Chapitre 36
- C'est bon, elle est ici !
- Dépêche-toi, la baraque flambe, on va griller !
Des pas, des voix. Sortant du brouillard dans lequel je flottais, je vis s'encadrer dans mon champ de vision le visage soucieux d'Anne-Lucie Hubbel. Je clignai des paupières, perdue.
Combien de temps s'était-il écoulé ? Combien de temps étais-je restée, affalée, seule et blessée dans ce couloir ? Mais cela importait-il vraiment ? Qu'on me laisse crever, ce serait aussi bien. Au moins n'aurais-je plus jamais à revivre toutes ces choses...
- Luna ? Tu peux marcher ? Luna, je te parle.
Revenant tout à fait à la réalité, je pris conscience de la douleur sourde de mon épaule, et de la plaie, plus brûlante encore, fait à mon esprit. Je pivotai machinalement la tête en direction du cadavre du roux mais Hubbel m'attrapa le menton.
- On ne peut pas rester ici, dit-elle, autoritaire. On va rejoindre les autres, la maison a pris feu. Il faut sortir, d'accord ?
Sans attendre ma réaction, l'Elite glissa un bras sous le mien et me releva. Mon épaule se plaignit mais je tins bon : la cicatrisation avait déjà débuté.
- Où sont les autres ? demandai-je d'une voix rauque tandis que nous franchissions le couloir en louvoyant entre les débris. Où est Allan ?
- Au premier étage. La mezzanine s'est effondrée, on est tout tombés.
Je vis clairement son expression changer et fronçai les sourcils. Cependant, il ne s'agissait certainement pas du pire de nos problèmes, ce que je pus constater en arrivant là où aurait dû se trouver la mezzanine.
Il n'y en avait plus.
A la place, un trou immense, cerclé de planches arrachées du parquet, et surtout, en flammes. La chaleur me saisit à la gorge, achevant de me ramener à l'instant présent. La fumée envahissait lentement l'endroit et je la sentis s'insinuer dans mes poumons. Mon instinct de survie reprenait le dessus, m'interdisant de sombrer dans mes lamentations avant de m'être sauvée d'ici.
J'avisai l'escalier qui tenait encore debout mais était, lui aussi, déjà gagné par l'incendie. Me doutant que j'avais sous les yeux notre seule chance de descendre, je m'y engageai, une main sur le visage pour me protéger un peu des vapeurs toxiques. Les marches craquaient, s'effritaient et la peur ancestrale du feu me tordit le ventre, m'incitant à aller plus vite. Il n'était pas dit que je finirais ma vie en morceau de viande cuite au barbecue.
- Attention, prévins Hubbel, les dernières marches se sont affaissées lorsque je suis montée à ta recherche. Il va falloir sauter.
L'air était plus respirable à cet étage, puisque toute fumée montait, toutefois je m'abstins de répondre, préférant l'économiser. La distance à sauter jusqu'au sol ne dépassait pas une dizaine de marches et, même avec une épaule blessée, j'en étais plus que capable. En deux temps trois mouvements, je me réceptionnai sur le carrelage. Finalement, sortir de cette maison en feu ne serait peut-être pas si compliqué que cela...
- Venez m'aider, il faut faire vite, cria Tari, agenouillé auprès d'un tas de gravats, en guise d'accueil. Il est toujours coincé !
- Qui ça ? bafouillai-je, tout en connaissant déjà la réponse.
Barnier était là, gisant au sol, agité de convulsions, la bave aux lèvres. Il n'avait certes pas l'air au mieux de sa forme, mais, lui, au moins, n'était pas enseveli à moitié sous des kilos de pierres et de bois. Mon mentor, dont seule la partie supérieure du corps émergeait des décombres, me lança un regard douloureux.
- Allan ! m'écriai-je. On doit le sortir de là !
A demi-hystérique, je courus près de lui et soulevai un premier bloc.
- Laisse-moi, protesta-t-il en retenant ma main. Sortez de là, il ne reste pas beaucoup de temps.
- Hors de question, jetai-je.
Allan grimaçait sous le poids des gravats et je souhaitais intérieurement qu'il ne fut pas trop amoché, en dessous. Mais pour rien au monde, je ne voulais le laisser ici. Tari fit un pas dans ma direction, aussitôt arrêté par Hubbel.
- Barnier est en train de mourir, il lui faut une cellule de soin.
- Et qui a causé tout ça, hein ? cracha le commandant. Tu n'as pas été foutue de respecter des putains d'ordres et voilà où on en est !
- Ça suffit, coupa Allan. Ramenez-le au jet et ne vous occupez pas de moi. Si on reste ici, on va tous crever, de toute façon.
Mes yeux allant des uns aux autres, j'éprouvai une révolte soudaine, alimentée par la plus forte rareté de l'air et les flammes grondant au-dessus de nous. L'incendie était pour l'heure contenu au deuxième étage, mais cela ne durerait pas. Heureusement, Tari prit les choses en main et donna ses consignes après un regard mauvais pour Hubbel.
- Retournez au jet avec Barnier et occupez-vous de lui, je reste encore un peu pour dégager Allan.
- Moi aussi, décidai-je.
- Ce n'est pas discutable, recrue, me moucha le commandant.
- Effectivement.
Là-dessus, je m'agenouillai près d'Allan, le regard dur. Hubbel se détourna de nous et chargea son collègue sur son épaule avant de passer par la baie vitrée, à présent dépourvue de vitres et de disparaître dans la nuit.
- Vous allez y laisser la peau, Deveille, cingla Tari.
- Luna, ne fais pas n'importe quoi, renchérit mon mentor.
- Je ne vous laisse pas.
Je me plaçai en face de Tari pour l'aider à déplacer un gros étai de bois et déblayai ensuite le plus de morceaux possibles.
- Ma jambe droite est dégagée, annonça Allan quelques minutes plus tard en gigotant pour tenter de sortir de son trou.
Une poutre craqua alors et s'abattit dans une impressionnante projection d'étincelles et je sursautai. Le feu, avide de combustible, se mit à lécher le reste de l'escalier et commença à nous envelopper. Nous allions finir pris au piège ! La panique me gagna. Je m'étais préparée à mourir, dans ma cellule au fond du labo, mais maintenant que j'avais la possibilité de vivre, je n'y étais plus autant disposée.
Dans un grognement d'effort, j'écartai un nouveau bloc, le front emperlé de sueur dans la chaleur ambiante et croissante.
- On n'a plus le temps, s'exclama Tari, on n'y arrivera jamais.
- Luna, dégage d'ici tant que tu le peux, et vous aussi, commandant !
Je toussai, les larmes aux yeux et secouai vigoureusement la tête.
- Non, on y est presque ! Soulevez encore celui-là ! Allez !
La fournaise grondait se distordait en dévorant tout sur son passage. Mais si c'était pour Allan, j'étais prête à y rester. Il était la seule personne à laquelle je pouvais faire confiance, je ne pouvais pas le laisser en arrière. Mon mentor riva son regard glacé au mien, comme pour me dire quelque chose qu'il ne voulait pas laisser Tari entendre, puis se résigna.
Le commandant de la mission balança une grosse planche un peu plus loin et son regard s'éclaira :
- Allan, si on bouge ce morceau, tu peux bouger l'autre jambe ?
- Un peu, oui, mais j'aurais besoin d'aide.
- Recrue, vous le tirez, c'est compris ? On y va !
Je me positionnai derrière mon mentor et assurai ma prise sous ses aisselles.
- Maintenant ! hurla Tari.
Allan se débattit au maximum tandis que je tirai de toutes mes forces, les mâchoires contractées. Mon épaule protesta, puis s'égosilla carrément de douleur, au point que je crus qu'elle allait s'arracher.
- Encore ! grogna le commandant, encore !
La jambe d'Allan vint d'un coup, accompagnée par un gémissement de soulagement, et nous roulâmes dans la poussière, emportés par l'élan.
- On dégage ! tonna Tari. Tout va s'effondrer !
Le brasier croissant à vue d'œil, comme s'il avait attendu le dernier moment pour nous encercler et nous faire prisonniers. Je compris que nous ne pouvions plus fuir par le haut et que notre étage nous offrait à peine cette chance.
- Par-là, la baie vitrée donne sur l'extérieur ! s'époumona Allan qui tenait debout avec difficultés.
Sa voix couvrit à peine le boucan de l'incendie. Je respirais mal, oppressée par la fumée.
- Deveille, passez devant, je vais le porter, fit Tari, le visage luisant.
Remontant le col de ma veste sur ma nuque, je pris mon courage à deux mains et m'avançai vers le mur de flammes qui replaçait la baie vitrée.
- Il faut traverser, dit encore Allan.
Oui, il le fallait. C'était maintenant ou jamais. Je bloquai l'air dans mes poumons et me jetai en avant, mon épaule douloureuse plaquée contre mon corps.
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