Chapitre 12


 Je fus réveillée en sursaut au beau milieu de la nuit et consultai ma montre qui indiquait quatre heures du matin. Le dortoir baignait dans le silence, simplement entrecoupé par les ronflements allègres de l'un des gardes du corps du directeur. Ce dernier ne s'était en fait pas entouré d'agents de terrain pour son trajet jusqu'ici, mais de soldats de l'embryon d'Armée Noire qu'il avait déjà mobilisée à l'Institut. Il désirait désormais gonfler ses rangs, mais il avait déjà une petite quantité de combattants prêts à passer à l'action, et qui serviraient sans doute d'instructeurs aux nouvelles recrues. Ces GEN-là n'avaient pas été entraînés à agir indépendamment les uns des autres, mais ils respectaient à la lettre la hiérarchie militaire.

Je m'assis sur ma couchette, ne sachant pas ce qui m'avait ainsi tirée du sommeil et balayai le hangar du regard. Tout était calme, peut-être un peu trop d'ailleurs, au point que ma poitrine se serra sous l'effet d'une sensation de malaise. Les paumes moites, je me dirigeai vers la porte sans prévenir les autres. Mieux valait vérifier que tout allait bien avant de passer pour une folle et de semer la panique chez tout le monde, surtout avec la menace d'un assassin parmi nous qui rendait chacun irritable.

La cour n'était éclairée que par un mince croissant de lune, mais mes yeux de GEN me permettaient d'y voir beaucoup mieux qu'un humain. Je fis quelque pas, la main portée au côté où se trouvait mon arme et scrutai l'obscurité devant moi. La température avait chuté et mon souffle se condensait en buée blanche dans l'humidité de cette nuit d'automne, mais rien ne bougeait autour de moi. Pourtant...

Le hangar où dormaient les recrues se dressait devant moi sans le moindre signe d'agitation. Je m'en approchai, guettant une respiration ou un bruit de pas, le corps tendu. Je n'éprouvai pas de peur, mais la certitude que quelque chose ne tournait pas rond. Brusquement, une brindille craqua dans mon dos et je pivotai, prête à tirer.

- Monsieur le directeur, fis-je, soulagée, à la vue du GEN en costume qui se tenait là. Que faites-vous ici ?

- Je pourrais vous retourner la question, agent Deveille. Ce n'est pas votre tour de garde, à ce qu'il me semble.

Cet abruti venait de manquer de terminer sa vie sous forme de passoire et en plus, il me reprochait ma présence ? Je baissai mon arme, les dents serrées.

- J'ai cru entendre un bruit, monsieur. Et permettez-moi de vous dire que votre promenade nocturne sans protection est une très mauvaise idée.

- C'est vrai, admit doucement Marx. L'assassin court toujours, n'est-ce pas ?

Il laissa traîner la fin de sa phrase, comme s'il voulait sous-entendre que je savais quelque chose. Je l'observai quelques secondes, cherchant à déchiffrer ce qu'il pensait vraiment.

- Je n'ai tué personne, monsieur. Vous le savez.

- En effet, opina lentement le GEN. Toute cette histoire n'a qu'un seul responsable...

- Les Revenants ?

Marx eut un vague mouvement d'épaules et il me donna l'impression de ne pas vouloir confirmer mes dires, alors que j'avais vu juste. Il finit par ouvrir la bouche en pesant chaque mot prononcé :

- Il semblerait qu'ils ne vous portent pas dans leur cœur, n'est-ce pas ? Qu'ils cherchent à m'affaiblir en me poussant à des décisions inconsidérées comme celle de mener les recrues ici dans la précipitation, ce qui a conduit nombre d'entre vous à douter de mes compétences, je le conçois. Mais ces meurtres... Ils ont forcément un but.

- Je n'ai jamais eu à faire à eux, protestai-je, je ne vois pas ce qui pourrait les pousser à me nuire.

Jusque-là, j'avais pensé que l'agresseur faisait partie des GEN de mon équipe, sans lien avec les Revenants et Marx, mais j'avais peut-être fait fausse route.

- Vous avez tout de même récupéré la liste, il y a deux ans, me rappela Ulrich Marx en lissant le devant de sa veste de costume.

- Mais pourquoi attendre tout ce temps avant de s'en prendre à moi ? C'est insensé.

- Peut-être pas. Si les choses s'aggravent, et étant donné les soupçons que certains portent déjà sur vous, on peut imaginer que vous serez amenée à fuir et chercher des réponses ailleurs. Le but des Revenants serait alors de vous attirer jusqu'à eux, même si nous ignorons encore pourquoi, et vous pourriez vous en servir pour en découvrir plus sur eux et mettre fin à cette mascarade.

Les yeux du directeur scintillèrent dans le noir. Son hypothétique situation n'en était pas une, j'en étais sûre. Il me disait en réalité à demi-mots ce qu'il voulait que je fasse, et, une fois de plus, désirait me manipuler. Je hochai la tête comme si nous nous comprenions.

C'est alors que je la vis. Une ombre incroyablement vive qui se ruait en avant.

- Attention ! hurlai-je en bondissant en avant.

Je percutai violemment la silhouette vêtue de noir et roulait dans la boue. Je me remis sur mes jambes en un clin d'œil et sortis mon revolver, debout entre Marx et une jeune GEN au regard haineux.

- Fanny ? la reconnus-je. Qu'est-ce que tu fais ?

La fille que j'avais capturée gronda comme un animal, les genoux fléchis dans une position d'attaque. Je n'aurais pas été surprise de voir de la bave au coin de ses lèvres tellement elle ressemblait à un chien enragé et fronçai les sourcils. Que lui arrivait-il ?

- Fanny, répétai-je en m'approchant. Retourne te coucher. Tu n'as rien à faire ici.

- Elle n'a pas l'air de vous écouter, nota subtilement Marx derrière moi.

La recrue prit une grande inspiration et se mit à parler d'une voix qui semblait ne pas lui appartenir :

- Vous... vous serez avec lui. Sinon...vous mourrez. Vous... mourrez.

- Qui ça « lui » ? demandai-je.

Des cris m'interrompirent et je regardai avec horreur des dizaines de silhouettes noires déferler dans ma direction.

- Les jeunes GEN se rebellent, dis-je, un doigt sur la détente. N.I.A, sonne l'alarme !

Fanny grogna une seconde fois et passa à l'attaque. Je ne lui laissai pas le temps d'arriver à moi et logeai deux balles dans sa poitrine sans la moindre hésitation. Je sautai par-dessus son corps inanimé – je doutais fortement de l'avoir tuée – et pris position de façon à avoir les autres en ligne de mire tout en étant assez près du directeur pour le protéger.

Tandis que la sonnerie stridente de N.I.A emplissait l'air, cinquante GEN animés par une force brute et le désir apparent de massacrer ceux qui se mettraient en travers de leur chemin couraient vers moi. Je raffermis ma prise sur mon arme et me préparai à l'affrontement.

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