Chapitre 21
Je me réveillai en constatant deux choses.
Tout d'abord, je me sentais bien. Mes douleurs m'avaient quittée et je n'éprouvais plus la moindre fatigue. Une fois assise, je fus incapable de trouver la moindre de trace de mes blessures, comme si les terribles moments passés entre les mains sadiques de Rick n'avaient jamais eu lieu.
Ensuite, j'avais toujours la cervelle en vrac et aucune idée de ce que devais faire. Je ressassai quelques minutes les informations ingurgitées la veille. Un vrai casse-tête...
Après tout, qu'est-ce qui me garantissait la sincérité de cet Allan, ce type qui venait m'apporter son aide comme par magie ? M'emmener à l'extérieur pour me montrer son honnêteté pouvait parfaitement faire partie d'une combine montée avec Ulrich Marx. Quant à sa proposition, c'était trop beau pour être vrai, non ? Elle réunissait tout ce que je désirais : être libre – même si je devais attendre pour cela – et mettre en sécurité mes amis et ma famille, et je trouvais cela louche. Avec son beau sourire débordant de gentillesse, Allan était peut-être un énorme menteur ayant pour but de m'instrumentaliser aussi sûrement que le directeur le souhaitait. D'un autre côté, j'avais bêtement mis en danger les gens que j'aimais et j'ignorais si poursuivre mes efforts de fuite s'avéreraient payant. Etais-je prête à sacrifier mes convictions et à devenir un agent de l'Institut pour eux ?
Je soupirai et allai prendre une nouvelle douche. Je n'en avais pas besoin du point de vue de ma propreté, mais j'éprouvais l'envie de me nettoyer de ces deux dernières semaines qui me hantaient. Si les plaies externes avaient disparu, il n'en allait pas de même pour celles de mon esprit. Je ressentis soudain le besoin viscéral de voir Amanda, Marc et les autres, de reprendre contact avec la réalité.
Habillée, les cheveux humides lâchés sur mes épaules, je sortis d'un pas vif dans le couloir. Quelle que soit la suite des évènements, j'avais une journée de libre pour faire ce qui me plaisait – à l'exception de semer la pagaille, sans doute. Il était déjà midi, je décidai alors de me rendre au self, le seul endroit où je trouverais mes amis si Stone leur accordait le droit à une pause.
De nombreuses paires d'yeux me suivirent d'un air courroucé durant ma traversée du labo qui grouillait d'activité. Ma présence ne les réjouissait probablement pas après les dégâts que j'avais fait, et bien que le mur fût réparé. Je les ignorai et poussai la porte donnant dans la cour. La brusque caresse du vent sur ma peau me fit frissonner de bonheur et je profitai un peu du soleil. Libre. J'étais libre. Jamais je ne pourrais oublier cette délicieuse sensation et je la laissai couler en moi le plus longtemps possible, les paupières mi-closes par cette belle journée.
Ressourcée, je gagnai le réfectoire et me plaçai dans la file d'attente, scrutant les personnes installées dans l'espoir de voir la tignasse rousse de Victoire ou les boucles blondes de Guilhem.
- Eh, Luna !
Mon tympan gauche failli y rester lorsqu'Amanda se jeta dans mes bras en hurlant. Elle me prit le visage à deux mains et me plaqua une bise sur chaque joue.
- Où étais-tu passée ? s'écria-t-elle, à la fois joyeuse et en colère. On s'est fait un sang d'encre !
- C'est clair, renchérit Marc, juste derrière, en passant une main dans sa nouvelle barbe. On pensait qu'ils t'avaient découpée en rondelles.
- Vous n'étiez pas si loin de la vérité, dis-je, pince-sans-rire. C'est nouveau le look « homme des cavernes » ?
- Très drôle, m'interrompit la belle Noire. On va s'installer, tu dois avoir plein de choses à nous dire.
Je me retrouvai donc attablée auprès de mes quatre amis à leur table habituelle. Victoire manifesta la plus grande réticence à s'asseoir en bout de table et son regard furieux me suivit tout le repas. Sachant que tous attendaient des explications, je pris une bouchée conséquente afin de me donner le temps de réfléchir à ce que j'allais dire. Je ne voulais pas leur mentir, simplement omettre des détails inutiles et qui auraient certainement compromis leur sérénité mentale. Par exemple ceux concernant des séances d'écartèlement...
- Alors ? me pressa Marc.
- N'oubliez pas de ne jamais accepter d'invitation pour un séjour dans l'hôtel particulier du directeur, les gars, commençai-je avec un rire forcé.
Puis je racontai. Pour la partie sur ma détention, je leur en exposai suffisamment pour qu'ils comprennent que j'avais passé de sales quarts d'heure, mais je ne m'étendis pas sur la torture. Leur faire peur n'aiderait personne, et je n'étais tout de même pas censée générer un soulèvement de mes camarades pendant mon unique journée de liberté. De même, en parlant d'Allan et du choix que je devais faire, je passai sous silence ma prétendue supériorité et prétextai la présence d'un marqueur cellulaire unique chez moi, destiné à faciliter la pénétration du sérum, et qu'Irina Malcolm devait à tout prix étudier pour les futurs GEN. Ce n'était pas très correct de ma part et je le savais, toutefois, il me semblait plus prudent de garer certaines choses secrètes, dans l'attente de la suite des évènements.
- Wahou, murmura Guilhem, scotché par mon récit. Et alors, que comptes-tu faire ?
- Je ne sais pas. Je... Je ne sais vraiment pas. Je suis un peu perdue, avouai-je.
- Tu as surement besoin de repos, me conseilla Amanda, toujours maternelle. Après toutes ces péripéties, tu devrais prendre soin de toi.
- Oh pitié ! cracha la voix de ma meilleure amie.
Victoire se leva d'un bond dans l'étonnement général et me jeta un regard haineux. Heurtée par sa réaction, j'ouvris la bouche sans savoir quoi dire. Elle s'éloigna à grandes enjambées, coupant court à ma tentative de communication. Marc secoua la tête et me fit signe de laisser tomber. Je déglutis et tâchai de changer de sujet :
- Et vous ? Comment se passe l'entraînement ?
J'appris que Stone corsait les sessions et avait instauré des tests de progression chaque semaine. La conversation s'orienta sur le reste du groupe de recrues, mais je gardai à l'esprit le départ de ma meilleure amie. Ma seconde évasion avait apparemment détruit toute possibilité de me rattraper.
- Au fait, les garçons, on va être en retard, annonça Amanda. Luna, on se retrouve à la chambre, ce soir ?
- Pas de souci.
Nous nous séparâmes donc et je remontai à l'étage des recrues. Mais dès que je fus seule, assise sur mon lit resté intact depuis quinze jours, je ne trouvai pas d'occupation. Sentant poindre un début de mal de tête, je me résolus à aller prendre l'air.
Le parc était très lumineux et je choisis un banc en plein milieu. Assise dessus en tailleurs, je me gorgeai de soleil et fermai les yeux.
Au bout de quelques minutes, mes pensées revinrent à la décision que je devais absolument prendre avant le lendemain. J'essayai de classer les arguments, de les retourner dans tous les sens, de peser les avantages de chacun, sans résultat. Ma réflexion n'aboutissait pas, ou alors peut-être était-elle déjà terminée. En effet, c'était un peu comme si, en vérité, j'avais déjà la certitude de la conduite à tenir, au fond de moi. Lasse de me torturer le cerveau, je me résignai à ce choix évident.
- Quelles qu'en soient les conséquences, conclus-je funestement à voix haute.
- Voilà que tu parles toute seule ! Je croyais que tu dormais, il y a une seconde à peine !
Je rouvris les yeux et dévisageai l'inconnu debout devant moi. Je me maudis de ne pas l'avoir entendu arriver et masquai de mon mieux ma surprise.
- Tu m'espionnais ? m'offusquai-je.
- Pas du tout, j'attendais le bon moment pour te parler.
- C'est cela, grommelai-je.
Le grand GEN à la peau noire comme l'ébène sourit de toutes ses dents et s'assit à ma droite. Il devait avoir dans les vingt-cinq ans. Ses cheveux retenus en une multitude de tresses tombaient jusqu'au milieu de son dos et ses bras nus étaient couverts de tatouages.
- Je m'appelle Tribal, dit-il.
- Je suppose que c'est un surnom.
- Mon vrai nom ne fait pas très viril, grimaça l'inconnu. Alors mes potes m'appellent comme ça.
Je réprimai un sourire devant son air défait.
- Qu'est-ce que tu me veux ? Tu n'as pas « attendu le bon moment » juste pour me dire ton nom.
- Je vais aller droit au but, répondit Tribal avec une expression impatiente. Je fais partie d'un groupe de GEN qui se nomment « les Rebelles ». C'est une bande de copains, tu vois ? On aime bien se réunir de temps en temps pour faire la fête, et aussi deux ou trois trucs interdits. Beaucoup d'entre nous voudraient que tu nous rejoignes.
Des trucs interdits ? Je haussai un sourcil :
- Je ne crois pas que Rick et ses chiens fidèles me portent dans leurs cœurs en ce moment, si tu vois ce que je veux dire.
- Oh, ne t'en fais pas. On n'a de rebelles que le nom. Marx est au courant qu'on sort de l'enceinte de l'Institut et il nous laisse faire. Ça ne risque rien ! Ce soir, il y a une petite fête organisée à la Cascade, ça te branche ?
Tribal parlait avec de grands gestes et semblait dégager une joie permanente. L'idée de passer du temps avec des jeunes pour m'amuser me tentait affreusement. Mais qu'en penserait vraiment Marx ?
- Je sais que je viens un peu au culot, mais tu nous as carrément impressionnés, tu sais ? On va bien s'entendre, je suis sûr ! Tu peux amener ta copine si tu veux !
- La rousse ?
- Non, l'autre. Ou les deux, peu importe ! Alors, vendu ? Tu viendras ?
Je tournai la tête vers les arbres fruitiers au fond du parc. De toute façon, si Marx ne voulait pas que je sorte, il aurait tôt fait de me le faire savoir.
- C'est d'accord. Mais je ne sais pas où est la Cascade, tu devras nous emmener.
- J'ai du matériel à transporter jusqu'à la fête, opina Tribal. Vous pourrez m'aider !
Il commença à partir puis revint sur ses pas :
- Ça va être génial ! Les autres ne vont pas en revenir !
De nouveau seule sur mon banc, je croisai les doigts pour ne pas lui attirer d'ennuis.
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