Chapitre 2
Les trois adolescents passèrent près de moi sans remarquer ma présence et poursuivirent leur chemin. Portable en main et cigarette au coin des lèvres, je passais aisément pour une jeune femme attendant une amie, mais certainement pas pour quelqu'un de dangereux.
Je les suivis des yeux discrètement, attendant le bon moment pour me décoller du mur et leur emboîter le pas, puis balançai ma cigarette dans un égout. En plus de n'avoir aucun effet sur les GEN, elle me laissait un goût affreux dans la bouche et une sensation de brûlure dans la gorge, aussi fus-je ravie de m'en débarrasser.
Je me glissai dans la ruelle, à la suite des trois adolescents, et les étudiai rapidement.
Le seul garçon de la petite bande avait les cheveux bouclés en pagaille et était relativement petit, même pour un humain. Ses deux comparses, des filles, le dépassaient d'une tête et manifestaient une ressemblance que je ne pouvais attribuer qu'au fait qu'elles étaient sœurs. Leur forme de nez et l'écartement de leurs yeux ne mentaient pas, bien que l'une fut blonde et l'autre rousse.
Il était plus de minuit et il n'y avait personne dans les rues, hormis quelques personnes sortant du cinéma voisin, comme le faisaient mes trois cibles. La question était de savoir où ils allaient et si j'allais avoir le temps de mener ma mission à bien. Quel âge pouvaient-ils bien avoir ? Treize ? Quatorze ans ? Je tentai de me souvenir de ce que j'avais le droit de faire à cette période de ma vie, et si l'on m'aurait laissée rentrer seule de nuit, mais je n'y parvins pas. Au fil des mois, puis des années passées à l'Institut, dans ma nouvelle peau de GEN, mes souvenirs de mon ancienne vie s'étaient émiettés et ternis au point de ne plus avoir le moindre sens pour moi. Désormais, il ne me restait plus que des images semblant ne pas m'appartenir et des noms sans visages...
Je secouai la tête en écoutant les rires des trois jeunes, décidant que si les parents de ces derniers avaient un peu de bon sens, ils allaient sûrement venir les chercher bientôt. Je fis le tour des lieux de rendez-vous possibles et me souvins qu'un parking jouxtait des appartements, à quelques pas de là. Il était donc temps d'agir.
Je pressai le pas et l'alourdis afin de faire claquer mes semelles sur le pavé et d'être repérée par le petit groupe, et rabattit la capuche de mon sweet sur mes cheveux.
- Fanny..., chuchota la fille blonde à la queue de cheval en tapotant le bras de sa sœur. Regarde le type derrière nous.
Quoi ? Elle me prenait pour un homme ? Je me retins de lever les yeux au ciel, lui accordant qu'avec une taille comme la mienne et sans voir mon visage, je pouvais facilement passer pour un membre de la gente masculine, et observai la réaction des autres.
- Il nous suit depuis tout à l'heure, bégaya encore la blonde. Ta mère arrive bientôt, Max ?
Le garçon me jeta un coup d'œil par-dessus son épaule. A une telle distance d'eux, un humain n'aurait pas entendu leur conversation, mais j'avais l'ouïe bien plus fine, ce qui jouait en ma faveur. Max saisit le bras de la dénommée Fanny et força l'allure, laissant la panique les gagner.
La rue se rétrécissait et, ayant repéré l'intersection, je me déportai sur le trottoir de gauche. La ruse fonctionna aussitôt, et les trois adolescents, persuadés que j'allais enfin les laisser en paix et prendre la rue adjacente, continuèrent tout droit. En direction du cul de sac.
- Cibles en position, murmurai-je.
- Bien reçu, on est juste au-dessus de toi, crachota une voix dans mon oreille.
Je me coulai sans bruit derrière la petite bande qui n'avait pas encore réalisé où elle se trouvait et dégainai mon arme.
Tout se passa alors très vite. Tandis que, d'un mouvement fluide et imperceptible, j'assommai de la crosse de mon revolver la fille à la queue de cheval, deux silhouettes sombres tombèrent des toits et s'abattirent sur Max et son autre amie. En une fraction de seconde, ils gisaient au sol, inconscients.
- Vite fait, bien fait, ricana Tribal en se frottant les mains.
- Avec ces trois-là, nous allons en ramener sept, ajouta Samuel qui achevait de récupérer les téléphones portables et de vérifier les poches.
Je hochai la tête sans répondre tout en surveillant la rue d'où j'étais arrivée afin d'être sûre que personne ne venait.
- On devrait s'arrêter là, dis-je finalement.
- Mais la nuit n'est pas finie, protesta Tribal.
- Plus on reste longtemps à un endroit, plus on risque de laisser des traces.
Je portai la main à mon oreille et appuyai sur une touche pendant que mon ami ronchonnait sans grande conviction.
Quelques minutes plus tard, une grosse voiture noire se gara près de nous et Amanda en descendit, ses dents blanches se détachant sur sa peau sombre.
- Tout s'est bien passé ? m'enquis-je, laissant les garçons charger les jeunes dans le véhicule.
- Très bien, oui, opina mon amie. La gamine pleine de boutons qu'on a trouvé près du pont hurle depuis une demi-heure mais comme le caisson est insonorisé...
Amanda haussa les épaules et sourit plus largement, mais je ne l'imitai pas, les sourcils froncés.
- Victoire n'est pas avec toi ?
Un vent de malaise souffla sur mon groupe d'amis et je ressentis une profonde lassitude devant la grimace désolée de la belle Noire.
Mon amitié avec Victoire, qui avait semblé retrouver ses couleurs d'antan après l'affaire Reilly, s'était de nouveau compliquée lorsque mon amie d'enfance s'était rendu compte qu'elle était l'une des plus faibles du groupe de recrues. Habituée depuis toujours à attirer le regard et l'attention, elle avait déjà eu du mal à accepter de n'être qu'une belle GEN parmi tant d'autres, mais cette nouvelle prise de conscience avait été pire que tout. Quant à moi, j'avais eu le malheur de lui proposer de s'entraîner avec moi, ce qu'elle avait violemment refusé en m'accusant de vouloir l'humilier et la rabaisser. Depuis quelques semaines, nous nous parlions peu et j'avais donc pensé que prendre part à la Chasse avec nous lui ferait du bien. Visiblement, j'avais eu tort.
- Je suis désolée, commenta simplement Amanda.
- Laisse tomber, soupirai-je. Tu sais où elle est ?
- Elle a suivi une gamine en direction du supermarché.
Samuel et Tribal chargèrent en vitesse les trois derniers jeunes capturés et je m'installai sur le siège passager.
Amanda suivait depuis un an et demi une formation de pilote auprès de son mentor, une femme que je n'aimais pas mais avec qui elle s'entendait très bien. Aucun véhicule, qu'il soit destiné à voler, flotter ou rouler, n'avait plus de secret pour elle, et je m'arrangeais toujours pour qu'elle soit mon pilote lorsqu'une mission le nécessitait.
Nous roulâmes en scrutant les rues à la recherche de Victoire, puis passâmes devant le supermarché sans la trouver.
- Tu es sûre de toi, Amy ? demanda Tribal. Tu l'as laissée par-là ?
- Elle a sauté du van, pour être exacte, mais oui. Elle ne doit pas être loin.
Bang ! Une forte détonation résonna dans mes oreilles et j'ouvris ma portière avant même qu'Amanda ne se soit arrêtée.
- Des coups de feu, m'écriai-je. Elle est ici ! Tribal, tu surveilles la voiture !
Je m'élançai, arme au poing, sans vérifier si le reste de l'équipe avait compris mes consignes. Mon cœur cognait dans ma poitrine et je craignais qu'il ne lui soit arrivé quelque chose. Je contournai un hangar situé sur le même parking que celui du supermarché et m'accroupis à l'angle, me préparant au pire.
Dans la lumière du lampadaire, je distinguai une silhouette penchée sur un corps baignant dans une flaque de sang.
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