Chapitre 33
Le speed-jet redécolla dans un infime souffle d'air et je le suivis des yeux. Le petit appareil était destiné à survoler sans bruit de grandes étendues, bien qu'il ne fût pas adapté au transport de beaucoup de personnes. Il nous avait déposés à l'arrière de la résidence du sénateur, à l'abri d'une sorte de bosquet, et Tari l'avait renvoyé à l'Institut par le biais du pilote automatique. Je n'avais pas encore osé demander comment se passerait l'extraction de notre équipe si les choses tournaient au vinaigre, mais ce point me taraudait. Me mordant la langue pour me contraindre à rester muette, je me plaçai derrière Hubbel et l'imitai en sortant mon arme.
J'étais assez démunie, comparée au reste des agents car on ne m'avait fourni qu'un revolver avec plusieurs chargeurs et un couteau – une broutille à côté de la farandole de poignards de Chaffaron et de l'énorme arme à feu de Tari qui devait tirer des missiles au lieu des balles tellement le canon était large. Cela dit, je maîtrisais ce que j'avais dans les mains, et c'était sans doute préférable.
L'équipe se terra derrière les buissons et nous observâmes l'endroit. A l'exception de la baie vitrée et de l'immense piscine qui jouxtait l'habitation, je ne vis pas grand-chose. La distance ne me posait pas de problème, mais davantage de lumière n'aurait pas été de refus.
- Deux gardes à l'avant de la maison, indiqua alors Barnier d'un ton tranquille. Ils se séparent pour patrouiller tout autour.
Je tournai la tête, m'attendant à le voir avec des lunettes à vision nocturne, mais il n'en était rien. Allan m'avait vaguement parlé de certains GEN disposant de facultés encore plus pointues que les autres, comme une hypersensibilité aux ondes, ou une vision dans le noir parfaite, mais je n'avais encore jamais rencontré quelqu'un comme cela.
- Pas plus que ça ? tiqua l'adjointe de Rick.
- Nous ne devons pas nous fier aux apparences, conseilla le commandant, caressant lentement son arme. Nous pourrions tomber sur plus de monde à l'intérieur.
Quelque chose dans son ton m'alerta et je scrutai son visage dans la pénombre. Une tension presque imperceptible déformait les traits de Tari, lui qui s'était jusqu'alors montré si confiant. Il reprit très vite contenance et donna ses ordres.
- Barnier, en avant, tu nous guideras dans le noir, Hubbel et Deveille, ne vous quittez pas d'une semelle. On y va.
Tel un commando militaire, nous avançâmes genoux fléchis sur le gazon finement coupé. Je savais ce que j'avais à faire et n'hésitai pas, une fois au pied du mur. Tandis que Barnier grimpait au balcon du premier et ouvrait la porte-fenêtre, Hubbel et Chaffaron le couvrirent, et je pus monter à sa suite. Je m'accroupis alors sur ledit balcon pour protéger les deux autres ainsi que Tari, qui vérifiait qu'aucun garde n'arrivait.
Dès que nous fûmes tous montés, j'entrai dans ce qui me sembla être une chambre inoccupée. Je faisais de mon mieux pour me comporter comme les Elites : même démarche silencieuse, mêmes mouvements précis, mais mon souffle heurté me trahissait. L'adrénaline coulait dans mes veines à flots.
Barnier toujours devant, nous sortîmes dans le couloir.
- On va fouiller cette maison de fond en combles, c'est compris ? dit Tari en remuant à peine les lèvres. Barnier, avec moi, les autres ensembles. Vous vous occupez de cet étage et nous de celui du dessus. Si vous ne trouvez pas Reilly, rejoignez-nous.
- On se sépare ? protesta Chaffaron.
- De cette façon, nous mettrons moins de temps.
Une fois encore, l'intonation du commandant m'inquiéta. Il savait ce qu'il faisait, oui ou non ? Je n'eus pas le loisir d'approfondir le sujet et suivis Hubbel, ainsi que je le devais.
Chaffaron et moi couvrant Hubbel, nous avançâmes dans le couloir désert en louvoyant pour éviter les caméras. La compagne de Rick ouvrait porte après porte, sans bruit et sans succès.
- C'est trop calme, murmura Chaffaron en avalant sa salive.
- Peut-être qu'il n'y a des gardes qu'avec le sénateur, proposai-je.
L'autre secoua la tête, apparemment incapable d'expliquer ce qui le troublait. Cela dit, j'étais assez d'accord avec lui, mais je n'aurais pas su dire pourquoi. J'avais juste le sentiment d'avoir mis les pieds dans quelque chose de pas très net. Et cela n'aidait pas mon trouillomètre en ébullition...
- Attention ! hurla Hubbel.
Je me jetai instinctivement contre le mur sans savoir ce que je venais d'éviter et me retournai vivement. Chaffaron gisait sur le flanc, la gorge tranchée.
- Hubbel, bafouillai-je.
Cette dernière ne répondit pas et se rua sur la femme qui venait de nous surprendre, jaillissant d'une pièce sur la gauche avec son poignard. Je dégainai mon arme, le cerveau engourdi et vérifiai derrière moi que personne ne nous prenait en sandwich.
- Tire, Luna, tire ! cria Hubbel, aux prises avec la femme.
Non, pas la femme. Gestuelle fine et vive, corps parfait, crinière lustrée. Une GEN.
Un torrent de colère m'envahit. Ainsi, Reilly était bien impliqué dans ce qui avait eu lieu à l'Institut, et non content d'avoir provoqué la mort d'un ami, il corrompait d'autres GEN. Comme Rita.
Je levai mon revolver au moment où les deux adversaires roulaient au sol. Hubbel avait l'avantage, mais l'autre était forte et entraînée. Je tirai.
La chaire de son épaule se teinta de rouge et la GEN couina. Hubbel en profita pour la faire passer au-dessus d'elle et lui serrer le cou à l'aide de ses jambes. L'assaillante s'affaissa dans un craquement répugnant et ne bougea plus.
Un filet de sueur coula sur ma tempe pendant que je me relevai. D'où sortait cette GEN ?
- Reste près de moi, ordonna Anne-Lucie Hubbel, le visage grave. Les choses ne s'annoncent pas comme prévu. Nous sommes déjà découverts, il faut faire vite.
- Et Chaffaron ?
- Il est mort. Poignard en composé enduit de poison sans doute. Ces gens-là ne sont pas n'importe qui pour connaître nos faiblesses.
J'avalai la bile qui me montait dans la gorge, refusant de vomir devant elle. Le désir de trouver Allan devint encore plus fort.
Hubbel se déplaça jusqu'au bout du vouloir et me désigna l'ascenseur, gardé par deux autres GEN.
- Nous étions attendus, compris-je. C'est un piège.
- Ça m'en a tout l'air. On doit retrouver les autres et se sauver d'ici, on est en position de faiblesse.
J'examinai les alentours, cherchant une solution. Je fis signe à mon agent superviseur et nous nous glissâmes dans un petit placard à balais. Hubbel tritura son oreillette puis jura :
- Putain, elle ne fonctionne pas ! Et la tienne ?
J'appuyai sur le petit appareil en retenant mon souffle. Rien. Juste un bourdonnement anormal.
- On ne peut pas rester ici, me forçai-je à dire. Les autres vont se faire tirer comme des canards, si ce n'est pas déjà fait.
- L'ascenseur n'est pas envisageable, il va falloir repasser par dehors.
Nous nous dévisageâmes un instant. Enfin, la suggestion que je redoutais tomba.
- On devait peut-être se séparer, murmura l'adjointe à la sécurité. De toute façon, face à ces GEN, nous sommes en sous-effectif. Oui, c'est ça. Tu vas passer par la fenêtre, au début du couloir, moi je me charge d'eux.
- Pourquoi ne pas les éliminer ensemble ? me rebellai-je, angoissée.
- Pas le temps, jeta-t-elle sobrement. Tu t'en sens capable ?
Sa voix contenait une note de défi et je fronçai les sourcils. Seule contre deux GEN, elle pouvait s'en tirer, mais moi ? Une fois seule, je serais à leur merci.
- Essaie de trouver Allan ou Maria, ils t'aideront ensuite. Tous les deux ont un masque facial, mais ils te reconnaîtront.
Plus facile à dire qu'à faire ! Hubbel affichait un air si déterminé que je capitulai bêtement. Mes mains se mirent à trembler sur la crosse de mon arme.
- Je vais faire diversion, d'accord ?
Elle posa sa paume sur la poignée, son regard rivé au mien. Et passa à l'action.
Hubbel plongea dans l'allée et je courus en sens inverse, une veine battant sur la tempe sous le coup de la peur. En un éclair, je fus accrochée à la façade, non sans avoir entendu des exclamations de surprise et de douleur en provenance de Hubbel. Je m'élevai légèrement puis baissai la tête. Sous moi, les deux gardes postés à la porte, des humains, pénétrèrent dans la maison, alertés par le bruit.
Je priai silencieusement pour que le tapage fasse réagir Tari ou Allan et sa collègue, et pour que Hubbel ne soit pas trop amochée. J'allais pousser sur mes jambes pour me hisser par les barreaux posés aux fenêtres de ce qui devait être une salle de bain quand une voix résonna, ténue, dans mon oreillette.
- Commandant ? Vous me recevez ? appelai-je, pleine d'espoir.
- Recrue Deveille. Quel plaisir de vous entendre.
Mon cœur tomba comme une pierre dans ma poitrine et j'eus toute les peines du monde à répondre :
- Directeur Marx.
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