Chapitre 19
Le nom de la Cour des Loges était inscrit sur le dessus de la porte en forme d'arche, et des voix s'élevaient de l'intérieur. Un homme élégant et aux cheveux coupés court m'accueilli d'un sourire soigneusement travaillé, debout devant la porte du splendide hôtel. J'avais visité des lieux prestigieux et luxueux comme celui-là, mais à chaque fois, je ne m'y sentais pas franchement à ma place pendant quelques minutes. D'un autre côté, je ne venais jamais dans ce gendre d'endroits pour de très bonnes raisons...
- Madame, me salua le portier. A quel nom dois-je vous annoncer ?
Dès l'instant où il me vit de près, je sentis sa posture changer, se raidissant considérablement et vis son teint virer au gris. Un filet de sueur coula sur sa tempe en même temps que son odeur corporelle s'intensifiait. Tous les Hommes réagissaient violement à la présence d'un GEN, même s'ils ignoraient véritablement pourquoi, mais cette réaction variait de l'un à l'autre et était imprévisible. Le pauvre homme prit sur lui pour contenir le flot de haine et de désir insoutenable qui se déversait en lui et que je percevais nettement, mais il ne parvint qu'à grimacer un sourire, les mains tremblantes. Si j'étais venue en sweet tâché et baskets, il aurait certainement eu moins de mal à résister, mais dans une tenue pareille, je ne lui laissai aucune chance.
- Luna Deveille, souris-je, comme si de rien n'était.
Je ne savais pas à quel nom m'avait conviée le mystérieux auteur de la carte, mais s'il en savait assez sur moi pour me retrouver dans un motel miteux, il devait bien connaître mon identité.
L'autre bafouilla une approbation en cochant mon nom sur la liste et me fit vaguement signe d'entrer. L'ayant dépassé, je le vis s'éponger le front avec sa manche de costume avant de s'adresser à une autre arrivante.
La salle de réception était magnifiquement décorée, éclairée par des lumières chaudes qui se mariaient à la perfection avec les couleurs de l'endroit. On avait dressé de petites tables rondes, ornées de nappes blanches dans toute la pièce, et çà et là, de petits groupes d'invités discutaient, à grand renfort de rires. En levant la tête, je pus admirer les arches de pierres ornant la balustrade de chaque étage des chambres, et qui permettaient à toute personne s'y accoudant de voir ce qui se passait là où je me trouvais.
Bien. Je devais maintenant repérer celui qui m'avait fait venir, et de préférence avant qu'il ne me voie lui-même. Si c'était un piège, je devais pouvoir me sortir du pétrin en vitesse.
Un serveur passa près de moi pour me proposer un verre et j'acceptai tout en me dirigeant vers l'escalier. Je notai au passage le tic nerveux qui agitait l'une de ses mains, et le teint pâle de ses joues. Le pauvre devait se sentir intimidé par les personnes qui l'entouraient et je lui adressai un gentil sourire avant qu'il ne détale.
Monter quelques marches me permit de surplomber la salle et de voir tout ce qui s'y passait. Ma flûte de champagne à la main, j'enregistrai chaque détail, chaque chose qui avait lieu en-dessous de moi. La femme en robe rouge renversant son verre, un couple se disputant près du couloir menant aux toilettes, une serveuse empochant discrètement un billet donné par un vieil homme en costume, les commérages incessants de deux femmes d'âge mûr, à l'écart des autres invités... Ce fut à cet instant que le les vis.
Amanda, superbe dans sa robe bustier dorée, une étole de soie transparente sur les épaules et les cheveux lissés dans le dos. Tribal, en costume bleu marine impeccable, droit comme un « I » au bras de sa belle, si grand que les autres hommes environnants avaient l'air bien plus petits que la moyenne.
Tout mon corps se raidit instantanément. Evidemment, ces soirées mondaines étaient exactement le genre d'endroits où Marx se plaisait à envoyer ses sbires – j'y avais moi-même été conviée plusieurs fois pour dérober un objet, apprendre une information ou encore assister à la mort soudaine, inexplicable et dans laquelle je n'étais pas du tout impliquée, de l'un des participants à la fête. Toutefois, une question demeurait en suspens : Amanda, Tribal et les autres, car je doutais qu'ils fussent seuls, étaient-ils là pour moi ou pour une toute autre raison ? Je m'étais procurée au préalable la liste des invités, et n'avait trouvé aucun nom que je connaissais, mais ils étaient forcément ici sous une fausse identité. Et il ne fallait pas qu'ils me voient.
Abandonnant mon poste d'observation, je montai tout en haut de l'escalier. Protégée par l'ombre des arches de pierre, j'avais une toute aussi bonne vue, mais j'étais moins exposée au regard des autres, et je pensais qu'à moins de me chercher, on ne ferait pas attention à moi.
En bas, mes meilleurs amis discutaient avec un couple d'une cinquantaine d'année qui semblait subjugué par le charisme des jeunes tourtereaux. La femme, rondelette et brune, ne cessait de faire de grands gestes et de tendre la main vers Amanda, comme si elle l'abreuvait de flatteries. Je réprimai un petit rire et laissai mon regard errer. Une impatience grandissante m'envahissait, et je frémissais à chaque fois qu'une personne passait près de moi. Mais ni la femme de ménage pressée, ni la vieille femme en robe turquoise ne s'arrêtèrent pour me parler.
Au bout d'une dizaine de minutes, je repérai deux autres GEN sous couverture dans la salle de réception d'où s'élevait une douce musique d'ambiance. Ainsi, la serveuse blonde et la grande rousse en robe de soirée étaient des agents de l'Institut, savamment déguisées, mais, si elles paraissaient surveiller tous les convives, elles ne levaient pas les yeux vers moi.
Au moment où je m'apprêtais à changer de place, lassée par ces va-et-vient, un homme vint s'appuyer contre la rambarde avec une expression d'ennui. Petit, mince, les cheveux lissés en arrière par une considérable quantité de gel, un verre d'alcool ambré à la main, et son paquet de cigarette dépassant de sa poche, il esquissa une petite moue.
- Toute cette bourgeoisie qui vient étaler ses richesses et lécher les bottes des plus puissants qu'eux..., lâcha-t-il. Ils sont tous plus cupides et égoïstes les uns que les autres, et font tout pour prétendre le contraire. Regardez-moi ces oies se dandinant dans la basse-cour. Ecœurant, vous ne trouvez pas ?
- Je crois qu'il ne faut pas oublier qu'ils sont tous ici pour faire des dons à des associations caritatives, répondis-je prudemment et un peu étonnée par son entrée en matière.
- Des dons qui entament à peine leurs fortunes et ne servent qu'à se faire bien voir. Tous ces invités sont pareils, n'est-ce pas ? Sauf peut-être vous et moi...
L'inconnu tourna la tête vers moi et je plantai mon regard dans le sien. Si ce type devait être mon contact, autant qu'il sache tout de suite ce qu'il avait en face de lui, et je n'allais pas lui faire le cadeau d'adoucir mon expression et de dissimuler ma nature. Il m'affronta sans ciller, mais se mit à respirer plus fort. Ses doigts attrapèrent ses cigarettes, comme pour se rassurer. Ce simple échange m'amenait à la conclusion que cet homme avait déjà côtoyé des GEN et appris à masquer ses émotions devant eux.
- Ravie d'avoir fait votre connaissance, dis-je comme si je mettais fin à la conversation.
- Attendez ! Je... je suis ici pour les mêmes raisons que vous, agent Deveille. Nous avons un ami commun.
Je posai ma flûte de champagne sur le rebord, attendant la suite sans rien dire, et surtout sans confirmer mon identité. L'autre tripota sa poche pour en sortir son briquet et me fit un signe de la main.
- Vous m'accompagnez ?
- Pourquoi ne pas rester ici ? On m'a toujours dit de ne pas me retrouver isolée avec un inconnu, vous savez ?
- Ce que je sais surtout, c'est que l'arme contenue dans ma poche et que vous avez déjà remarquée ne me servira à rien si une personne comme vous décide de m'attaquer, et qu'il vaut mieux un endroit plus sûr.
L'homme fit volte-face et je lui emboîtai le pas avec lenteur. Derrière nous, la grande baie vitrée avait été ouverte et donnait sur un grand balcon totalement désert. La nuit était fraîche et les humains frileux, je ne fus donc pas surprise, et savourait le vent sur ma peau. C'est alors que je remarquai un changement dans l'odeur de mon interlocuteur et fronçai les sourcils, sur mes gardes. Il me tournait le dos et ses épaules tremblaient.
- Qu'est-ce que vous faites ? demandai-je, la main sur mon arme à travers ma robe.
L'homme aux cheveux enduits de gel inspira longuement avant de me faire face, les yeux rougis.
- Je suis désolé, dit-il. Je ne voulais pas.
Il se rua alors sur la porte de la baie vitrée et la claqua pour nous enfermer dehors. Mon sang ne fit qu'un tour et je me jetai sur lui, le canon de mon petit calibre sur sa gorge.
- Qu'est-ce que vous faites ? répétai-je sèchement, les yeux scrutant le parc en-dessous à la recherche du piège.
- Je suis désolé, bafouilla l'autre qui avait perdu de sa superbe. Il m'a forcé.
- Qui... ? commençai-je.
Je n'achevai pas et bondis en arrière au « bang » causé par un coup de feu. Mon compagnon s'effondra dans un gargouillis, du sang inondant son torse, dans une pluie de verre. Je tirai à mon tour, à l'aveuglette, et entendis un cri de douleur. Avais-je neutralisé le tireur ?
Enjambant le cadavre de l'homme qui n'avait même pas pu allumer sa cigarette, j'ouvris du pied d'un des battants de la porte vitrée et me retrouvai face au serveur qui m'avait tendu ma coupe un peu plus tôt. Les yeux fous, il agita son arme :
- Si vous n'êtes pas avec eux, vous allez mourir ! rugit-il. Vous allez mourir.
Je tirai, il tira. La première balle me transperça au bas-ventre et je compris immédiatement que quelque chose n'était pas normal – jamais une telle blessure ne m'aurait arrêtée. Lorsque la seconde la rejoignit, sous les côtes, cette certitude se renforça.
Une brûlure atroce se propagea à la vitesse de l'éclair dans mes veines, sapant mes forces et m'obligeant à laisser tomber mon arme. Prise de vertige, je titubai sur mes talons, la vue trouble et reculai.
Non, pas ça. C'est impossible.
Mon dos heurta la balustrade du balcon sans que je ne le sente. Le souffle court, je tentai de me baisser mais n'évitai pas la troisième balle.
Poison. Le poison mortel aux GEN.
Je basculai dans le vide.
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