Chapitre 11
Le temps de quitter l'entrepôt insalubre et j'étais de nouveau moi-même, calme et déterminée.
La visite de cet endroit digne d'un mauvais film d'horreur ne faisait qu'ajouter à mon incompréhension de la situation, même si, au final, une seule conclusion était possible : Ulrich Marx avait peur de quelque chose – ou quelqu'un – qu'il craignait suffisamment pour tenter de mettre à l'abri sa nouvelle Armée Noire. Cela dit, comment pouvait-il penser que ses soldats seraient plus en sécurité dans un tel lieu qu'à l'Institut ? Cela n'avait aucun sens, et si je n'avais pas connu aussi bien le directeur, j'aurais pensé qu'il avait complètement pété les plombs. Pour ce qui était de la nature de sa peur, elle ne pouvait être liée qu'aux Revenants, le seul véritable ennemi des GEN depuis des décennies. C'est pourquoi, la tête embrouillée d'interrogations, je ne souhaitais qu'une chose en courant sous les premières gouttelettes de pluie : ne pas avoir à rester ici avec les recrues et retourner à l'Institut le plus rapidement possible. Si l'on y perpétrait des horreurs inimaginables, il n'y existant au moins pas de cadavres à tous les coins de portes – ou alors ils étaient mieux cachés.
La porte du petit hangar grinça à mon entrée, mais je fus surtout douchée par l'accueil glacé que l'on m'y réservait.
Tout le monde était là, à l'exception d'Allan, et formait un cercle autour d'un lit pliant recouvert d'une couverture. Dessous, je devinai la forme d'un corps sans vie, celui de Caleb.
- Il est allé vérifier l'installation des recrues, jeta Helena Landit en réponse à ma question muette concernant Allan.
- Quant à toi, il va te falloir répondre d'un certain nombre de choses, Deveille, me cracha Anne-Lucie.
Son visage était congestionné de tristesse et de colère, et sa bouche se tordait dans une moue féroce. Un peu surprise par son ton et sa façon de m'appeler par mon nom de famille, je me m'efforçai de ne rien en montrer.
- Je peux savoir ce que je t'ai fait ? demandai-je, les bras croisés sur la poitrine.
- Ce que tu m'as fait ? s'étrangla-t-elle. Je parlais de lui !
Elle désigna la couverture et Helena me foudroya du regard. Je sentis que la suite n'allait pas me plaire et me tendis, prête à entendre le pire.
- Tu l'as tué ! asséna de nouveau l'ancienne adjointe à la sécurité.
- Ne dis pas n'importe quoi, protestai-je, j'étais dans le grand entrepôt avant que Tari ne vienne me chercher.
Tari resta prudemment en retrait, sans manifester d'expression particulière mais hocha légèrement la tête pour confirmer mes propos.
- Arrête de mentir, je t'ai vue ! hurla alors Anne-Lucie. Je t'ai vue !
- Allons, allons, mesdames, susurra une voix mielleuse depuis l'entrée. Ne laissons pas les esprits s'échauffer.
- Monsieur le directeur ! L'agent Deveille est coupable de meurtre sur au moins un membre de la communauté. J'en ai la preuve.
Allons donc, elle m'accusait maintenant d'avoir aussi tué le pauvre Ravier. La moutarde commençant à me monter au nez, je tâchai d'ignorer son doigt pointé vers moi et saluai platement Ulrich Marx.
- Monsieur le directeur.
- Agent Deveille. J'espère que votre entrée en fonctions se passe comme prévu.
- Il semblerait qu'il y ait des complications, monsieur.
- Des complications ? répéta l'agent Hubbel, à la limite de l'hystérie. J'ai dit que j'avais des preuves. N.I.A, la vidéo surveillance s'il te plait.
Du coin de l'œil, j'observai Marx dont le costume toujours impeccable n'avait pas résisté à la pluie qui souillait le bas du pantalon. Puis les images un peu floues et en noir et blanc apparurent contre le mur du fond et je détournai la tête.
L'image montrait le sentier entourant le périmètre Sud, et la recrue Maze marchant rapidement le long de la barrière. N.I.A était d'ordinaire capable de produire de bien plus belles images, mais je supposais qu'avec le matériel antique mis à sa disposition, elle ne pouvait pas faire mieux. Soudain, Caleb s'arrêta et se retourna comme si un bruit l'avait attiré, mais puisqu'il n'y avait pas de son, il était difficile de le savoir. Une silhouette se jeta alors sur lui, enserrant brièvement sa nuque puis laissant glisser au sol le corps sans vie. Après un rapide regard vers la caméra, le meurtrier s'enfuit hors de son champ d'action.
Une goutte se sueur froide glissa le long de ma colonne et je pris une inspiration profonde. La femme sur la vidéo me ressemblait en tous points et c'était très troublant.
- Ce n'est pas moi, affirmai-je.
- Alors qui ? railla Hubbel, le regard fou. Tu as un sosie, peut-être ?
- Ce n'est pas moi, martelai-je une seconde fois. La femme sur ces images fait à peu près la même taille que Caleb, mais il fait au moins quinze centimètres de moins que moi.
- C'est tout ce que tu as à dire pour te défendre ?
- Agent Hubbel, ce sera tout, s'interposa fermement le directeur.
Il retira d'un geste lent son imperméable et le plia sur son avant-bras.
- Ce soir, reprit-il, mes agents monteront la garde par deux pour éviter tout incident et vous permettre de prendre du repos. J'ai également envoyé une équipe de nettoyage récupérer le corps de l'agent Ravier qui sera autopsié dans les délais les plus brefs.
- Mais..., bafouilla l'agent Landit qui avait visiblement choisi son camp, Luna Deveille...
- Un peu de bon sens, mes amis, soupira Ulrich Marx. Nous bénéficions d'outils ultra-perfectionnés mis au point, pour un certain nombre, par mes soins, et nous savons tous qu'ils auraient permis au premier venu de prendre les traits de quelqu'un avant de commettre un crime. Ces preuves ne sont pas assez solides pour accuser qui que ce soit.
Le GEN replet accompagna sa tirade d'un sourire rassurant qui ne fit pas grand effet à Anne-Lucie. La conversation étant close, je n'insistai pas, un peu chamboulée et me dirigeai vers le fond de la pièce. On avait dégagé une partie des meubles pour installer de petites couchettes de fortune, et je me décidai pour la plus éloignée des autres.
Allan n'était pas revenu, je ne pouvais m'ouvrir à personne de ce qui venait de se passer et ressassait donc seule les derniers événements. Voulait-on réellement me piéger ou était-ce une coïncidence ? La vidéo avait été trafiquée, mais dans quel but ? Et surtout, qui avait véritablement tué Ravier et Caleb, à quelques heures d'intervalle ?
Je retirai mon sweat et mes bottines, puis m'allongeai sur la couverture rappeuse, les yeux fixés au plafond. Il faisait humide et je doutai de pouvoir trouver le sommeil, mais je fermai tout de même les paupières. Les autres GEN s'étant eux-aussi couchés, le silence se fit dans le hangar.
***
Lionel Tari se retourna sur le dos pour la dixième fois et finit par renoncer à trouver le repos. Il repoussa la couverture et s'assit sur sa couchette en se frottant les yeux. Alors qu'il allait tenter de s'en servir comme d'un oreiller en la pliant, il perçut un bruit de pas léger à l'extérieur du hangar et sortit sur la pointe des pieds.
- Monsieur le directeur, dit-il. Vous ne dormez pas ?
Ulrich Marx se tenait immobile sous son parapluie et semblait contempler les étoiles.
- Oh, vous savez, je ne suis pas friand des toiles d'araignée et des matelas humides, commandant. Ma chambre à l'Institut n'a jamais eu l'air plus confortable qu'aujourd'hui.
Tari hocha la tête tout en se dandinant, mal à l'aise. Il se lança au bout d'une bonne minute de silence, la voix hésitante :
- Monsieur, il faudrait peut-être leur dire...
- Leur dire ? Pour quoi faire ? Générer la panique et les questionnements ?
- Pour apaiser les rumeurs, répondit le grand GEN.
Ulrich Marx secoua le parapluie, arrosant copieusement son subordonné au passage et le replaça au-dessus de sa tête. Il haussa les épaules.
- Quitter l'Institut si sécurisé et conduire les recrues ici semble totalement irraisonné aux yeux de tous, monsieur, ajouta doucement Tari.
- Pourtant, ce nouveau camp d'entraînement fait partie de mes plans depuis longtemps, éluda Marx avec un geste évasif de la main.
- Mais pas dans la précipitation et alors que les locaux ne sont pas prêts. Notre venue ici ressemble davantage à une fuite ! Vous avez ordonné qu'ils soient transportés au plus vite et cela a été fait, mais pour quel résultat ? Nous avons été suivis et l'emplacement des laboratoires Bollart n'est plus un secret.
Un instant, Lionel Tari se demanda s'il n'était pas allé un peu loin, puis il bomba le torse, décidé à assumer. Marx piétina sur place et fit signe à son agent de le suivre. Ils marchèrent à petit pas dans la cour détrempée, sans rien dire.
- L'arrivée du Ministre de la Santé était imminente, lâcha enfin Marx, il fallait agir. C'est une chance de partenariat avec les humains que nous avons là, Tari. La maladie, l'infirmité, le vieillissement, tout ceci fait partie des plus gros démons de cette race de faibles, et vanter les mérites du sérum auprès d'eux pour les débarrasser de tout cela est une première étape dans le développement de notre communauté.
- Je sais cela, monsieur, mais pourquoi ne pas avoir simplement dissimulé les jeunes GEN dans un sous-sol, au même titre que les Déformés ? Achille Germond et sa bande... Leur présence dans notre Institut me parait tout aussi problématique, argumenta le commandant.
- Réfléchissez un peu, Lionel, s'énerva le directeur en agitant son parapluie. Cinquante jeunes ont disparu il y a deux jours, et ils sont recherchés ! Les GEN restés à l'Institut sont tous disciplinés et aptes à affirmer qu'ils étaient volontaires pour le programme, mais pas ces jeunes. Voilà pourquoi ils devaient disparaître. Irina se chargera de la visite de l'Institut avec le Ministre, et elle prétendra juste ne pas avoir accès à cette partie du bâtiment en mon absence quand il sera question de la zone des Déformés.
Ulrich Marx se força au calme et reprit sa marche. Cet abruti de Tari... Il ne pouvait pas tout lui révéler, non, surtout pas la raison de son empressement à faire partir les jeunes GEN. La potentielle présence d'un Revenant dans l'entourage du Ministre avait compliqué les choses, car un tel individu savait où chercher les renseignements gênants sur lui. Il ne pouvait pas risquer que l'on découvre l'Armée Noire avant l'heure... Certes, le groupe avait été vu, mais l'équipe de nettoyage envoyée par Marx avait éliminé les fouineurs jusqu'au dernier.
Tari lui souhaita bonne nuit et s'en fut en direction du petit entrepôt. Marx le regarda jusqu'à ce qu'il ait disparu, les mâchoires serrées.
Le second problème, celui des deux meurtres, n'en était pas vraiment un, de toute manière. Après tout, il savait déjà qui était le coupable, et mettre un terme à tout ceci n'était plus qu'une question de temps.
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