Chapitre 19


Mon ouïe, seul sens qui fonctionnait encore correctement, m'avertit de la présence d'un inconnu. Son pas ne ressemblait à aucun de ceux de mes gardes et encore moins à celui de Rick. Depuis que ce dernier avait jugé bon de faire couler dans mes yeux un produit m'ayant causé des douleurs impossibles, je ne voyais plus assez pour me fier à eux.

C'était cela qui avait failli me miner au cours des derniers jours. Au fil des souffrances endurées, j'avais cessé d'avoir peur de mourir et remplacé cette crainte par celle de survivre avec de graves séquelles. La douleur en elle-même ne me posait plus vraiment de problèmes, je pensais qu'à force d'avoir mal, j'avais atteint un seuil maximal à partir duquel je ne pouvais pas éprouver davantage de sensations. Du moins, c'était comme cela que je n'analysais ma résistance aux traitements infligés par Rick.

Le GEN s'arrêta au fond de la pièce et je perçus un déclic. Mon univers se résumait à des tâches de couleurs et l'absence soudaine de lumière me troubla. Néanmoins, je conservai la tête baissée pour la simple raison que je n'étais pas capable de la redresser pour voir ce que faisait le GEN.

- J'ai éteins la lumière jaune, expliqua le type. Je ne peux pas enclencher les rayons guérisseurs dans l'immédiat, il faut attendre un peu.

« Qu'il aille au diable avec sa lumière » murmurai-je intérieurement.

De longues secondes passèrent et se changèrent en minutes. Bon sang, mais qu'est-ce qu'il voulait celui-là ? Il s'amusait bien à me regarder pendre au plafond comme un morceau de viande ?

La lumière revint, nimbant le peu que je voyais de bleu. Alors comme ça, le nouveau venu avait l'intention de me guérir ? Je me sentis même descendre au fur et à mesure que mes chaines se rallongeaient et bientôt, je fus à genoux par terre. Plier les jambes me demanda un gros effort et je gémis. A quatre pattes au sol comme un animal, je fus débarrassée des menottes aux mains et aux pieds et me traînai vers le mur pour m'y adosser.

- Je fais rouler vers toi une seringue, dit l'homme. Une solution réhydratante glucosée. Ça devrait te donner un coup de fouet.

J'eus toutes les peines du monde à faire fonctionner ma nuque pour regarder le GEN, mais dès que ce fut fait, je me rendis compte que mes yeux allaient mieux. Au moins, le type avait un nez, des yeux et une bouche que je distinguais. Je le reconnu aussitôt mais ne pus lui dire car j'étais encore incapable de parler. Ma gorge ressemblait à un vieux parchemin et je me demandais si elle n'allait pas partir en lambeaux si je prononçai un son.

C'était le GEN que j'avais bousculé dans l'ascenseur en remontant des quartiers de Geb, une éternité plus tôt.

Je fronçai les sourcils tout en appliquant la seringue contre ma cuisse et en m'administrant son contenu. Je n'avais pas trop réfléchi à l'idée qu'elle puisse renfermer toute autre chose que ce qu'il m'avait dit, pressée de tenir la douleur à distance.

- La régénération cellulaire demande beaucoup d'énergie, reprit le GEN. Et comme tu n'as pas mangé depuis longtemps...

Une bouteille d'eau et une barre énergétique furent lancées près de moi. Je soulageai ma gorge en feu.

- Tu peux parler ? s'enquit-il.

Je crus voir de la compassion dans ses yeux glacés, mais je repoussai cette idée. Les GEN de ce satané Institut ne savaient pas prendre les autres en pitié. Ils étaient tous des êtres cruels porteurs de mort.

- Oui, croassai-je.

Tout doucement, je sentais mes muscles se remettre en marche mais mon état n'était pas encore brillant.

- Qu'est-ce que vous voulez ?

- Je m'appelle Allan. Je suis ici pour te parler.

- Je ne veux pas vous écouter. Ça tombe mal, hein ? grinçai-je.

La souffrance, c'est bien connu, ne confère pas une amabilité remarquable. Je remontai mes genoux sous mon menton, la bouche pleine de barre énergétique.

- Ce n'est pas le directeur qui m'envoie, dit doucement Allan. J'ai obtenu son autorisation pour te voir, mais il ne sait pas pourquoi.

- Je ne vous crois pas. C'est encore une ruse.

Le GEN s'avança un peu. Je le voyais distinctement à présent et c'était un très bel homme. Il émanait de lui quelque chose d'étrange. Une espèce de sincérité qui me donnait envie d'en savoir plus.

- Peu importe ce que tu acceptes de croire. Ça ne te coûte rien de m'écouter, non ? Je sais certaines choses dont tu dois être mise au courant, mais je ne peux pas tout te dire ici. Trop d'oreilles indiscrètes.

- Vous allez me faire sortir ?

Je posai la question avec ironie, n'en pensant pas un mot.

- Oui. Mais je ne suis pas stupide, j'ai pris mes précautions, répliqua Allan. Et j'ai reçu des ordres à ton sujet.

Il écarta sa veste en cuir et dévoila son arme. Au moins, il jouait cartes sur table et cela me plaisait. Cette conversation éveillait ma curiosité. Je devais bien avouer aussi que la perspective de quitter le cachot où je croupissais depuis des jours me réjouissait. Un petit répit pour mon organisme malmené.

- Si je tente quoi que ce soit, vous me ramenez ici ?

- Non. Je te tue.

Je haussai les épaules puis me mis debout avec autant de souplesse qu'une petite vieille pleine d'arthrose. Allan se dirigea vers la porte avec un demi-sourire. Il devait bien se douter que je n'étais pas capable de grand-chose avec une forme aussi basse. Je me tenais sur mes deux jambes, mais c'était tout juste. Je pestai dans ma barbe et claudiquai dans sa direction.

Allan me guida dans l'ascenseur où je fus frappée par l'odeur pestilentielle de mes vêtements. Comme quoi une bonne douche, ça ne fait pas de mal de temps en temps.

Nous sortîmes au rez-de-chaussée du laboratoire et le GEN m'indiqua une porte.

- C'est la salle de repos de ceux qui travaillent ici. Change-toi et laves-toi un peu.

J'entrai lorsqu'il m'apostropha une dernière fois :

- La porte d'entrée est la seule issue. Tu as dix minutes.

La pièce était fraîche et silencieuse, meublée de couchettes, de casiers et de douches tout au fond. Je m'appropriai un t-shirt et un jean à peu près à ma taille et allai prendre une douche. L'eau s'écoula avec une sympathique teinte noire.

Bon, et maintenant ? J'étais sortie avec cet Allan un peu sur un coup de tête parce que je n'en pouvais plus et que je redoutais de craquer si on venait encore m'infliger des coups. Je frôlais mes limites physiques et surtout mentales – je me demandais d'ailleurs comment je n'étais pas devenue folle. Je n'avais donc pas d'autre solution que de continuer et d'aller écouter le GEN. Mes capacités mettraient surement plusieurs heures à revenir et je n'avais aucun plan. Mais si je retournai dans ma cellule, serais-je capable de supporter un traitement similaire ? J'avais tenu bon tout ce temps parce que je refusais de céder devant cet idiot de Rick, mais si cela recommençait, j'ignorais quelle serait ma réaction. J'étais en vérité morte de peur à cette idée. Non, il était clair que je ne pourrais pas revivre cela. Le seul souvenir des noyades et des aiguilles suffisait à me donner envie de pleurer.

Je passai mes vêtements propres et peignai des doigts mes cheveux. Dans la glace, je vis une femme couverte de cicatrices et de bleus, les yeux cernés et le teint gris. J'étais aussi faible qu'un nourrisson et cela m'énervait.

Ensuite, seulement, je rejoignis Allan devant la salle de repos.

Sans un mot, il m'entraîna hors du labo jusque dans la cours de l'Institut où attendait une Golf vert foncé. Il monta côté conducteur.

- C'est une blague ? dis-je, stupéfaite. Vous m'emmenez dehors ?

- J'aime prendre des risques, s'amusa l'agent. Mets-ta ceinture.

Je ne posai plus de questions, impatiente de savoir où nous allions et ouvris ma fenêtre pour savourer la douceur de l'air tandis que la voiture franchissait le portail.

Une demi-heure plus tard, Allan se gara sur la place de l'église d'une petite ville et m'enjoignit de descendre. Tout mon corps ayant retrouvé sa mobilité même si je manquais encore de force, j'obéis et traversai la place à son côté. Le gong du clocher me fit sursauter, de même que le passage d'un scooter et je me figeai, prise d'un malaise. Après deux mois d'isolement à l'Institut, je me sentais mal dans cet environnement si normal.

Avec une grande inspiration, j'entrai dans la petite pizzeria choisie par Allan, prête à entendre ses révélations.

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