Chapitre 37


L'air de la nuit me sembla presque froid après le brasier incandescent.

Mes jambes cédèrent sous moi et je me traînai dans l'herbe, harassée. Mes joues me donnèrent l'impression de brûler encore et je tâtai ma peau par réflexe. Avais-je été atteinte par les flammes ? Mes doigts se perdirent dans mes cheveux et m'apportèrent la réponse en même temps qu'une poigné de cheveux émiettés. Je les regardai s'échapper dans le vent, assise sur la pelouse humide.

Un cri m'arracha à ma contemplation lorsque le commandant Tari et son fardeau déboulèrent à leur tour dehors et s'écoulèrent. Tari se mit à se rouler énergiquement pour étouffer les flammes gagnant ses vêtements. Au moins, nous nous en étions sortis.

- Mais qu'est-ce qui t'a pris ? hoqueta Allan qui trébuchait sur sa jambe blessée dans ma direction. Tu n'aurais jamais dû risquer ta vie ! C'était irresponsable, bon sang !

Surprise par la remontrance alors que nous venions à peine d'échapper au pire, je me renfrognai. Ce que j'avais subi ces dernières heures ne me rendaient bizarrement pas d'humeur à me laisser marcher sur les pieds.

- A ma place, vous seriez parti ? Vous m'auriez laissé mourir ?

- Bien sûr que non, mais ce n'est pas la même chose ! Je suis ton professeur, et toi mon élève, c'est à moi que revient le rôle de te protéger, et non l'inverse ! Un rôle dans lequel j'ai d'ailleurs superbement échoué, termina-t-il, amer.

Allan haussa les épaules, furieux contre lui-même et se détourna. Il se perdit dans le spectacle de la résidence en flammes à quelques mètres, et dont nous pouvions sentir la chaleur.

- J'aurais dû être là, reprit-il. Pour t'éviter tout ça.

Il revint vers moi et effleura ma joue du bout des doigts. Il la retira couverte de suie et d'un sang qui n'était pas le mien. Mon estomac se noua à cette vue et je détournai le regard. Allan ouvrit la bouche pour me questionner, la face nimbée de lumière rouge feu, puis se ravisa et je lui en fus reconnaissante. Je ne voulais pas avoir à lui parler du roux maintenant et j'ignorais même si j'en serais capable un jour.

Tari mit fin à mon malaise en nous passant devant, ses pirouettes anti-feu achevées. Son regard mauvais passa de mon mentor à moi, lourd de colère et de reproches. Une petite voix au fond de mon esprit me souffla que si je n'avais pas insisté pour aider à dégager Allan, Tari l'aurait volontiers laissé en plan pour sauver sa propre peau.

- On s'arrache, grommela-t-il au moment précis où les vitres volaient en éclats sous la chaleur de l'incendie et où une pluie de verre inondait la pelouse

Hubbel avait baissé le plan inclinable du speed-jet et décolla dès que tout le monde eut embarqué. Elle avait dû rappeler l'appareil à l'aide du système de commande à distance et Barnier était déjà installé sur une couchette, dans un état préoccupant. L'Elite abandonna son siège à son commandant et se fit un devoir d'examiner la jambe d'Allan.

Debout près d'un petit hublot, je fixai une dernière fois la résidence du sénateur Reilly, avalée par les flammes. Nous ne laissions derrière nous que des cadavres et des décombres. Un véritable désastre...

Je secouai la tête et traversai l'habitacle pour ouvrir l'armoire à pharmacie munie d'un miroir, et ainsi examiner mes plaies. Cela me força à me rapprocher de Barnier, dont les cernes noirs s'agrandissaient en même temps que de drôles de marbrures bleues sur son cou. S'il tenait jusqu'à notre arrivée à l'Institut, il serait de toute façon trop tard, car nul ne pouvait survivre au poison. Agité de spasmes des plus violents, l'agent était attaché par d'épaisses sangles et se mit à pousser des gémissements qui me filèrent la chair de poule. Secouée, je me reconcentrai sur mes propres blessures.

Une large brûlure courrait de derrière mon oreille à ma pommette et j'avais un œil au beurre noir gonflé. Je ne me souvenais toutefois pas m'être cognée à cet endroit et appuyai lentement sur la poche pour en éprouver la sensibilité. Rassurée, j'en conclus que tout cela n'était que bénin, à l'exception de mon épaule engourdie par les balles. Le sang avait cessé de couler, je ne pouvais donc que souhaiter une cicatrisation rapide.

Le speed-jet porta bien son nom en nous transportant à l'Institut en moins d'un quart d'heure – dans ce genre de situation, n'oubliez pas de boucler votre ceinture.

L'Elite Barnier fut déchargé le premier sur un brancard entouré de médecins, mais c'était inutile. Alors que nous survolions le parc du manoir, il avait cessé de geindre brusquement.

Les membres aussi lourds que mon cœur, je descendis à mon tour dans le garage pendant qu'on emmenait Allan faire vérifier sa jambe. Tari, en pleine discussion avec Irina Malcolm, s'interrompit net et s'éloigna.

- Recrue Deveille, me salua la doctoresse, ses cheveux impeccables coulant dans son dos. Venez avec moi, je vais vous examiner.

- Je vais bien, protestai-je.

Je voulais qu'on me laisse tranquille, pas que cette GEN manipulatrice me regarde sous toutes les coutures. Elle ne répondit pas et se contenta de me guider jusqu'à la salle de soin d'urgence placée à la sortie du garage. Je retirai ma veste et m'assis sur la table d'auscultation, puis Irina me planta une aiguille dans le bras, me reliant à la machine qui prélèverait mon sang.

- Je vais regarder votre épaule. A quand remonte la blessure ?

- Une heure, une heure et demi peut-être.

Les yeux de la GEN s'écarquillèrent et elle palpa vigoureusement les points d'entrée des balles.

- Le stade de guérison est très avancé..., murmura-t-elle pour elle-même. Les balles sont pratiquement dissoutes.

- Dissoutes ? m'étonnai-je.

- Vous connaissez l'adage « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort », non ? C'est exactement cela pour les GEN. Le corps se débarrasse de ce qui ne le détruit pas, il l'absorbe, en quelque sorte. Mais c'est tout de même incroyable...

Irina Malcolm désinfecta la zone par prudence puis m'autorisa à me rhabiller. Elle piaffait littéralement d'impatience devant la machine pour qu'elle lui donne les résultats.

- Qu'est-ce que vous cherchez dans mon sang ? m'informai-je.

- La raison pour laquelle vous êtes...ce que vous êtes, fit la GEN en cherchant ses mots. Pour les futures générations de GEN.

- Mais, vous, personnellement ?

J'affrontai son regard quand elle me dévisagea d'un air mécontent. J'avais remarqué son empressement et l'espoir qui luisait sur sa figure quand elle s'occupait de moi.

- Ça ne vous regarde pas, lâcha-t-elle.

- Je crois que vous avez une autre motivation, appuyai-je, enfonçant le clou.

- Ça ne vous regarde pas, articula encore le docteur Malcolm, détachant chaque syllabe. Maintenant, vous pouvez sortir.

- Je dois parler au directeur.

La phrase sortit toute seule et je revins durement à mes préoccupations premières.

Le coup, le sang, le roux effondré au sol... 

Ebranlée, je sentis ma bouche s'assécher. Irina, indifférente à mon état, eut un geste désinvolte de la main.

- Il n'est pas disponible pour le moment, il ne pourra pas vous recevoir.

- Comment ? dis-je d'un ton incertain. Mais...

- Je sais ce qu'il vous a chargée de faire. Où est la liste ?

Je restai silencieuse mais fis un signe en direction de ma veste. La GEN fouilla dans la poche intérieure et en tira le mince feuillet.

- L'avez-vous lue ?

- Non.

C'était vrai et je me sentis stupide que cela ne me soit pas venu à l'esprit. Quelle gourde je faisais ! Ne pas penser à découvrir les sales secrets du malade qui me volait ma vie !

- Peu importe, éluda la doctoresse. Si le directeur vous l'a confiée, c'est qu'il considérait que vous pouviez savoir.

- Savoir quoi ?

Côté mauvaises nouvelles et catastrophes en tous genre, j'en avais clairement assez eu pour le restant de l'année.

- Ce que contient la liste, s'amusa mon interlocutrice. Les noms des traîtres potentiels entre nos murs.

Alors c'était ça, le but de Marx ? M'impliquer dans la dénonciation des pourris qu'il hébergeait ? Et s'assurer ainsi que je resterais sage en voyant ce qu'il leur infligerait ?

Excédée, je quittai la salle en trombes.

***

Ne désirant que le calme de ma chambre, je contins de mon mieux une grimace en y retrouvant toute ma bande d'amis complétée par le copain de Victoire. Ne pouvait-on pas me laisser en paix ? Cinq paires d'yeux se rivèrent sur moi.

- Alors, cette mission ? demanda Tribal.

- Oh, je n'ai pas eu grand-chose à faire, vous savez, mentis-je.

Je ne pouvais pas leur dire. Pas ici, pas maintenant, pas en présence de cet inconnu qui servait de petit chien à Victoire. Jamais, peut-être.

Voyant que je n'ajoutais rien, immobile dans ma combinaison couverte de cendres et de sang, Tribal brisa le silence. Tout le monde avait l'air mal à l'aise depuis mon arrivée.

- On s'était dit... Enfin, le couvre-feu n'a pas été levé et on n'a pas le droit d'aller en ville, mais on pourrait se faire une petite soirée à la Cascade, non ? Pour décompresser, ce serait sympa.

Je hochai vaguement la tête. Me détendre, passer du bon temps, c'était une bonne idée, non ?

Le coup, le sang, le roux effondré au sol...

- Ce sera sans moi, rétorquai-je d'une voix qui me sembla être différente de la mienne. J'ai besoin de rester seule.

Mes propos firent l'effet d'un vent glacé et les visages se refermèrent ou s'étonnèrent. Amanda parut sur le point de me raisonner, mais n'en fit rien et sortit à la suite des autres :

- Bon, on va te laisser, alors. Tu as besoin de repos, hein ?

« Oui, du repos. Foutez le camp, laissez-moi. Je ne veux voir personne ».

Seule, je pris une douche, fermai le volet et m'assis sur mon lit, le regard perdu dans le noir.

« C'est terminé, me dis-je. Terminé ».

Non, ça ne l'était pas. Cela ne se finirait jamais car Marx avait réussi son pari.

J'étais devenu un monstre.

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