Chapitre 18
La piste des Revenants se refroidissait, vous me passerez l'expression, aussi vite que le cadavre de Julien Lecatte dans son caisson à la morgue. En repensant à sa mort, j'éprouvais une pointe de remord en songeant que, sans mon intervention, Rufus et Svenson ne l'auraient peut-être pas tué. Cela dit, les cellules de l'Institut ne brillaient pas par leur confort et j'étais persuadée que le pauvre informaticien aurait subi les pires tortures entre ces murs. Trêve de culpabilité, donc, et place à la réflexion.
La seule possibilité qui s'offrait à moi était de répondre présente à l'invitation de « A », pour tenter de découvrir quelque chose. J'avais bon espoir qu'il fut membre de l'organisation secrète des Revenants, et qu'il puisse m'en apprendre plus sur cette série de meurtres et la rébellion des recrues.
C'était ce qui occupait mon esprit, en cette fin d'après-midi du samedi, alors que je courbais l'échine au-dessus de mon miroir de poche. J'ajoutai une touche de noir à mes paupières, à grand renfort de grimaces et de plissements des yeux pour admirer le résultat, puis cherchai dans la pochette située à ma droite mon bâton de rouge à lèvres. Relativement satisfaite de mon maquillage, je me levai et traversai la chambre du motel pieds nus pour aller vérifier mon allure générale dans la glace de la salle de bain.
Mes cheveux sombres étaient rassemblés en un chignon sur le côté, savamment réalisé à l'aide de fines tresses et de boucles qui retombaient gracieusement sur la nuque. Je remerciai silencieusement Allan de m'avoir poussée – au sens propre du terme – à assister à des cours de maquillage, et inspectai mes yeux pour être sûre que le deux se ressemblaient et que je ne donnais pas l'impression de loucher. En plus des yeux et des lèvres, j'avais couvert mes joues de poudre accentuant mon teint régulier et mettant et valeur mes pommettes. Mais le plus spectaculaire résidait encore dans la robe que j'avais mis la matinée entière à choisir.
Noire, longue et moulante, elle était pourvue d'un décolleté assez sage, rond et large, qui attirait le regard sur ma poitrine juste ce qu'il fallait. Elle dénudait en revanche mon dos, sur une distance interminable, et recommençait à me couvrir juste au-dessus des fesses. De délicats fils argentés brodaient le bord du décolleté, aussi bien dans le dos que devant, et le bas de la robe semblait habillé de milles petits diamants disposés en rangs espacés. La robe tombait jusqu'au sol, dissimulant mes pieds qui seraient bientôt chaussés de sandales à fines brides, mais se fendait sur le côté droit, échancrée de façon à révéler ma peau à partir du milieu de la cuisse.
Je complétai ma tenue d'une paire de créoles en argent et d'un pendentif discret composé d'un diamant enchâssé dans un écrin de fils d'argents, puis enfilai mes chaussures. Je pouvais enfin passer aux choses sérieuses.
A la sangle attachée à ma cuisse droite, j'accrochai un revolver fraîchement acquis, puisque je n'avais plus de chargeurs adaptés à mon arme habituelle. J'avais opté pour un petit calibre, d'une taille aussi plus discrète. Cela fait, je passai une seconde sangle, cette fois-ci supportant six petits poignards à mon autre cuisse, suffisamment haut pour qu'ils ne soient pas vus par la fente de la robe, poignards que j'avais soigneusement enduits du poison mortel aux GEN – le genre d'armes à ne pas planter bêtement dans ma propre cuisse si je ne voulais pas connaître la mort la moins glorieuse qui fût.
Mon portable sonna, m'indiquant qu'il était enfin l'heure, et je m'emparai de ma pochette en cuir avant de sortir. Tout en dévalant les escaliers, je tâchai de faire claquer mes talons le moins possibles et priai pour qu'aucun de mes voisins ne prenne idée de sortir à cet instant, sans quoi il se serait posé de sérieuses questions sur mon accoutrement. Je parvins fort heureusement sans encombre à la grosse Audi noire à la carrosserie rutilante, garée juste devant le motel, et m'installai à l'arrière sans attendre.
- Monsieur Tom, se présenta le conducteur d'un ton mielleux, transport de personnes particulières vers des lieux particuliers, à votre service.
En partie caché par son chapeau melon, l'homme jeta un coup d'œil dans son rétroviseur pour me regarder et eut un large sourire en démarrant :
- D'ailleurs, vous m'avez l'air plus que particulière, madame.
Je m'abstins de répondre et attachai ma ceinture d'un geste assuré, en dépit du malaise qui me saisissait les tripes. Allan m'avait pourtant prévenu que monsieur Tom était étrange, et que je devais m'attendre à des questions saugrenues de sa part, si je venais à avoir besoin de lui, et je me demandais à présent si j'avais bien fait.
Monsieur Tom était un humain ordinaire sur le papier, mais son apparence était probablement aussi curieuse que la mienne. Grand, à en juger par sa position sur le siège, il était vêtu d'un costume à fines rayures à la coupe démodée, et de son fameux chapeau. En passant près d'un lampadaire, je pus distinguer ses traits, et noter son absence de sourcils et ses yeux délavés, d'un gris laiteux qui me fila la chair de poule. Ses longs doigts ornés de multiples bagues étaient posés sur le volant avec nonchalance. J'avais appris son existence, et surtout les services qu'il proposait, par mon mentor qui avait eu recours à lui pendant quelques missions. Si l'on avait besoin d'un chauffeur qui nous emmènerait n'importe où et qui ne dirait rien à personne malgré ses questions incessantes, il fallait appeler Monsieur Tom. Il connaissait ma race et avait bâti son affaire dessus, fournissant également aux miens faux papiers, refuges en cas d'urgences et tout un tas d'autres choses. Sachant qu'Allan avait confiance en lui, je refoulai mon dégoût et me détendis un peu.
- Puis-je me permettre de vous demander comment vous avez obtenu mon numéro ? s'enquit l'homme en s'engageant sur une grande route et après quelques kilomètres.
- Je suis une amie de l'un de vos clients, dis-je tout en fouillant dans ma pochette pour me donner une contenance. Un client que vous devez connaître sous le nom de monsieur Alexander.
- Monsieur Alexander ? Oui, je vois tout à fait. Un homme charmant, ou devrais-je dire, un GEN charmant... Laissez-moi deviner, ai-je à faire à sa sœur ?
Je restai muette, un léger sourire sur les lèvres et le laissai réfléchir. Je préférais qu'il parle pour lui-même sans que je ne dise un mot, plutôt que de faire des révélations que je pourrais ensuite regretter. Mon air énigmatique accentua son intérêt et il plissa les yeux :
- Non, dit-il, aucune ressemblance, ce n'est pas possible. Peut-être sa fille... Cela dit vous êtes certainement trop âgée – ou lui trop jeune pour cela – alors... Sa maîtresse ?
- Quel besoin avez-vous de connaître cette information ? soupirai-je en contemplant le paysage qui défilait dehors, mais sans confirmer la moindre possibilité.
- Oh, ce n'est que pour mon plaisir personnel, s'amusa l'autre. Vous savez, je suis un spécialiste du milieu, et plus j'en sais, mieux se porte les affaires. Il se peut même qu'un jour, je sois amené à transporter l'Ange Noir en personne, et seule une écoute attentive des autres clients me permettra de l'identifier...
Je relevai les yeux vers lui, mais il fixait la route sans me prêter attention. Mon cœur s'était mis à cogner contre mes côtes, et même si celles-ci s'étaient bien remises du choc avec le bus, j'éprouvai une sensation d'oppression. Avait-il évoqué l'Ange Noir pour voir ma réaction, ou savait-il déjà qui j'étais ?
- L'Ange Noir n'a pas de visage connu, exposai-je sans rien montrer de mon trouble. Vous seriez incapable de la reconnaître si vous l'aviez en ce moment même dans votre voiture. Quelle preuve auriez-vous ?
- Dans le monde actuel, personne n'est ce qu'il prétend être, ma chère, vous et moi autant que les autres, répliqua mystérieusement le chauffeur.
Le véhicule ralentit et je m'aperçus avec bonheur que nous arrivions devant l'hôtel Cour des Loges, où était donnée la réception. Une fois garé, Monsieur Tom se retourna complètement sur son siège et me dévisagea sans que je ne détourne le regard.
- Comment dois-je vous appeler, madame ? demanda l'étrange personnage. Madame Angelo, peut-être ?
- Vous avez encore des progrès à faire en matière de finesse d'esprit et de méthodes d'interrogatoire, monsieur Tom, ris-je d'un air décontracté, tout en pensant que cet homme était vraiment naïf ou complètement stupide s'il croyait m'impressionner comme cela.
- Alors, ce sera madame Bellazza. Cela me semble vous correspondre parfaitement, étant donnée la traduction de ce terme en italien...
Le chauffeur descendit de l'Audi et vint m'ouvrir avec la galanterie d'un gentleman, puis il prit ma main qu'il porta à ses lèvres.
- Au plaisir de vous revoir, chuchota-t-il, ses yeux délavés plongés dans les miens.
De l'autre main, je lui tendis une petite enveloppe avec un sourire de façade, avant qu'il ne me lâche, et le saluai courtoisement.
- Transmettez mes amitiés à monsieur Alexander, ajouta enfin l'autre en guise de conclusion.
Je tournai le dos au véhicule, me promettant de ne plus jamais appeler ce fou-furieux à l'exception d'un cas d'urgence absolue, et m'avançai vers l'hôtel, dont le perron était superbement décoré.
Il était temps de se jeter dans la gueule du loup.
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