Chapitre 22

Rêve...

J'ouvre les yeux. Je suis allongée sur le sol, un sol blanc qui n'a ni chaleur ni texture. Je ne ressens rien, ni émotions, ni sensations.

Je m'assieds sur les fesses puis me lève. Cette fois-ci, pas de chambre ni de lieu familier, mais je me souviens. De tout. Qui je suis, ce qui m'est arrivé, de ma transformation à cet homme qui m'a abattue. Mais j'ignore où je suis. J'ignore même si tout ceci est réel.

Je marche droit devant moi, dans cet environnement blanc, sans rien devant moi, sans savoir si mes pas vont me conduire quelque part.

Puis, une silhouette se dessine devant moi, immobile, le visage tourné dans ma direction. A mesure que j'avance, ses traits se précisent et je la reconnais. La tresse grise dans le dos, les yeux clairs et brillants, les mains fripées ornées d'une foule de bagues et les poignets chargés de bracelets. Ma grand-mère. Paule.

Je fronce les sourcils et tends la main vers elle, interdite.

- Mamie ?

- Bonjour, ma chérie.

Elle sourit comme si ma présence n'avait rien d'étonnant et fait volte-face, s'éloignant les bras croisés dans le dos.

- Attends ! je proteste. Où suis-je ? Quel est cet endroit ?

- A toi de me le dire, dit-elle. Je n'y suis jamais venue non plus.

Je la rejoins en courant et elle s'arrête de nouveau.

- Que t'est-il arrivé, Luna ? demande ma grand-mère. Réfléchis bien.

- Je suis morte, dis-je. On m'a tuée.

- Vraiment ? Es-tu certaine d'avoir quitté la vie ? Moi, je suis morte, mais toi ?

C'est alors que je baisse les yeux sur mon corps, étrangement translucide, puis relève les yeux sur Paule, dont les vêtements colorés sont aussi éclatants que de son vivant. Bon sang, mais qu'est-ce que c'est que cette saleté d'endroit ? Je m'y retrouve seule, en compagnie d'une défunte, sans Allan ou même Samuel pour m'aider.

Un mouvement à ma droite accroche mon regard et je tombe des nues en voyant mon mentor apparaître lentement, tout habillé de blanc, presque fantomatique. Il sourit, sans rien dire, et agite la main.

- Qu'est-ce que... ? je commence.

Mais je suis coupée dans mon élan par un deuxième personnage qui se dessine près d'Allan, un jeune homme blond, vêtu comme lui, et reconnaissable entre mille.

- Tu as compris ? s'amuse ma grand-mère.

- Oui..., je souffle. Nous sommes dans ma tête.

- Oui. Et tout ce qui s'y trouve correspond à ce que tu désires y voir. Si à cet instant tu imaginais un parc boisé, nous nous y retrouverions sûrement... Ou alors une plage. C'est bien une plage.

Je ravale mon envie de rire, parce qu'être coincée dans ma propre tête avec des amis imaginaire ne me parait pas être bon signe.

- Je suis en train de mourir, j'annonce. Tu es morte et, eux, sont vivants.

Je désigne Samuel et Allan qui se contentent de me regarder. Leur vue me fait penser à Amanda et Tribal, qui, bientôt, se matérialisent derrière eux. Je déglutis, mal à l'aise.

- Mais alors que suis-je ? j'interroge. Morte ou vivante ? Vous êtes en couleur, les autres en blanc, mais je ne suis ni l'un ni l'autre...

Guilhem vient s'ajouter au petit groupe, apporté par le fil de mes pensées et il s'avance, l'air ravi. Il se poste à côté de ma grand-mère et hausse les épaules.

- Peut-être que tu es entre les deux, suggère-t-il, son pull coloré se détachant dans le blanc ambiant.

- Alors est-ce que j'ai le choix ? Passer d'un côté ou de l'autre.

- Non, me détrompe Paule. Si tu dois mourir, tu mourras. Si tu dois vivre, tu vivras. Ce que tu souhaites ne changera rien. Je te promets que sinon, j'aurais dit à mon cancer d'aller se faire voir.

Son langage me tire un ricanement. Mamie Paule a toujours été comme ça, franche et honnête avec elle-même et les autres.

- Que dois-je faire ? je demande encore.

- Rien. Il suffit d'attendre. Peut-être que jusque-là, tu pourrais nous mettre cette fameuse plage, non ?

- Mais, reprends-je sans l'écouter, pourquoi ils ne parlent pas ? Ceux en blanc ?

- Je n'en sais rien, répond Guilhem. Peut-être que tu es plus proche de la mort que de la vie...

Je fais face au petit groupe en blanc. Mon ventre se tord sous l'effet de l'angoisse. J'essaie de toucher l'épaule de Tribal mais je passe à travers. Un frisson qui n'a rien à voir avec la température me secoue, puis, soudain, les lèvres du grand Noir s'entrouvrent.

- Nous sommes là pour toi, Luna. Reviens. Reviens, Luna.

***

Je revins à la réalité de la façon la plus brutale qui fut, aussi brutale d'ailleurs que le flot de bile brûlante qui jaillit de mes lèvres et me plia en deux. Hoquetant, je sentis des mains me tirer en avant pour positionner ma tête au-dessus d'une forme rouge indistincte à travers les larmes qui obstruaient ma vue, et qui devait être une bassine.

- Allan ! Venez ici ! hurla une voix masculine juste à côté de ma tête.

- Qu'est-ce qui lui arrive ? Elle est réveillée ?

- Elle...elle crache ce truc. Ce truc noir.

Un nouveau spasme me fit rendre une nouvelle vague de liquide, puis mon estomac se calma un peu. Le souffle court et les côtes douloureuses, je battis des paupières et tentai de me redresser.

- Qu'est-ce qui m'arrive ? croassai-je d'une voix qui parut ne pas m'appartenir. Qu'est-ce... qu'est-ce qui se passe ?

Les mains qui me maintenaient m'aidèrent à m'adosser aux oreillers et je parvins à améliorer ma vue d'un mouvement de cils. Allan et Samuel, le visage inquiet, s'encadrèrent dans mon champ de vision et échangèrent un regard éloquent.

- Comment tu te sens ? demanda avec douceur mon mentor.

- C'est quoi ce bordel, Allan ? le coupa Samuel en s'asseyant au pied du lit. Cela ne fait pas partie du processus... Elle devrait...

Je passai une main sans force sur mon visage, laissant mes idées se remettre en place et les souvenirs revenir.

- Je devrais être morte, chuchotai-je, secouée de frissons.

- Je ne sais pas, dit Allan avec un haussement d'épaules. Tu as mal quelque part ?

A présent que mon estomac ne semblait plus rempli de feu, je me rendais compte que tout mon corps était perclus de douleurs, et que mes muscles me tiraillaient au moindre geste. Je me sentais aussi faible qu'un nouveau-né. Un haut-le-cœur me força à m'incliner encore une fois au-dessus de la bassine, et je vis nettement le liquide noir comme du goudron jaillir de mes lèvres et s'écraser au fond dans un bruit répugnant.

- Elle ne va pas bien du tout, murmura Samuel. Mais le poison ne l'a pas tuée.

Un brusque crissement de pneus dehors empêcha Allan de répondre et il fronça les sourcils, cessant d'arranger mes oreillers. Une portière claque, achevant de le mettre sur ses gardes et il fit un signe de tête à Samuel. Ce dernier dégaina aussitôt un long poignard et se faufila jusqu'à la porte. Je sursautai violemment quand le battant s'ouvrit d'un coup sur un colosse qui dû baisser la tête pour entrer et empoigna Samuel par le col, comme s'il ne pesait rien. Un colosse qui n'était autre que Stone, ce cher instructeur de l'Institut, avec lequel je n'avais d'ailleurs pas passé beaucoup de temps avant de rejoindre Allan. Mais que faisait-il ici ?

- Harvey, gronda Allan, son arme pointée devant lui. Comment es-tu arrivé jusque-là ?

J'essayai de chercher quelque chose pour me défendre aussi, mais les vertiges se rappelèrent à mon bon souvenir et mon front se couvrit de sueur. Je remontai le drap sur moi, et serrai les paupières pour me reprendre.

De son côté Stone entra paisiblement dans la chambre et reposa Samuel à terre, l'air décontracté. Il leva les mains devant lui, puis posa les yeux sur moi.

- Elle est malade, dit-il. Le poison la ronge.

- Merci, on avait remarqué, cracha Samuel et se massant le cou. Qu'est-ce que vous foutez ici ?

- Je suis venu pour elle. Je connais le moyen de la soigner.

Me soigner ? Il avait s'était offert une dose de Rêve, la drogue que Marc prenait, ou quoi ? Le poison ne se soignait pas, seul un fou ou un ignorant aurait pu croire cela.

- Arrêtez de parler comme si je n'étais pas là, protestai-je.

- Qui t'envoie ? jeta sèchement Allan. Réponds ou je te descends.

- Les Revenants. Je suis avec eux.

S'il avait à ce moment précis poussé deux têtes à mon ancien instructeur, nous ne l'aurions certainement pas regardé avec une expression différente. Samuel eut une moue clairement incrédule et recula un peu pour mettre le colosse en joue. Un Revenant, lui ?

- S'il te plait, Allan, plaida l'intrus. On peut discuter.

Je laissai échapper un hoquet, prise de nausée et portai la main à ma bouche, cherchant à me maîtriser. Mon souffle précipité agitait mes épaules courbatues.

- N'essaye pas de te retenir, conseilla le colosse. Il faut que ton organisme évacue la substance.

Nul ne pipa mot pendant que je vomissais, et Allan me retira la bassine dès que j'eus terminé. D'un simple coup d'œil, il fit comprendre à Harvey qu'il avait intérêt à ne pas broncher, puis se rendit dans une petite pièce qui devait être la salle de bain. Je l'entendis tirer la chasse, puis rincer la bassine, et lorsqu'il revint, il tenait une poubelle métallique qu'il me colla entre les jambes. Je relevai les genoux et l'enserrai de mes bras. Réprimant mes tremblements de froid, je reportai mon attention sur l'immense GEN.

- Alors, reprit Allan. Qu'est-ce qu'ils lui veulent, tes Revenants ?

- Notre chef veut s'entretenir avec elle. C'est tout. Mais maintenant qu'elle a été blessée, il propose de la soigner.

- Contre quoi ? interrogeai-je, profitant de ce que mon estomac restait tranquille.

- Ça, je l'ignore. Je ne suis qu'un intermédiaire.

Du coin de l'œil, je vis Allan secouer la tête en prévision de la réponse négative qu'il allait lui faire, et je ne lui laissai pas le temps d'ouvrir la bouche. J'avais beau me sentir mal, mon intérêt était tout de même éveillé par les propos du GEN, et il n'était pas question que l'on décide à ma place.

- Qu'est-ce que vous savez de cette histoire de guérison ? Comment pourrait-on m'aider ?

- Fais-vite ou je te jure que ta cervelle ira tâcher le mur, ajouta Allan ce qui me fit lever les yeux au ciel.

Stone fit un pas en avant et se figea devant l'expression de mes gardes du corps attitrés.

- Le cas de Luna n'est pas unique, dit-il très vite. Il y a des dizaines d'années, deux autres GEN presque aussi parfaits, aussi aboutis ont été créés.

- Les jumelles, comprit Samuel.

- Oui. Elles ont échappé à l'Institut, nul n'a jamais vraiment su pourquoi, mais elles ont rejoint les Revenants, et en font encore partie aujourd'hui.

- Quel rapport avec moi ? intervins-je.

- Il y a six ans, l'une d'elles, Madeleine, a été empoisonnée de la même façon que toi. Nous avons tous cru qu'elle allait mourir, comme toutes les victimes du poison, mais les jours passaient et elle luttait toujours. Elle a survécu, Luna. Nous avons dû drainer son corps pour éliminer la substance, mais elle a survécu.

- Et pourquoi aurions-nous besoin des Revenants pour cela ?

- Ton organisme n'y arrivera pas seul. Et si vous tardez trop, tes organes seront atteints de façon irréversible.

Je restai silencieuse. Pour un réveil mouvementé, ça, c'en était un ! D'abord, je réalisais que je n'étais pas morte, et ensuite que l'on pouvait peut-être m'aider... Mais pouvais-je faire confiance à Stone, et surtout, aux Revenants ? S'ils désiraient me venir en aide, alors ils n'étaient peut-être pas responsables de mon état. A moins que ce ne fut un autre piège.

- Luna ? me consulta lentement Allan.

Lui et Samuel se regardaient, comme si un message passait entre eux et mon ami GEN finit par opiner. Je m'humectai les lèvres :

- Vous allez me conduire à eux. Si c'est un mensonge, ou que vous tentez quoi que ce soit, nous vous tuerons.

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