Chapitre 6


La cour était baignée de soleil, et celui-ci rendait les dalles pavant le sol encore plus brillantes.

Une main devant mon visage, j'avançai à l'aveuglette vers mes camarades massés au milieu. Ma tentative pour protéger mes yeux se solda par un échec lorsque je rentrai directement dans le dos de Marc. Ou plutôt de son double charismatique, puisque je ne le reconnus pas immédiatement quand il se retourna. Lui aussi avait grandi et embelli en plus d'avoir pris beaucoup de muscles.

- Luna ! Tu vas bien ? On commençait à croire que tu n'arriverais jamais !

- Ouais, ça va, grommelai-je, un sourire crispé sur les lèvres. Comment tu as su que c'était moi ?

- Eh bien, tu es la dernière qu'on devait attendre, avoua mon ami.

- Venez tous par-là, appela la femme métisse aux impressionnants yeux verts vers laquelle nous avancions comme des mouches vers un bout de viande.

Elle se racla la gorge et nous adressa un sourire joyeux :

- Bienvenue à vous ! Bien évidemment vous avez déjà été accueillis il y a quelques heures, mais je suis très heureuse de pouvoir le faire une nouvelle fois, maintenant que vous avez le privilège d'être des GEN.

Elle prononça le mot « gène » mais l'épela ensuite pour nous spécifier la différence. Il semblait être d'une importance capitale et lourd de sens. Mais elle ne donna pas de détails. C'était quoi un GEN ? En étais-je une ?

- A présent que vous faites partie des nôtres, vous allez être préparés grâce à un entrainement à la fois physique et intellectuel au cours des prochains mois. Vous devez faire honneur à votre espèce et embrasser notre cause, s'écria-t-elle, visiblement très excitée par la situation. Mais tout ceci peut attendre, laissez-moi vous faire visiter.

La femme se remit à parler, faisant de grands gestes pour indiquer les bâtiments mais je ne l'écoutai que d'une oreille distraite. Je cherchai à me rapprocher de la sublime rousse à l'avant du groupe qui ne pouvait être que Victoire. Elle chuchotait à voix basse avec une fille à la peau noire et aux cheveux frisés.

La femme expliqua que nous venions de quitter le laboratoire, le lieu central de l'Institut Bollart. C'était là que se passait le cœur des expériences et que nous suivrions des cours de science. Le labo était en béton gris et laid, composé de deux étages et de trois sous-sols que nous ne devions en aucun cas visiter. De l'autre côté de la cour, les salles d'entrainement. Tout aussi vilaines, elles regroupaient un gymnase, une piscine, des salles de musculations, j'en passe et des meilleures. Et enfin, le manoir. Il marquait la séparation entre la cour pavée et le grand parc d'herbe et de buissons bordé d'arbres qui s'étalait derrière. Grand, en pierre recouverte de lierre, c'était bien la seule chose chaleureuse dans ce décor. Car c'était sans compter l'épaisse muraille qui nous enfermaient et que je n'avais pas bien vue à notre arrivée de nuit. Le mur était surmonté de barbelés et de fils parcourus par le courant. Des caméras de surveillance complétaient le dispositif.

- On est dans un camp militaire, affirma Marc qui restait tout près de moi. Regarde ces types.

En effet, une grosse jeep roulait près du mur de gauche. Trois hommes en gilet par balles et armés de mitraillettes et autres gros calibres en descendirent après l'avoir garée. Là, c'était vraiment du lourd. Je me sentis étouffée par la sensation d'emprisonnement. Heureusement, l'air ne comportait pas d'odeur car je crois que cela m'aurait fait vomir, en plus de l'angoisse.

Notre hôtesse d'accueil nous entraîna vers le manoir pour nous installer dans nos quartiers. Au rez-de-chaussée se trouvait le réfectoire. Je bloquai mon souffle pour ne rien sentir, toujours indisposée par mes sens.

- Je suis navrée, s'excusa-t-elle, mais vous ne prendrez votre premier repas que demain matin. La mutation peut avoir des effets sur la digestion pendant les premières douze heures.

Nous entrâmes pour monter directement au troisième. Les chambres étaient situées sur les trois premiers étages, avec le self en bas ainsi que les cuisines. Au-dessus, nous avions des salles de classe, la salle commune, et, sous les combles, la bibliothèque. Notre couloir était garni de moquette. Nous devions nous partager les dernières chambres, tout au bout.

- Quatre chambres de quatre et deux de trois personnes. Mixité interdite et sortie proscrites à partir de tout de suite.

Là-dessus, la femme aux yeux verts disparut. Je me faufilai entre des filles après avoir salué Marc et entrai à la suite de Victoire et sa nouvelle amie dans une des chambres. Elle me sauta au cou.

- Je suis trop contente de te voir ! Tu as vu cette chambre ? On a un méga dressing !

- Merci, je vais bien moi aussi, ironisai-je.

- Oh, ne râle pas, rit-elle. Au fait, je te présente Amanda. Amanda, c'est Luna, ma copine de lycée.

- Salut, dit timidement la fille. Ça te dérange si je m'installe avec vous ?

Je lui assurai que non et m'assis sur le lit simple, dans le coin gauche. Un lit superposé se trouvait de l'autre côté et nous disposions chacune d'un bureau et d'une armoire. La pièce était peu meublée mais le parquet réchauffait la décoration, de même que les rideaux marrons à la fenêtre.

- Bon, si vous voulez bien m'excuser, je teste la salle de bain, fit Victoire. Après je ferai l'inventaire des vêtements.

Et elle s'enferma. Il n'y avait qu'elle pour se réjouir alors que nous étions prisonnières, dans une cage dorée certes, mais prisonnières tout de même. Je soupirai et ouvris la boite de l'ordinateur portable laissé sur mon bureau.

- Tu as vu ce qu'ils nous fournissent, s'étonna Amanda en tournant en rond dans la chambre. On dirait un hôtel.

- C'est vrai, acquiesçai-je.

Je n'avais pas très envie de discuter. Pour le moment, je voulais des réponses et personne ne m'en donnait. J'allumai donc l'ordinateur. Le bureau afficha un fond d'écran basique avec quelques icônes, dont internet. Et tout à droite, dans le coin, un dossier.

« Dossier GENESIS »

Là, ça m'intéressait. Je cliquai dessus, impatiente de découvrir des choses sur cet endroit fou.


***


Lettre du Premier Ministre au docteur Augustus Bollart, 24 Mars 1946

Cher Augustus,

[...]

La guerre est terminée, c'est désormais une chose certaine, toutefois nul ne saurait prédire ce que l'avenir nous réserve et encore moins être sûr que les horreurs que nous avons vécues durant cette période troublée ne se reproduiront pas.

Aujourd'hui, il est du devoir de notre gouvernement de protéger le peuple français et de prévenir les risques d'une nouvelle guerre. C'est pourquoi nous mettons actuellement en place un projet secret pour développer notre armement et garder une longueur d'avance sur l'ennemi potentiel. Nous souhaitons créer un regroupement de chercheurs, de scientifiques et d'intellectuels au service du gouvernement, qui sera bien entendu financé par lui. Etant un des plus grands généticiens de notre époque, je vous pense tout à fait qualifié pour remplir la lourde tâche de gérer cette institution secrète pour servir votre pays.

[...]

Lettre du docteur Augustus Bollart à ses collaborateurs, 6 Juillet 1957

Mes chers collaborateurs,

Aujourd'hui est un grand jour : celui de nos premiers tests du sérum sur l'être humain. Depuis dix ans, nous développons sa formule après des résultats impressionnants sur les animaux devenus dotés d'une force et d'une intelligence incroyable. L'heure était donc venue de concrétiser nos travaux et de les mener au bout. J'ai donc le plaisir de vous informer que cinq sujets ont été transformés ce matin-même, et nous attendons impatiemment leur réveil.

Toutefois, je viens aussi vers vous pour vous prévenir de la décision du gouvernement envers notre Institut. Le président a décrété qu'il ne soutenait plus un tel projet et que nos expériences sur les humains dépassaient de loin les limites de l'éthique et de la morale. Rassurez-vous, même sans les financements du gouvernement, l'Institut tiendra et mènera la recherche sur le génome humain à son apogée. La réunion de samedi prochain est donc maintenue dans nos tous nouveaux locaux, afin de débattre des diverses questions sur notre avenir.

[...]

Rapport d'expériences de Honorine Bollart, nouvelle directrice de l'Institut, 4 Juillet 1970

[...]

Nous avons pratiqué dix nouvelles injections ce matin sur des volontaires afin de tester le sérum GEN07, et seuls deux sujets ont survécu à la violence de la mutation.

Avec ce nouveau sérum, nous comptions nous baser sur les travaux de mon père pour limiter les effets secondaires principaux, parmi lesquels les crises de violence et la soif de sang ingérables restent notre priorité.

Toutefois, nos deux sujets restants présentent eux-aussi des défauts visibles qui mettent en exergue le déséquilibre entre l'action du sérum sur le plan physique et celle sur le plan cérébral. Le sujet H24 est en effet resté aussi chétif qu'un humain mais a, en revanche, réussi tous les tests intellectuels donnés et piraté les comptes du gouvernement en quelques minutes. Le sujet F28, quant à elle, montre les symptômes inverses. Sa musculature est désormais plus importante que celle d'un homme mais elle ne parle plus, ne connait plus non nom et est incapable de réagir aux consignes simples. Il est donc nécessaire de travailler à un nouveau sérum en utilisant la formule du GEN05 qui avait parfaitement fonctionné sur deux sujets. [...]

***

Estomaquée, je fis glisser les documents du bout de la souris et tombai sur des vidéos. La première me montra un homme, assis dans une cellule minuscule, la tête entre les mains. Il était si costaud qu'il aurait fait de l'ombre à Hulk. Un homme en blouse de médecin entra alors avec deux infirmiers et se pencha pour lui parler. Je n'avais pas mis le son pour ne pas alerter Amanda.

L'homme se redressa d'un coup et je le vis attraper le médecin par le col et le jeter contre le mur. Il ouvrit la bouche, sûrement pour crier, attrapa sa couchette et la brisa. Lorsqu'il souleva un infirmier qui le visait avec un fusil hypodermique, je me dépêchai de cliquer sur la croix rouge de la fenêtre. Mais je l'avais déjà vu lui arracher un bras.

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