Chapitre 14
L'affrontement n'avait pas duré plus de cinq minutes – cinq minutes parmi les plus longues de ma vie. Les recrues s'étaient déchaînées, ne retenant pas leurs coups et s'alliant pour nous submerger les uns après les autres. Leurs avantages résidaient dans l'effet de surprise qui s'était assez vite dissipé, et leur nombre plus important. A huit contre cinquante, nous ne pouvions compter que sur notre entrainement, surtout dans la mesure où Marx était un poids mort à protéger, et Tari tout bonnement introuvable...
Helena était tombée la première, attaquée par une douzaine de jeunes GEN qui s'étaient arrangés pour l'acculer et lui prendre son arme. Abattue par ses propres balles, elle s'était affaissée dans son sang, la poitrine déchiquetée au niveau du cœur, et un garçon roux s'était chargé de lui briser la nuque pour être sûr qu'elle ne se relèverait pas.
A partir de là, plus aucune pitié n'était de mise, bien que nous fussions tous persuadés qu'ils n'agissaient pas de leur plein gré, et Allan avait eu l'idée de « débrancher la prise » en leur retirant la puce. Il espérait que cela leur rendrait un peu de lucidité ou les désorienterait suffisamment pour que nous puissions les neutraliser. Cela avait fonctionné, mais l'extraction de l'objet si près de la colonne vertébrale était dangereuse. Lorsque nous avions enfin repris le contrôle de la situation, seuls dix-sept nouveaux GEN avaient survécus, en comptant ceux qui avaient été tué par balles de composé remplies de poison, malgré les cris de Marx qui ne voulait pas voir son Armée Noire décimée.
Le calme revenu, j'avais reçu l'ordre de patrouiller avec les autres et de rechercher toute trace d'un intrus ou de Tari qui ne s'était toujours pas montré, mais s'il y avait eu quelqu'un d'autre que mon équipe sur place, il avait été particulièrement discret.
En fouillant l'étage abandonné du grand entrepôt, j'avais surpris une conversation entre l'agent Hubbel et l'un des gardes du directeur, et mon sang s'était figé dans mes veines : Lionel Tari avait été retrouvé, le cou tordu comme les autres et à quelques centaines de mètres du périmètre Nord. C'était à cet instant que j'avais pris ma décision. Marx m'avait, à demi-mot, demandé de trouver le responsable de tout-ceci, et je ne pouvais permettre d'être accusée de quoi que ce fut. Je n'allais pas laisser un Revenant foutre en l'air ma couverture et tous les efforts que je faisais depuis deux années pour sembler intégrée à la communauté et aussi fidèle à Marx qu'un chien à son maître.
J'avais contourné le bâtiment après être prudemment redescendue, puis, à bord d'un 4x4, j'étais partie. Sans prévenir Allan, sans récupérer mes affaires, bref, sans laisser de traces. Puis, j'avais roulé des heures durant, sur des centaines de kilomètres, et lorsque le niveau d'essence avait commencé à être dangereusement bas, j'avais fait une pause dans une petite ville où je m'étais servie de ma carte bancaire, celle que l'Institut alimentait pour mes missions. Il ne faisait pour moi aucun doute que Marx ne me couvrirait pas – il ne pouvait se permettre d'ébruiter la situation dans laquelle il se trouvait – et qu'il serait forcé de me couper les vivres ainsi que d'envoyer ses agents à mes trousses. Je devais donc retirer un maximum d'agent avant qu'il n'agisse, et c'est ce que j'avais fait. Après cela, j'avais repris le 4x4, changé de ville et loué une petite Opel Corsa, afin de voyager de façon plus conventionnelle et donc moins voyante.
Les deux nuits suivantes, j'avais pris une chambre dans un hôtel, sans y dormir, cherchant à vérifier si j'étais suivie, ce qui n'était pas le cas, et j'étais repartie dans une nouvelle direction. Profitant de mon passage dans un village perdu au milieu de nulle part, j'avais alors sorti ma seconde carte bancaire, qui, cette fois-ci, ne serait pas détectable par les informaticiens GEN.
Huit mois après mon arrivée à l'Institut, Allan m'avait emmenée avec lui ouvrir un compte au nom de Luna Vallet, une jeune femme censée étudier la médecine à Paris, et réaliser de faux papiers d'identité. Il m'avait alors révélé qu'il possédait lui-même un compte personnel dont Marx n'avait pas connaissance, et qu'il alimentait au moyen d'actions dans diverses entreprises. Il m'avait prêté les fonds nécessaires pour procéder de même, et j'avais depuis réuni un joli pactole destiné à me servir en cas d'urgence – ce qui me semblait à présent être le cas.
Mon liquide en poche, j'avais fait quelques emplettes avant d'aller me terrer dans un motel sinistre, non sans avoir au passage changé de véhicule.
Ma cavale ne faisait que commencer...
***
- P.I.A, tu peux lancer une recherche pour moi ?
Tout de suite, agent Deveille.
Je souris devant tant de déférence à la vue des petites lettres affichées au bas de mon écran et qui permettaient au programme de communiquer.
L'ancienne version de l'intelligence artificielle avait été remplacée car N.I.A était munie de nouvelles fonctionnalités visant à s'exprimer oralement et à se projeter elle-même dans un autre appareil, entre autres choses. Pour ma part, je trouvais qu'il s'agissait là d'inconvénients, car installer ce programme dans un système signifiait en réalité étendre la N.I.A de l'Institut et connecter les flux de données. Tout ce qui se passait donc sur l'un ou l'autre des appareils équipés n'était plus un secret pour personne, puisque l'intelligence artificielle mettait tout en commun. Seul un informaticien doué aurait été capable d'installer un système sécurisé, ainsi que Geb l'avait fait sur mon ordinateur portable à l'Institut, mais je n'avais pas ce niveau de compétences. C'était déjà un miracle que j'ai réussi à télécharger moi-même P.I.A sur la clef USB dont je ne me séparais jamais, je devrais donc m'en contenter.
Tout en laissant P.I.A creuser pour moi du côté des agents présents aux laboratoires Bollart en même temps que moi, j'ouvris une seconde fenêtre et y tapai le numéro de série gravé sur la puce électronique. Il s'agissait d'un petit palet rond, de la taille d'une petite pile comme celles qui se trouvent dans les montres. Mon écran m'afficha des résultats sans importance, m'indiquant simplement que cette puce faisait partie des soixante-dix fabriquées en guise de prototypes à l'Institut Bollart.
- P.I.A, trouves-moi tout ce que tu peux sur cette puce et sur le projet de contrôle des recrues. Je veux tout savoir.
Bien, agent Deveille. Un instant s'il vous plaît.
Je me massai les tempes en patientant. Si je comprenais comment on avait manipulé les recrues pour les retourner contre nous, je pourrais peut-être déterminer qui l'avait fait.
- Regarde dans les dossiers privés du directeur, dis-je.
J'ai trouvé quelque chose, agent Deveille. Mais il faut un mot de passe.
- Je suis sûre que tu vas me craquer tout ça, non ?
Mot de passe décodé. Ouverture du dossier en cours, agent Deveille.
Le fichier en question ne comprenait qu'une dizaine de pages et avait pour titre « Rapport condensé du projet Armée Noire ». Je me penchai en avant, avide d'en connaître plus et d'avoir enfin quelque chose à me mettre sous la dent, puis parcouru les pages. Un passage retint mon attention et le zoomai dessus pour mieux le relire.
Journal de bord du technicien Gregory Fredet, laboratoire de l'Institut Bollart, 4 Août, 19h09
[...] Les derniers tests d'efficacité des puces électroniques ont été réalisés sur les Déformés Achille Germond, matricule DH008, et Jenna Maillet, matricule DF011. A la lumière de ces expériences, il est possible d'affirmer que le projet n'a pas abouti de la façon souhaitée. Il apparaît à ce jour que les impulsions envoyées au sujet par le biais de la puce ne permettent en aucun cas de donner des ordres précis à celui-ci. Les seuls effets recensés concernent l'humeur du sujet sous contrôle, qu'il est possible de modifier, ou d'influencer légèrement selon la résistance du GEN. [...] Les précédentes expériences menées sur un groupe de Déformés de dix sujets renforcent toutefois l'idée d'une conscience collective liant les individus sous l'emprise de la puce, et ouvrent de nouvelles pistes de contrôle collectif par l'intermédiaire d'un seul GEN équipé d'une puce. [...]
Bon sang, mais qu'est-ce que c'était que cette histoire, encore ? Marx avait ordonné la mise en place du projet alors que ses puces n'étaient pas en réel état de marche, et que le contrôle des recrues ne serait que très superflu ! Qu'est-ce qui lui était passé par la tête ? En faisant cela, il avait non seulement exposé ses agents à une menace interne causée par ces recrues plus libres de leurs mouvements qu'elles n'auraient dû, mais avait-il seulement pensé que ces failles pouvaient aussi permettre à une personne extérieure de prendre la main sur le dispositif ? Car le manque d'efficacité n'était certainement pas le seul problème des puces, j'en étais convaincue.
Agacée, je posais l'ordinateur sur le dessus de lit quand mon portable sonna. Ayant acheté une carte prépayée, je fronçai les sourcils sans reconnaître le numéro. Avisant le câble USB dans la pochette de l'ordinateur, je branchai l'appareil dessus.
- P.I.A, à qui appartient ce numéro ?
Au technicien Geb, agent Deveille. Il utilise un réseau sécurisé indépendant ce celui de l'Institut et qui ne sera pas traçable. En d'autres termes, vous êtes protégée si vous décrochez.
Geb n'avait pas de nom de famille, tout simplement parce qu'il ne s'en souvenait pas, et qu'il refusait de s'en attribuer un. Il avait espoir de retrouver ses souvenirs, arrachés par les effets de la mutation.
Je retins mon souffle, hésitante. Etait-ce un piège ? De la part de Geb, certainement pas, mais si on le contraignait à me téléphoner...
J'appuyai vivement sur une touche et portai le combiné à mon oreille.
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