Chapitre 26
- Je vais me faire démolir.
- Ça va bien se passer, Allan ne t'aurait pas inscrite pour rien.
- Je te dis que c'est mort. Il va devoir me ramasser à la petite cuillère.
La salle de l'Arène était immense et bourrée de monde à mon arrivée. J'étais venue une fois en compagnie d'Allan, mais l'impression d'écrasement face à ce lieu fut tout aussi forte.
La disposition de la salle, située au dernier étage du gymnase, évoquait un amphithéâtre à cause de l'escalier central qui la coupait en deux et montait en pente, presque jusque sous le plafond. De chaque côté de celui-ci se trouvaient des rings, ou plutôt des arènes – ce qui donnait son nom à l'endroit – dont le nombre diminuait à mesure que l'on grimpait l'escalier : huit en bas, puis six, puis quatre, et enfin deux, juste avant la dernière arène appelée Arène du Champion. Tous les trois mois, elle accueillait un évènement très attendu par les GEN, rassemblant des centaines de spectateurs et de combattants, dont je faisais partie à mon grand dam.
Le principe était simple car participer au Jour de l'Arène signifiait survivre à une série de combat pour obtenir une place dans une arène. Plus elle était placée haut, plus la victoire était prestigieuse. Les combats débutaient en Basse-Arène, tout en bas, et les Maîtres ayant gagné la fois précédente devaient affronter tous les prétendants à leur titre. Cela fait, ils pouvaient demander à se battre contre un Maître de l'arène située immédiatement au-dessus, et ainsi de suite. En revanche, s'il échouait en défendant sa place, le Maître devait absolument vaincre un adversaire inférieur à lui en une seule fois, sans quoi il retournait à la case départ – c'est-à-dire là où je me trouvais.
Je frissonnais en entendant les spectateurs déchaînés, entassés dans les gradins, et Samuel me pressa le bras. Depuis que mon mentor m'avait informé de mon inscription au Jour de l'Arène, je m'étais persuadée que tout allait déraper. De toute façon, quelles chances avais-je de gagner un duel, sachant que tous mes adversaires étaient des agents accrédités, comme l'exigeait la réglementation ? Allan avait pu passer outre pour moi, à cause de mes talents présumés et avec l'accord de Marx, mais je me sentais terriblement faible et vulnérable, à cet instant précis. Hormis l'interdiction de se servir d'armes, tous les coups étaient permis et le combat ne cessait qu'en cas d'abandon ou de mort d'une des deux personnes. Très réjouissant, donc.
- Ça va être un massacre, martelai-je. Toi, au moins, tu es un agent.
- Depuis seulement trois semaines, soupira Samuel. Je ne m'en sortirais sans doute pas mieux que toi.
Je hochai vaguement la tête en cherchant Allan des yeux. Il était Maître de Très-Haute Arène, l'étape cruciale avant l'Arène du Champion. Il fallait détenir au moins deux fois de suite le titre pour être nommé Elite, et mon mentor conservait le sien depuis six ans.
L'agitation qui grouillait autour de nous cessa quelque peu et une voix au micro nous ordonna de nous répartir devant les Basses-Arènes. Je choisis volontairement une autre file que celle de Samuel, ne voulant surtout pas avoir à me retrouver confrontée à lui si les circonstances nous y forçaient. Une dizaine de GEN me précédaient, ce qui me laissa largement le temps de ressasser mon angoisse.
Le seul fait de savoir que j'étais une apprentie au milieu de GEN expérimentés me troublait. Je connaissais les enjeux, je devais absolument faire mes preuves le plus vite possible, et le Jour de l'Arène représentait une occasion inouïe de creuser mon trou à l'Institut. Pour oublier cela, je scrutai les gradins. Amanda devait se trouver quelque part, mais avec tout ce monde, je ne la repérai pas, et Tribal avait été dispensé puisqu'il n'était pas encore rentré de mission.
La clochette retentit et le Jour de l'Arène débuta.
Tremblant comme une feuille, je m'employai à respirer régulièrement et à ralentir mon rythme cardiaque. Allan m'avait beaucoup préparée à cela en me conseillant de me répéter une suite de chiffre ou de mots, toujours dans le même ordre, et ceci dans le but de me concentrer et d'évacuer la peur.
« Un jour, avait-il dit, tu seras amenée à faire des choses terribles qui nécessiteront de garder ton sang froid en occultant toute émotion ». Bref, il était clair qu'il ne me formait pas à enfiler des perles et que le moment de tuer viendrait un jour ou l'autre. Et je n'étais pas du tout pressée !
Je regardai donc, avec une sérénité fragile, le Maître de Basse-Arène s'imposer face à ses concurrents. Aucun ne le surpassa, mais je notai qu'il fatiguait. Il utilisait des attaques répétitives, favorisant la force des coups à leur précision. Cette analyse faisait aussi partie des choses apprises récemment. Selon mon mentor, il fallait toujours se servir des manques de son adversaire pour le surprendre et prendre le dessus.
Ding ! La clochette sonna encore et mes jambes se remplirent de plomb. Il ne restait personne devant moi, j'en déduisis finement que j'étais la suivante sur la liste du GEN. J'enjoignis fermement à mon petit déjeuner de rester où il était, en lui promettant qu'il aurait le droit de prendre l'air après tout cela et montai sur le ring.
- Rufus, se présenta sobrement le GEN.
- Luna, croassai-je, la gorge nouée.
Ce type-là me disait quelque chose et je finis par me souvenir que mon mentor m'avait parlé de lui. Rufus Adrier, la quarantaine bien tassée, était la risée de bien des GEN, à l'Institut. Depuis quinze ans qu'il s'engageait dans chaque session du Jour de l'Arène, il s'accrochait à son fief telle une huître à son rocher sans parvenir à gravir ne serait-ce qu'un étage de plus dans la salle. Cela dit, il prenait un malin plaisir à se défaire des autres concurrents et à ne jamais céder de terrain. Tout compte fait, je n'avais peut-être pas opté pour la bonne file, mais il était trop tard pour revenir en arrière.
Je pris une grande inspiration et la cloche indiqua le début du combat.
Rufus se jeta sur moi le premier et me plaqua au sol, ses bras m'enserrant la taille avec tant de force qu'il me fit mal. Mes poumons se vidèrent sous le choc, et quand je voulus reprendre de l'air, je sentis son haleine fétide me brûler les narines – le genre qu'on a au réveil et que l'on conserve toute la journée si on saute à la fois la case petit déjeuner et celle du lavage des dents.
- Je vais gagner, siffla Rufus, m'aspergeant copieusement de salive.
Je tournai la tête pour échapper à l'odeur et débloquai maladroitement l'une de mes mains. Je pliai les jambes et le repoussai avec un grognement justifié par le poids du GEN : cent-vingt kilos au bas mot. Je n'étais moi-même pas un poids plume, notamment à cause de la densité de l'organisme des GEN, mais il m'écrasait largement.
Je roulai loin de lui et sautai sur mes pieds.
« Bon sang, Luna, un peu de nerfs ! On dirait une gamine qui se fait taper dessus dans la cours de récré. » me sermonnai-je.
Je replaçai mes appuis et mes bras en défense. L'adrénaline courrait dans mes veines et je la savourais. Je m'étais promis, en acceptant de me faire former par Allan, d'obéir à tout ce qu'on demanderait de moi, sans y prendre plaisir. Pourtant, à chaque entraînement, à chaque coup donné, je prenais conscience que j'aimais cela. J'étais désormais une GEN, fabriquée pour détruire et ma nature me forçait à l'apprécier, en dépit de la honte qui en ressortait.
Rufus se prépara à charger, mais je pris les devants. Une petite foulée d'élan et je pus me suspendre à son cou par les jambes et lui faire perdre l'équilibre. Cette prise était ma favorite – je m'en étais servie contre Cortez – et elle fonctionnait assez bien. Je nous attirais tous les deux à terre.
Une fois encore, le combat vira en faveur de Rufus qui me frappa au visage. Ma tête partit violemment en arrière tandis que ma bouche se remplissait d'un sang aux saveurs métalliques. Rufus m'empoigna les bras et me propulsa au-dessus de lui. Agrippée à lui, je nous entraînai dans une superbe roulade en duo qui aurait pu remporter un prix de gymnastique, puis rampai hors de sa portée.
Visiblement, les attaques au sol ne me réussissaient pas. J'avalai le sang qui coulait de ma langue en réfléchissant à toute vitesse. Autour de nous, cinq des sept autres arènes avaient déjà terminé leurs affrontements.
- T'es coriace, nota Rufus.
Son regard brillait d'une lueur d'excitation qui me tira une grimace. Ce GEN était un vrai chien de garde, il n'aurait pas de pitié. Concentrée au maximum, je n'avais plus peur et souhaitais en finir.
Je passai à l'action et me ruai vers mon ennemi. Il crut que j'allais lui refaire la prise précédente et leva les bras pour contrer mes jambes, ce dont je profitai. Je me baissai soudainement et cognai deux fois à l'abdomen. Rufus couina, se plia en deux, m'offrant l'ouverture que j'attendais. Souple comme un chat, je me faufilai derrière lui, attrapai solidement une mèche de cheveux et lui tirai la tête. Le tranchant de ma main s'abattit sèchement sur sa trachée et Rufus, suffoquant, se prit la gorge à deux mains. Après quoi, je le repoussai du pied. Mon adversaire s'affala, le nez dans le tapis.
- Arrête, arrête, geignit-il.
Son ton me suppliait de le laisser tranquille, mais je vis sa main se glisser le long de sa cuisse pour me prendre la cheville. En un éclair, je m'effaçai et maintint couché, l'avant-bras pressant son cou.
- Tu vas me tuer ? hoqueta Rufus, pris de panique.
J'attendis sans répondre. Non, je ne voulais pas sa mort, mais son cerveau privé d'oxygène n'allait pas tarder à prendre des vacances. En effet, l'autre devint mou comme une poupée de tissu et s'évanouit une poignée de secondes plus tard.
J'avais gagné.
Les réactions alentours douchèrent mon enthousiasme. Tous échangèrent des regards étonnés, voire méfiants. Oups, avais-je été trop efficace ? Je tournai la tête et vis Allan dont les yeux étaient braqués dans ma direction. Ses épaules étaient tendues, son dos droit et raide. Puis, lentement, la commissure de ses lèvres se souleva.
« Continue, me soufflait-il muettement, mets-leur en plein la vue ».
La discrétion quant à ma nature n'était-elle plus de mise ?
La clochette résonna et je fléchis les jambes pour les assouplir. Les candidats ne se bousculaient pas au portillon pour venir me défier, mais une fille finit par se détacher du lot et monter à ma rencontre.
- Oh, non, pas toi.
Bon, d'accord, j'admets qu'il y aurait pu avoir mieux comme accueil, mais je fus incapable de me retenir à la vue de la pulpeuse petite amie de Samuel. Nacera se planta devant moi avec un petit sourire. Décidément, je ne pouvais pas sentir cette fille.
- Luna, dit-elle, railleuse.
Je grinçai des dents. A quoi jouait-elle ? Superbe dans sa brassière rose qui soulignait ses énormes ni..., hum, sa généreuse poitrine, elle lissa ses cheveux bruns coupés en carré plongeant. Sa peau caramel scintillait sous les lumières. Je savais que j'étais, moi aussi, assez jolie depuis ma transformation, pourtant j'avais du mal à me voir comme telle. En revanche, je ne pouvais pas louper bien à quel point Nacera était sexy.
Trois arènes plus loin, de l'autre côté de l'escalier, Samuel nous observait, mi-inquiet, mi-moqueur. Il n'était pas officiellement au courant pour mon état de GEN plus performante que la normale, mais nous nous entraînions souvent ensemble et il avait déjà eu l'occasion de tâter de mon poing. Je haussai les épaules, m'excusant d'avance d'abîmer sa copine et me remis en place.
Je n'avais pas fait un pas que mes oreilles se déchirèrent sous l'effet d'un bruit assourdissant, en même temps qu'une terrible douleur vrillait mon crâne.
Abasourdie, je passai la main sous le lobe et la retirait couverte d'un liquide rouge et poisseux.
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