Chapitre 31
Je tombai nez à nez avec Rick à la sortie du couloir – à croire que je n'avais pas vécu suffisamment de choses déplaisantes ces dernières vingt-quatre heures. Il étudia Geb avant de passer à moi, son visage plissé dans une grimace retorse.
- Qu'avons-nous là ? railla-t-il. Deux oisillons tombés du nid ! Je peux savoir ce que vous fichez ici, tous les deux ? C'est un secteur interdit aux fouineurs comme vous.
Je gardai les lèvres serrées. Rick n'attendait pas de réponse, seulement l'opportunité de nous humilier un peu plus et de trouver un motif pour nous punir. Etrangement, il cessa tout de suite son petit manège et reprit un ton formel, celui qu'il réservait à sa fonction de chef de la sécurité.
- Toi, retourne dans tes quartiers. Et toi, tu viens avec moi. Ordre du directeur Marx.
Geb me coula un regard interrogateur, hésitant à me laisser en compagnie de ce fou. Je lui fis signe de s'en aller.
- Crois-moi, Deveille, ce n'est pas ton jour de chance, ajouta Rick en m'entraînant derrière lui.
- Tu sais ce qu'il me veut, le directeur ? voulus-je savoir.
- Tu verras bien assez vite, gamine. Et je te conseille d'apprendre à vouvoyer tes aînés.
Pour un peu, je lui aurais volontiers tiré la langue, mais je doutais que ce genre de réaction lui plaise. Pour être franche, Rick me faisait peur, et j'avais la légère sensation de prendre ma revanche en le mettant hors de lui par le tutoiement. C'était une bien maigre compensation, comparée à l'acidité qui me rongeait l'estomac en sa présence. Malgré les quatre mois qui s'étaient écoulés depuis qu'Allan m'avait arrachée à ses griffes, j'étais toujours très perturbée par Rick, animée par une crainte instinctive – comme celles que l'on éprouve face au feu, par exemple. Je travaillais beaucoup sur moi-même pour lutter contre cela, mais j'étais encore loin de contrôler mon désir de fuir à toutes jambes.
Devant moi, Rick menait une espèce de monologue, à grand renfort de gestes :
- Dès que je t'ai vue, j'ai su que tu serais une emmerdeuse, de toute façon. Si je t'avais abandonnée dans ta forêt, personne n'aurait été au courant et je nous aurais évité bien des problèmes. Tu as bien de la chance qu'Allan te protège, tu ferais moins la maligne sans lui. En plus le directeur ne jure que par les espoirs que tu représentes. Luna par-ci, Luna par-là, blablabla... Moi, ce que je crois, c'est que tu te payes la tête de tout le monde et que j'aurais dû te buter quand j'en ai eu l'occasion.
Je le laissai déblatérer sans rien dire. Chaque fois que je me retrouvais seule avec le chef de la sécurité – et en dépit de mes efforts pour limiter ces moments – il me servait le même discours. Cela le rendait absolument furieux de ne rien pourvoir me faire, mais je jugeais inutile de le pousser à bout en me confrontant à lui. Il n'y avait qu'à attendre qu'il se calme.
Rick stoppa devant une salle donc l'écriteau « Salle de réunion » occupait une bonne partie de la porte.
- C'est là. Avec un peu de chance, c'est la dernière fois que je te vois.
Je décidai d'ignorer ses sombres présages et entrai, sans savoir où je mettais les pieds.
Quatre personnes étaient déjà là, entourant la petite table placée au centre de la pièce. Avec l'impression de tomber comme un cheveu sur la soupe, j'esquissai un sourire penaud.
- Vous êtes en retard, recrue Deveille, dit l'un des trois hommes. Asseyez-vous, nous allons commencer.
J'obéis sagement, mue par le sentiment que la suite n'allait pas me plaire. Qu'est-ce que je foutais ici ? Au milieu de quatre GEN portant le brassard des Elites, qui plus est. Peut-être Rick s'était-il trompé de porte ?
L'homme qui s'était adressé à moi était debout devant une projection 3D d'une demeure immense, produite par N.I.A. Il émanait de lui une aura d'autorité écrasante, alors qu'il n'était même pas le plus impressionnant du point de vue de la carrure.
- Je suis le commandant Tari, annonça-t-il d'une voix forte. Et voici les Elites Hubbel, Barnier et Chaffaron.
Je hochai la tête en assimilant noms et visages. Celui de l'agent Hubbel m'était familier, il n'appartenait à nulle autre qu'Anne-Lucie Hubbel, la seule femme présente, l'adjointe à la sécurité et bras droit de Rick – et accessoirement, la femme avec laquelle il couchait, mais mieux valait passer cet élément sous silence. Cette dernière me salua d'un geste sec, sans animosité, ce qui m'étonna au regard de l'attitude de son chef à mon égard.
- Vous êtes ici pour participer à une opération spéciale, recrue. Savez-vous de quoi il s'agit ?
- Non, monsieur, répondis-je poliment.
Tari grossit la maquette de la maison et commença ses explications.
- Nos équipes d'Elites ont réussi à faire le lien entre l'attentat perpétré hier matin et les agissements d'un certains sénateur Reilly, lequel avait mené de nombreuses recherches sur les GEN ces derniers mois. La preuve a été apportée que c'est lui qui a tout orchestré et envoyé ses tueurs chez nous.
- Depuis le temps que nous savons sur quoi il travaille, nous aurions pu agir plus tôt, fit Barnier, un colosse roux, d'un ton désabusé.
Tari le fit taire, agacé.
- Le sénateur s'est replié dans une de ses résidences secondaires, non loin de Marseille, et s'y est entouré de gardes, signe qu'il se sent menacé. La situation exige de prendre des mesures contre lui, notre mission est donc simple : nous introduire chez Reilly et l'éliminer. Pour atteindre notre objectif, nous serons secondés par deux de nos agents, en couverture en ce moment-même chez Reilly. Il s'agit des agents Allan Vallet et Maria Fessini. Nous pourrons compter sur leur aide le moment venu, mais nous en reparlerons dans le jet.
Bon, jusque-là, tout était facile à comprendre, mais que faisais-je ici ? On n'allait tout de même pas m'impliquer dans une opération de cette ampleur, si ?
Inconscient de mon malaise, le commandant se mit à exposer les différentes failles de sécurité de la résidence, ainsi que son plan d'attaque. Les Elites, captivés, suivaient sans broncher le moindre de ses gestes.
Tari se tut au bout de dix minutes et fis un tour de table :
- Pas de questions ? Recrue Deveille, j'ai à vous parler. Les autres, rendez-vous à l'armurerie dans un quart d'heure, on décolle dans une heure.
Lorsque nous fûmes seuls, Tari vint se planter devant moi. Ses yeux en amande me passèrent au crible. Dans mon jean et mon sweat rose, je ne devais pas lui faire très bonne impression.
- J'ai deux choses à vous dire, recrue. La première, c'est que contrairement à beaucoup de GEN entre ces murs, je ne vous tiens pas rigueur de votre conduite passée. Nous avons tous droit à une deuxième chance et la vie de GEN nécessite parfois des adaptations difficiles à mettre en œuvre.
- Merci.
Le commandant se racla la gorge avant d'ajouter :
- La seconde chose concerne votre présence sur cette mission. Elle résulte d'une exigence du directeur Marx, je suis donc contraint de m'y soumettre, mais sachez que je m'y suis fortement opposé et que je ne comprends pas du tout le rôle que vous êtes censée jouer. Je ne sais pas à quel jeu vous vous prêtez tous les deux, mais vous joindre à nous pour l'élimination du sénateur relève du suicide. Je pense également que vous serez un poids mort pour l'équipe et que vous risquez de nous gêner de par votre inexpérience. A vous de me prouver le contraire, recrue.
Sur ce, il s'effaça et se dirigea vers l'armurerie.
Sonnée, je ne retins que deux choses de tout ce qu'il venait de m'apprendre.
D'abord, Marx tirait les ficelles et comptait se servir de moi comme de son pantin. Ensuite on m'envoyait éliminer un homme. Le tuer.
***
Mon troisième appel à Allan échoua et je recomposai son numéro.
A la limite de la panique, je m'étais isolée pour joindre mon mentor. Si les infos de Tari étaient exactes, il se trouvait sous couverture après de Reilly, mais je devais essayer quand même.
Il décrocha enfin, essoufflé :
- Luna ? Qu'est-ce qui se passe ?
- Allan, je suis dans les ennuis jusqu'au cou. Marx m'envoie avec l'équipe d'élimination du sénateur.
- Quoi ? Attends, une minute.
Je t'entendis se déplacer et fermer une porte.
- C'est une plaisanterie ?
- J'aimerais bien, maugréai-je. Vous devez me sortir de là ! Je ne peux pas faire ça.
- Je ne peux pas, chuchota Allan. Marx a une idée derrière la tête, il attend quelque chose de toi, Luna. Il te met à l'épreuve. Je ne peux pas intervenir !
- Il m'envoie au casse-pipe, oui !
Je crispai mes doigts sur le combiné. Aucune échappatoire ne s'offrait à moi. Si je refusais d'y aller, Marx m'en ferait baver un maximum pour ma désobéissance. Et cela mettrait dans la balance tous ceux que je devais préserver. Des larmes obstruèrent ma vue. Je savais bien qu'un tel jour viendrait mais je ne voulais pas que ce soit si tôt. Si quelque chose tournait mal et que je devais tuer...
- Garde ton calme, m'intima mon mentor. Je serais là, tout va bien se passer. Fais attention à toi jusqu'à ce que nous soyons réunis, d'accord ?
Je voulus répliquer mais Allan s'adressa vivement à une autre personne et la communication coupa.
Immobile dans mon recoin, je fermai les yeux. Allan avait raison, c'était évident. Le plan de Marx restait obscur, mais il voulait quelque chose... Une preuve de ma loyauté ? Peut-être. Il ne me restait plus qu'à ne pas le décevoir, si j'en étais capable.
J'étais tout simplement prise au piège, engluée telle une mouche dans une toile d'araignée.
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