Chapitre 17


Rufus Adrier entra le premier, un sourire torve sur le visage, suivi de près par un autre GEN aux cheveux noirs de jais tombant sur ses épaules. Je l'identifiai aussitôt comme le nouvel adjoint à la sécurité, Svenson, un type imbu de sa personne et à l'ambition si grande que ses dents en raclaient le parquet.

- Salut Deveille, ricana Rufus. Si ce n'est pas de la chance, ça, je ne sais pas ce que c'est, hein Svenson ? On nous envoie chercher ce petit rigolo, et on tombe en plus sur une fugitive... Noël avant l'heure !

Son comparse ne répondit pas, ses petits yeux brillants rivés sur moi.

En m'envoyant le GEN que j'avais vaincu à ma première session du Jour de l'Arène et ce gorille de Svenson, Marx n'avait pas choisi la crème de la crème parmi ses agents, et me facilitait les choses. Du reste, j'étais tout de même seule contre deux, ne pouvant compter sur Lecatte qui tremblait comme une feuille et poussait des gémissements plus proches du bêlement que d'autre chose.

- Tu es piégée, Deveille, grinça encore Rufus. Il ne sert à rien de...

Il n'acheva pas, scotché devant la balle que je venais de loger près de sa tête. L'adjoint à la sécurité laissa échapper un grognement animal et se rua en avant.

- Ne fais pas ça ! brailla Rufus.

Il poussa un juron en essayant de retenir l'autre par le bras. J'esquissai un sourire en me préparant au choc. Pour l'avoir expérimenté lui-même, Rufus savait que, si je tirais bien, le combat au corps à corps était mon domaine de prédilection, et que Svenson aurait mieux fait de s'abstenir.

Je repoussai Lecatte derrière moi en espérant qu'il ne fasse pas n'importe quoi alors que je tentais de le protéger, puis me jetai sur Svenson. Je me baissai à la dernière minute, le cueillant d'un coup de poing à l'estomac et fauchant ses jambes. Puis, je l'envoyai violemment valser en arrière, où il s'affala contre le lit. Profitant de mon élan, je tirai mon poignard de ma manche et le lançai sur Rufus qui l'évita de justesse. Arrivée près de lui, je l'empoignai par la nuque et le fis reculer dans le couloir, mais Svenson se relevait, les yeux tournés en direction de Julien Lecatte. Ce dernier se tenait à une chaise, effaré par la vitesse de l'action.

- Lecatte, maintenant ! criai-je pendant que je resserrai ma prise sur la gorge du GEN.

Rufus s'affaissa alors, les yeux révulsés, et je ressortis mon arme avant de couvrir Svenson de balles. Julien en profita pour s'élancer – ou plutôt se dandiner – vers la sortie et tourna à l'angle du couloir. Je courus à sa suite, rechargeant mon revolver.

- Vers la sortie de secours ! fis-je dans un souffle.

Je décidai de rester un peu en arrière pour lui donner le temps de prendre de l'avance et d'ouvrir la porte de l'escalier de secours. Les yeux exorbités, Svenson tira une rafale de balles sans parvenir à me toucher et je ripostai aussitôt, l'atteignant à l'épaule. J'entendis des cris de peur dans les appartements voisins et croisai mentalement les doigts pour que personne ne prenne idée de sortir voir ce qui se passait, sans quoi ce serait une véritable boucherie. Faisant volte-face, je vis que le hacker avait ouvert l'accès à l'escalier et m'y jetai à sa suite.

- Reviens ici, Deveille ! s'étouffa Svenson. Tu n'en sortiras pas vivante !

Je ne tournai pas la tête pour le regarder, trop occupée à dévaler les marches métalliques et à vérifier que Julien Lecatte ne tombait pas, mais je visualisai intérieurement l'image de l'adjoint de Rick, la bave au lèvres et l'expression rageuse. Finalement, peut-être que ce cher Richard n'était pas le pire des deux, et j'étais d'avis qu'avec un bras droit pareil, il avait intérêt à surveiller ses arrières...

L'escalier donnait directement sur une petite ruelle et, alors que Lecatte prenait ses jambes à son cou, je le retins par le bras.

- Je vous avais dit qu'ils s'en prendraient à moi, couina-t-il. Je ne serai plus jamais en sécurité nulle part ! Je... Je dois me cacher !

- Ça va aller, venez avec moi, l'apaisai-je.

Une balle frôla mon bras et je pivotai vivement pour vider mon chargeur sur Svenson qui sautait d'un étage à l'autre si rapidement que je voyais à peine sa silhouette. Lecatte s'étrangla de terreur et me fila entre les doigts, pris de panique.

- Lecatte, attendez !

Mais il ne m'écoutait pas, courant droit devant lui sans faire attention à quoi que ce fut. Je le suivis aussi vite que possible, tâchant de tenir notre assaillant à distance. Julien Lecatte slalomait entre les gens, bousculant tout le monde avec une force insoupçonnée pour quelqu'un de son gabarit.

Soudain, nous débouchâmes sur une grande rue au trafic dense, et Lecatte, sans réfléchir, s'engagea en forçant l'allure sur un passage piéton.

- Attention ! s'exclama un passant.

Tout se passa très vite. Je ne pouvais le laisser se faire écraser sans réagir, et surtout, je ne voulais pas perdre la seule piste valable que j'avais jusqu'ici. Lecatte mort, je n'aurais plus aucun moyen de communiquer avec les Revenants.

J'avisai la position de Julien Lecatte sur la chaussée, la vitesse du bus qui fonçait droit sur lui, et bondis à mon tour, me propulsant de toute la puissance de mes jambes.

Une fraction de seconde trop tard. Au moment où j'attrapai l'informaticien par le bras pour le pousser hors de la trajectoire du bus, celui-ci nous percuta si fort que je crus avoir heurté un mur à pleine vitesse. Je m'envolai littéralement, les bras en croix, et m'effondrai à quelques mètres de là, sans connaissance.


***


On avait déjà tenté de me tuer de toutes les façons possibles et imaginables au cours de ces deux dernières années.

On m'avait tiré dessus, empoisonnée, poignardée, maintenue sous l'eau histoire de me noyer, j'avais même eu droit à la strangulation et, un jour, lors d'une mission à Paris avec Allan, j'étais également passée par une fenêtre pour m'écraser plusieurs étages plus bas. C'était quasiment devenu une habitude, et je ne craignais jamais pour ma vie, même dans des situations périlleuses. Quant aux accidents de voiture, j'en avais déjà eu deux ou trois, et j'avais été renversée par un véhicule plus souvent qu'à mon tour – une fois, même, par Allan en personne.

Le bus ne fut donc qu'une expérience de plus, mais je notai malgré tout que cela faisait mal, bien plus mal qu'une voiture.

Je soulevai les paupières et me mis immédiatement sur le ventre, puis à quatre pattes, le corps meurtri. Des gens criaient autour de moi, ordonnant à d'autres d'appeler une ambulance et la police. J'avalai ma salive au gout de sang et fis un inventaire rapide de mon état : hormis peut-être quelques côtes, je n'avais rien d'abîmé.

- Je crois qu'il est mort, entendis-je, il ne respire plus.

- Les secours seront bientôt là, dit une voix de femme.

Je levai les yeux sur la scène qui se déroulait non loin, et sentis mon sang se glacer dans mes veines. J'avais beau être une GEN, la vue du corps désarticulé de Julien Lecatte n'avait rien de très ragoutant, sans compter que je fus certaine de voir un drôle de liquide s'écouler de sa boite crânienne. Il était sur le dos, les yeux grands ouverts, et je n'aurais rien pu faire pour lui. Bon sang, mais qu'est-ce qui lui avait pris de se jeter comme cela sous les roues du bus ?

Je n'avais pas le temps pour chercher une telle réponse. Les passants allaient bien finir pas s'intéresser à l'autre personne renversée par le bus, et il vaudrait alors mieux que je ne sois plus là. C'est vrai, non, comment expliquer ma miraculeuse survie, presque sans une égratignure ? Ayant atterri un peu plus à l'écart, j'avais là une chance de disparaître sans laisser de traces.

Je rabattis d'un mouvement discret ma capuche sur mes cheveux et me relevai, ignorant les protestations douloureuses de mes jambes, avant de me diriger d'un pas égal vers le trottoir. Je pressai l'allure, me fondant au plus vite dans la foule, et je ne fus bientôt qu'une piétonne de plus, sans intérêt particulier. Incroyable le nombre de choses qui peuvent échapper aux humains... Mais les humains étaient loin de me préoccuper tant que ça, dans la mesure ou Svenson avait dû assister à l'accident et être encore à mes trousses. Je me retournai au bout de quelques pas et l'aperçu, immobile, scrutant la rue au milieu des piétons affolés. Profitant de ce qu'il regardait du mauvais côté, je me faufilai dans une ruelle et me volatilisai. 

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