandai-je d'un ton neutre.
- Elle est souvent absente et n'occupe plus son poste au laboratoire. Je l'ai vu discuter avec le directeur comme si elle se rapprochait de lui, mais surtout, elle continue à s'entraîner d'arrache-pied, et, juste avant que je ne parte pour les laboratoires avec Trib et Amanda, je l'ai entendue se disputer avec Irina Malcolm. Elles parlaient du sérum, même si j'ignore pourquoi.
Victoire. Je m'attendis à ressentir de la colère, de l'incrédulité, du chagrin. Rien ne vint. Je restai immobile, comme si l'idée que mon ancienne meilleure amie puisse être impliquée dans cette histoire ne me troublait même pas et ne me semblait pas impossible. Il m'apparaissait à présent que l'épisode de la fillette abattue en pleine rue avait rompu tous les liens que je pouvais encore avoir avec elle.
Je fronçai tout de même les sourcils, gênée par un détail :
- Quelque chose ne va pas, dans votre raisonnement, dis-je. Je connaissais à peine Caleb et Ravier, mais Tari ne se serait jamais laissé surprendre par Victoire. C'est elle qui y aurait laissé sa peau si elle avait tenté quoi que ce soit. Et pourtant, la taille semble correspondre à ce que j'ai vu sur les images de vidéosurveillance...
Nous nous dévisageâmes un instant, chacun réfléchissant de son côté.
- Peut-être qu'elle avait un complice, finit par dire Samuel. Mais tu as raison, c'est étrange, sans compter que j'ai du mal à imaginer Victoire, qui adule Marx, lui nuire.
Il se leva et termina de fourrer mes affaires et les dernières provisions dans un sac à dos. Un autre, contenant ses propres vêtements et armes, était prêt devant la porte. Pour ma part, je patientai en me massant le ventre, encore perdue dans mes pensées concernant Victoire.
- On s'en va, Luna, m'informa soudain Allan, passant juste la tête dans l'encadrement de la porte.
- J'arrive, opinai-je tandis qu'il refermait.
Une sorte de barre métallique paraissait m'enserrer le crâne et je bus une gorgée d'eau dans la bouteille posée sur la table de nuit. C'était le moment d'y aller, de savoir si les Revenants existaient, et, surtout, ce qu'ils me voulaient.
Samuel s'approcha et m'aida à me remettre debout, gardant ma main dans la sienne en la pressant légèrement. Son regard sombre se planta dans le mien.
- Fais attention à toi, Sam, souris-je. Et veille à ce que l'on me fasse des funérailles dignes de ce nom.
- Des funérailles ? Je ne ramène pas de corps, je te rappelle.
- Mais je suis le meilleur agent de Marx, non ? fis-je mine de m'offusquer. Je croyais que cela donnait lieu à des privilèges.
Il secoua la tête, amusé.
- Toi aussi, sois prudente. Tu vas certainement vers un endroit bien plus dangereux que moi. Tu ne peux pas te fier à ces gens.
- Je sais.
- Je suis sérieux, reprit-il. Je... Allan et moi, on s'est fait du souci, on a cru qu'on allait te perdre, Luna. Il a fallu te ranimer deux fois, ton cœur lâchait, c'était l'enfer. Je ne veux pas revivre ça.
Je ne trouvai rien à répondre, gênée, me contentai de lui rendre l'étreinte qu'il maintenait sur mes doigts, mais Samuel le l'entendait pas de cette oreille. Il se pencha sur moi, les yeux chargés de douceur et posa ses lèvres sur les miennes.
On s'imagine souvent comme va se passer le premier baiser avec la personne qu'on aime. Est-ce que je vais bien embrasser ? Est-ce que ça va durer longtemps ? Est-ce que je fermerai les yeux ? On espère un moment merveilleux, des papillons dans le ventre et tout le tralala. Mais pour moi, il n'y eu rien de tout cela, rien d'autre que de la panique et l'envie de crier au secours. Comprenez-moi bien, j'aimais Samuel. Je le savais depuis ce fameux jour – pas le tout premier jour où je l'avais vu, les coups de foudre, ça n'existe pas – où je l'avais vu avec Nacera. Elle le tenait par la taille et ils riaient ensemble, s'embrassant sur le nez et les lèvres. Alors, un litre entier d'acide s'était déversé dans mon estomac et j'avais compris ce que je ressentais pour lui. Mais à mesure que le temps passait, et que je nous voyais rester amis même après sa rupture, je m'étais dit que c'était sans doute mieux ainsi. Je ne pouvais échapper aux relations avec les autres, aux amitiés, mais je pouvais tenir l'amour à l'écart. Toutes les attaches que je pouvais créer étaient autant de forces que de faiblesses, et surtout, de cibles potentielles pour mes ennemis et de personnes à protéger. Et si je laissai libre cours à mes sentiments pour Samuel, j'avais peur que cela ne me détourne de mon objectif qui était de retrouver ma liberté tout en préservant ma famille et mes amis. Il était donc préférable que les choses restent ainsi, et c'est pourquoi j'eus cette réaction.
Je le repoussai, violement, comme s'il m'avait brûlée. Le GEN blond cligna des paupières, stupéfait et les bras ballants.
- Luna ? bégaya-t-il. Tu ne...
- On ne peut pas, Sam, chuchotai-je, le ventre noué.
- Mais...
- De toute façon, je ne veux pas.
Les jambes molles et la tête envahie d'un battement désagréable, je me détournai et m'adossai à la porte. Je me détestais à cet instant, mais tins bon et ne retournai pas vers lui.
- Tu ne veux pas, répéta Samuel qui avait changé de ton. Tu ne veux pas quoi ? Juste du baiser ? Ou de moi ?
Il se tenait toujours au même endroit, le regard dur sous ses longs cils, et je sus que je l'avais blessé. J'eus toute les peines du monde à le regarder dans les yeux et à ne pas me recroqueviller, et me maudis d'être aussi faible et fatiguée à ce moment précis. La Luna que j'étais d'habitude ne se serait certainement pas sauvée comme une collégienne, et aurait expliqué ses raisons avec franchise.
Pourquoi avait-il fallu qu'il fasse une chose pareille ? Qu'il fasse tout voler en éclat ? Non, après tout ce n'était pas sa faute. C'était moi, qui avait tout gâché.
- De toi, laissai-je tomber comme un couperet.
Un grondement de fauve échappa à Samuel qui s'avança d'un pas.
- Je ne te crois pas.
- Peu importe ce que tu crois, dis-je en me faisant l'effet d'une sorcière cruelle, je ne veux pas de toi. Je ne t'aime pas.
Samuel marcha droit sur la porte, les épaules raides et empoigna son sac à dos. Il se tourna ensuite vers moi et, m'attrapant par le bras, se rapprocha jusqu'à ce que nos nez se touchent.
- Moi, je t'aime, jeta-t-il. Et j'ai mal. Rappelle-toi bien ça, la prochaine fois que tu me verras.
Il manqua d'arracher la porte de ses gonds en sortant, et me laissa seule, le cœur aussi ravagé par la peine que par le poison qui me consumait. Je me laissai glisser le long du mur et m'assis, me répétant inlassablement que j'avais pris la bonne décision.
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