Chapitre 7


Un goût de bile envahit ma bouche. Je devais être blanche comme un linge car Amanda me fixa, l'air inquiète.

- Tout va bien ?

- Tu es malade ? renchérit Victoire qui émergeait de la salle de bain, enveloppée d'une serviette et empestant le parfum.

Je crus un instant que je ne pourrais pas répondre tant ma gorge était sèche. Ma salive restait obstinément bloquée et ne voulait pas descendre. J'optai pour la solution la plus simple :

- Un peu barbouillée, bégayai-je.

C'était vrai. Je frissonnais et retenais de mon mieux des haut-le-cœur.

- Tu devrais te laver, ça te fera du bien. Notre guide de toute à l'heure a dit qu'on pouvait se sentir patraque, me réconforta Victoire.

- Oui.

Je ne pus en dire plus et, après avoir attrapé un bas de pyjama et un t-shirt, pris une douche brûlante. J'en sortis bien rouge et à peine calmée. Ce que j'avais vu me terrifiais. Et si l'un de nous devenait comme ces GEN ratés devenus fous ? Nous étions pris au piège, et le pire dans tout cela, c'était que le gouvernement était responsable de la création de l'Institut et de sa dérive. Depuis toutes ces années, comment se faisait-il que personne n'ait démantelé une telle organisation ?

Je fis mon lit avec d'affreux draps rose pastel et me couchai. Victoire me souhaita bonne nuit sans me tenir rigueur de mon manque de communication. Je serrai les paupières très fort pour chasser le souvenir de la vidéo et me jurai que je ferais tout pour sortir de cet endroit.

***

Le lendemain ne fit que confirmer cette résolution, quand je me retrouvai le nez dans la boue à effectuer un parcours du combattant à huit heure du matin, sans avoir eu droit au petit déjeuner promis. L'entraînement avait débuté à cinq heure tapante par de la course sur un tapis, des pompes, des squats et divers exercices qui ne constituaient que l'échauffement alors qu'ils avaient déjà lessivé la moitié du groupe.

Ce programme de choc, nous le devions à Harvey Mattews, notre instructeur. Il se surnommait lui-même « Stone » car il avait, je cite « la force et la résistance d'un rocher ». Très modeste, si vous voulez mon avis. Le colosse de deux mètres dix au bas mot ne semblait pas être le genre de type à commencer la journée en douceur, par une bonne blague et un café. Il avait clairement dit ne pas tolérer la faiblesse et la médiocrité humaine, et attendait de nous que nous lui prouvions que nous étions de vrais GEN, coriaces et obéissants.

Moi qui n'aimait ni le sport, ni les profs prétentieux, j'étais servie.

- Remuez-vous, dans le fond, beugla-t-il, à la tête du groupe.

Marc courait à ma droite, accompagné de son camarade de chambrée, Guilhem. Nous n'avions pas eu le temps de faire connaissance, mais je crois qu'il souffrait autant que moi.

- Ce n'est pas possible, haleta Marc. Je ne vais pas tenir longtemps.

- Si tu abandonnes, ce gars-là te réglera ton compte, mon pote, répondis-je. Accroche-toi.

Pour ma part, je me surprenais. Pas d'essoufflement excessif, pas de douleurs musculaires, et j'étais même au milieu du peloton sans difficultés. Le précieux sérum avait visiblement fait des miracles sur moi. Quel dommage que ma prof au lycée n'ait certainement jamais l'occasion de voir ma progression !

Je pivotai brièvement pour vérifier que Victoire suivait toujours, mais elle avait l'air en détresse totale. Elle ne faisait qu'un peu de gym pour conserver la ligne et cela devait drôlement la changer.

Je plongeai au sol pour la quatrième fois afin de ramper sous et sur des barbelés. Ceux-ci m'écorchèrent les mains, mais j'avais eu le bon sens de mettre des manches longues. Toutes les petites demoiselles en débardeur et short devaient sérieusement regretter leurs choix.

Je me relevai, grimpai agilement un mur vertical dressé au milieu du sentier et rendu glissant par la boue de nos passages répétés. Autour de moi, les arbres empêchaient le soleil de réchauffer l'air glacé du matin. J'avais été étonnée de voir qu'on nous conduisait en dehors des murs de l'Institut dès le premier jour. Mais à la vue de Stone, j'avais compris qu'il n'y avait aucun risque d'évasion, à moins d'avoir des tendances suicidaires.

L'atelier suivant était une échelle de corde très instable attachée à un arbre. Il fallait bien sûr monter, toucher la dernière branche puis se laisser tomber gracieusement et se réceptionner sans se rompre les os. J'attrapai le premier « barreau » de corde et me hissai. La fille au-dessus de moi avançait plus lentement. Je voyais ses bras trembler. Notre résistance physique avait été augmentée par la mutation, cependant la formation ferait le reste. Un humain aurait déjà fait un malaise avec ces efforts, d'après Stone, mais nous devions aller bien plus loin.

Perdue dans mes pensées, je ne vis pas la fille glisser. Je reçu directement son pied dans la figure.

- Oh ! grondai-je, tiens-toi un peu, tu vas me tomber dessus.

Elle répondit d'un couinement et s'efforça de se maintenir dans le filet. Je glissai un bras sous sa jambe et l'aidai à remonter. Si je ne le faisais pas, elle allait non seulement provoquer ma chute mais aussi se faire sérieusement réprimander par Stone, et ce n'était pas ce que je voulais.

- Tiens-toi répétai-je. Je vais t'aider à aller en haut.

- Je ne peux pas.

- Si, si, tu peux. Force sur tes bras.

Non, mais sérieusement, elle n'allait pas se laisser porter quand même ! Je n'avais aucune envie de prendre une raclée par l'instructeur. De plus, sous moi, Amanda s'impatientait pour monter à son tour. Je lui fis un sourire d'excuse.

Je hissai de mon mieux la fille qui se laissa bien gentiment aller et arrivai en haut, épuisée. Bon sang, s'il fallait continuer l'entraînement je ne serais plus bonne à rien. Elle enjamba la branche et sauta dans le vide. Je l'imitai aussitôt. Bien évidemment, Stone n'avait rien perdu de la scène. Il tendit le bras pour me retenir alors que je tentais de rejoindre discrètement les autres pour ne pas me faire remarquer.

- Recrue, m'apostropha-t-il. Ton nom ?

- Deveille, monsieur, dis-je à voix basse.

Avec un peu de chance, si j'étais polie, tout irait bien. Mais Stone n'en avait pas après moi. Il fusillait du regard la pauvre fille que j'avais aidé.

- Que s'est-il passé en haut, recrue Deveille ?

- Elle a glissé, monsieur. Je l'ai simplement soutenue pour qu'elle reprenne sa prise.

- Bien. Toi, viens-ici.

Cette fois, il parla à ma compagne d'infortune qui murmura son nom de famille de façon presque inaudible. Il se désintéressa de moi.

- L'échec est interdit, recrue Grange. Tu te reposeras quand je te le dirai. Tu boiras quand je l'aurai décidé. Et tu ne compteras sur l'aide des autres recrues que si j'ai donné mon accord. C'est clair ?

- Oui, monsieur.

- Trente pompes. Tout de suite.

La malheureuse se mit en position dans la boue glissante. J'assistai à son humiliation, immobile au milieu des autres. Stone plaça sa botte entre ses omoplates et appuya pour corser l'exercice. Elle parvint à peine effectuer une pompe. Je dévisageai mes camarades, dégoûtée par notre lâcheté à tous. Personne n'osait intervenir. Marc et Victoire, côte-à-côte en face de moi, me jetèrent un regard d'avertissement. Il valait mieux faire profil bas, puisque l'entraide dont j'avais fait preuve ne faisait pas partie des qualités prônées par Stone. J'avais du mal à rester en place, c'était révoltant de voir qu'il la traitait ainsi. Ce n'était tout de même pas si grave. Et la pauvre fille malmenée ne réussissait plus à se relever... Le premier rire d'un garçon sur ma gauche me fit réagir. J'intervins :

- Monsieur, je ne crois pas que tout ceci soit nécessaire.

L'instructeur darda un regard froid dans ma direction.

- Tu crois ? cracha-t-il.

Si son expression n'avait pas suffi à me faire comprendre que j'aurais dû la fermer, son coup de poing dans le nez s'en chargea. Il me frappa si vite que je ne réalisai ce qui se passait qu'au moment où mon nez craqua et se mit à pisser le sang. Je partis en arrière et m'assis dans la boue, les oreilles bourdonnantes.

- Leçon très importante, ricana le colosse. Ne jamais se mêler des affaires des autres. Vos objectifs, vos progrès et vos échecs ne concernent que vous. Vous êtes seuls. Vous devez vous centrer sur vous-mêmes et devenir les meilleurs.

- Vous auriez voulu que je la laisse tomber ? éclatai-je, épongeant le sang avec ma manche de veste.

- Luna, siffla Victoire, accroupie près de moi et mouchoir en main.

Stone l'ignora et me balança sa chaussure dans figure, histoire de bien enfoncer le cou.

- Quelque chose à dire, Deveille ? Des réclamations ?

Plus personne ne riait. Cet abruti m'avait cogné si fort que ma lèvre s'était déchirée. La douleur accentuait encore la haine qui avait flambé dans mes veines à la vue de ce dont il était capable. Je me décidai me taire. Au moins, Stone ne pensait plus à la fille, toujours à plat ventre, qui pleurait toutes les larmes de son corps.

- Cette petite blessure n'est pas une excuse valable pour ne pas suivre la session.

Sur cette remarque, il s'éloigna au trot et emmena le groupe. Victoire me remit sur mes jambes et, luttant contre la douleur pulsant dans mon nez cassé, je suivis docilement. 

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