Chapitre 21
Rêve...
J'ouvre les yeux. La lumière du jour m'éblouit un peu et je cligne des paupières avant de me redresser.
Où suis-je ? Je suis allongée sur un lit, en pyjama, dans ce qui est visiblement une chambre. Je parcours du regard la pièce, meublée d'une étagère d'angle, d'un bureau et d'un petit placard dans un renfoncement du mur. La tapisserie est prune sur deux murs et blanche sur les autres, et le sol est recouvert par un tapis à longs poils au niveau du lit. Ma chambre. Dans la maison où j'habite avec mes parents et Nathan, mon grand frère.
Comment suis-je arrivée ici ? Je m'assieds sur le lit en tentant de me rappeler ce qui s'est passé avant, mais je n'y parviens pas, comme si un vide immense avait remplacé ma mémoire.
La porte s'ouvre alors avec fracas sur un jeune homme un peu plus vieux que moi, les cheveux châtains et les yeux rieurs.
- Salut petite sœur ! braille-t-il. On va prendre le petit dej' ?
- J'arrive, réponds-je sans l'avoir voulu.
Nathan détale et je me lève, mue par ce même instinct qui a guidé mes paroles juste avant. Je passe lentement devant le petit miroir attaché près de la porte et échange un regard avec mon double. Celui-ci est de taille moyenne, avec des yeux marrons sans rien d'exceptionnel, et pourtant cette image me choque. Mais pourquoi ? C'est là mon apparence ordinaire, celle de l'adolescente de quatorze ans que je suis, non ?
Je me détourne de mon reflet, enfile machinalement une robe de chambre et quitte la pièce.
C'est en entrant dans la cuisine ouverte sur le salon que je saisis ce qui me gêne depuis mon réveil. La façon dont ma mère a dressé la table du petit déjeuner, mon père debout avec le journal près du bar, et enfin, Nathan fouillant dans tous les placards à la recherche de ses céréales préférées... J'ai déjà vécu cela.
- Personne ne les a vues ? râle mon frère. Elles étaient...
- ... sous l'évier, j'achève dans un murmure, certaine qu'il va finir sa phrase ainsi.
- ... sous l'évier, termine-t-il dans un bougonnement. Je vais être en retard pour le bus, si ça continue !
Mon père soupire et se laisse tomber sur l'un des tabourets du bar. Il échange un coup d'œil avec ma mère, qui me tourne le dos, et parait soudain très las.
- Je t'emmènerai au lycée si tu le rate, dit-il. Viens t'asseoir, Nat, et toi aussi Luna.
Nathan bat des paupières, surpris. Les deux seules fois depuis le début d'année où il a loupé son bus, mon père l'a certes conduit au lycée, mais avec une bonne engueulade à la clef. Je ne relève pas et prends un siège en face de mon père, le cœur battant.
- Les enfants, commence ma mère qui a les yeux étrangement rouges. Votre grand-père a téléphoné hier soir. Il était tard, alors on ne vous a pas réveillés.
- L'état de Mamie Paule s'est dégradé très rapidement, reprend mon père comme pour épargner à ma mère d'avoir à expliquer cela. Le cancer est trop fort et les traitements n'ont pas fonctionné aussi bien que prévu. Elle a demandé l'arrêt des soins.
- Qu'est-ce que ça veut dire ? je bredouille.
Ma mère pose une main douce sur mon épaule et m'adresse un sourire triste :
- On va tous aller la voir à l'hôpital ce matin. Cela lui fera du bien de voir ses petits-enfants, et on pourra lui dire au revoir...
Sa voix dérape sur le dernier mot et elle se détourne, en larmes. Nathan broie le bord de la table entre ses doigts et mon père reste silencieux, comme assommé.
A ce moment précis, tout ce qui, jusque-là, ressemblait à une réalité – passée ou présente, ça, je n'aurais pas su le dire – se déforme. Les meubles se tordent, la lumière devient jaune et aveuglante, et Nathan disparaît, ainsi que mon père. Seule ma mère reste et pivote dans ma direction.
- Elle a décidé le lâcher prise, Luna, dit-elle d'une voix grave et grinçante. Lâcher prise... Partir... Renoncer...
Sa silhouette tremblote et semble reculer alors que ses pieds ne bougent pas. Clouée à ma chaise, je ne peux rien dire et me contente de subir sans comprendre.
- Partir, répète ma mère. Abandonner... Sombrer... Tout comme toi, Luna.
Puis, tout devient blanc et elle se volatilise.
***
Un tintement métallique tira Samuel des sombres pensées envahissant son esprit et il tourna les yeux vers Allan, assis au de l'autre côté du lit.
- J'ai enlevé la deuxième balle, annonça ce dernier. La dernière est plus profonde, je vais avoir besoin de plus de temps.
- Vous pensez y arriver ?
- Bien sûr. Ce que j'ignore, c'est ce qui se passera ensuite.
Le jeune GEN hocha la tête et ravala la boule énorme qui obstruait sa gorge. Allan soignait Luna de son mieux depuis leur arrivée à la planque, mais ils connaissaient tous deux l'issue fatale qui l'attendait. La jeune femme n'avait pas encore convulsé, malgré les douze heures écoulées depuis la fusillade à l'hôtel, ce qui voulait dire que le poison agissait très lentement. Cependant, Samuel savait que ce n'était pas une bonne nouvelle pour autant, car Marwa, son mentor, lui avait raconté avoir vu des GEN survivre jusqu'à une journée entière avant les premières convulsions et décéder en une poignée de seconde dès leur déclenchement.
Brusquement, le corps de Luna s'arqua en arrière et fut pris de spasmes incontrôlables. Samuel se jeta littéralement sur elle, la plaquant de son mieux sur le matelas pour la maintenir en place. Un filet de salive goutta de sa lèvre inférieure et elle ouvrit grand les yeux sur un vide qu'elle seule pouvait distinguer.
- Tiens-la ! ordonna Allan. J'ai presque fini !
- Je ne fais que ça ! haleta le GEN blond.
Luna se tordit dans un râle épouvantable, agitée de part en part. Le ventre de son ami se tordit à la pensée de ce qu'elle devait endurer, si toutefois elle pouvait ressentir quelque chose. Lorsque la main de la jeune femme se referma violemment sur son poignet, le serrant à lui en faire mal avec une force encore supérieure à celle qu'elle possédait normalement, il laissa échapper un grognement et loucha sur sa peau, persuadé qu'elle allait briser quelque chose.
- Ça y est ! dit Allan en reposant vivement ses ustensiles.
Le mentor de Luna se joignit à Samuel et tint les jambes de la blessée pendant de longues secondes. Enfin, au bout d'une durée interminable, elle se calma et retomba inconsciente sur son oreiller.
- La crise est passée, chuchota son ami.
Allan se contenta d'un signe de tête mais ne fit aucun commentaire et se laissa tomber dans un fauteuil, l'air sombre. Ne trouvant rien à dire, l'ancien élève de Marwa laissa son attention dériver vers Luna.
Allongée sur le dos, les cheveux emmêlés, elle ne portait plus que ses sous-vêtements et une vieille chemise qui cachait désormais son ventre. Le processus de cicatrisation avait débuté, rendant inutile tout bandage, mais Samuel savait que les plaies noirâtres n'étaient pas belles à voir. Les marbrures noires avaient gagné du terrain, et couvraient la totalité de son abdomen, de ses bras et de son dos. Allan en avait aussi vu le long de sa cuisse gauche en l'installant dans son lit. Sur la table de nuit, le portable du GEN brun était en marche, affichant les constantes vitales de sa protégée. En démontant un défibrillateur, il s'était servi des électrodes et les avait reliées à l'appareil, pour que N.I.A puisse surveiller l'état de Luna. De l'autre côté du lit, un porte manteau servait de support à la perfusion de fortune installée par Samuel, diffusant dans les veines de son amie de quoi l'hydrater et l'alimenter en glucose.
Se passant une main sur les joues, le jeune homme se résolut à rompre le silence, incapable de le supporter plus longtemps :
- C'est quoi cet endroit ?
- Une planque, répondit Allan. Il en existe des dizaines et des dizaines dans le pays, et quelques-unes à l'étranger si on sait où chercher.
- Et qui vous l'a indiquée ? L'Institut ?
- Marwa ne t'a-t-elle jamais parlé de monsieur Tom ? soupira l'autre, faisant clairement sentir qu'il n'avait pas très envie de discuter.
- Le Chauffeur ?
- Oui, elle l'appelle comme ça. Il y a peu de personnes comme lui, mais ce sont des contacts très utiles. Ils nous fournissent de l'argent, des papiers, une destination pour disparaître si besoin... C'est lui que j'ai appelé cette nuit, et lui encore qui a fourni le matériel de soin pour Luna.
Allan se tut, mettant fin aux questions de Samuel, et se leva pour se dégourdir les jambes. Du coin de l'œil, il vit le GEN blond inspirer et se préparer à dire autre-chose, mais un son strident les interrompit tous les deux. Un « bip » long et ininterrompu. Glacé.
Le cœur de Luna ne battait plus.
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