Chapitre 18

Allan parcourait le couloir à vive allure. Il venait de terminer de dîner lorsque son portable lui avait annoncé la convocation du directeur Marx. A cette heure-ci, seuls quelques courageux travaillaient encore et le sous-sol s'avérait désert.

Allan pressa le pas. Il se trouvait dans la zone souterraine du labo la plus profonde, celle qui recelait aussi le plus de secrets et de dangers. Il ne s'arrêta pas devant les cachots s'alignant sur sa gauche, sachant trop bien ce qu'ils gardaient. Après des années d'expériences plus ou moins réussies, les cellules cachées de l'Institut abritaient des monstres qu'on ne cherchait pas à voir deux fois.

Le GEN atteignit enfin la porte souhaitée et entra sans frapper. Trois personnes se trouvaient déjà là, et parmi elles, il n'en appréciait aucune.

Tout d'abord, la belle Irina Malcolm, la plus redoutable des sbires de Marx. A sa vue, impériale dans son chemisier blanc, Allan eut le plus grand mal à retrouver la fillette perdue de 11 ans arrivée à l'Institut Bollart la même année que lui. Irina, fragile et timide, avait surpris tout le monde en survivant à la mutation, et plus encore en devenant l'une des meilleures recrues. Elle avait gravi les échelons et, si elle avait décidé de se consacrer à la science, Allan savait combien elle était dangereuse sur le terrain. Son caractère doux et mesuré avait été balayé par la cruauté, et la fillette de l'époque n'existait plus.

Tout au fond de la pièce se tenait Harvey Matthews, le seul qu'Allan pouvait se targuer de ne pas détester. Il le côtoyait peu et ne voyait en lui qu'un subordonné de plus à la solde de Marx.

- Pas très à l'heure, Vallet.

Richard Simon. Cette espèce de brute épaisse avec de la semoule à la place du cerveau qu'Allan n'avait jamais pu supporter se tenait contre le mur, un sourire goguenard sur les lèvres.

- Bonsoir, Rick, dit-il. Magnifique ton nouveau maquillage. Très stylé.

Rick prit une couleur rouge brique et s'assit lourdement sur une chaise, mâchoires serrées. En effet, son nez avait une drôle de forme et des lignes blanches l'entouraient en partant vers ses joues et sa bouche, comme si quelqu'un avait essayé de dessiner un soleil. Les dégâts causés par la balle de Luna tardaient à se réparer et Allan n'aurait rien tant aimé que de voir son rival garder les marques toute sa vie.

Le GEN avait fait la connaissance de Rick à son arrivée à l'Institut. Le futur chef de la sécurité avait déjà vingt-et-un ans et ne s'était jamais gêné pour cogner sur un adolescent de quatre ans son cadet. Les deux hommes s'étaient aussitôt pris en grippe à cause de cette animosité immédiate qui ne s'explique pas quand on rencontre quelqu'un. Allan avait d'ailleurs pris un certain nombre de coups avant de devenir bien plus fort que Rick, bien que celui-ci se refusa toujours à l'admettre.

- Bonsoir, chers amis, salua Ulrich Marx en entrant. Veuillez m'excuser pour l'heure tardive, mais considérez ceci comme une réunion de crise concernant la recrue Luna Deveille, matricule 1208 F.

Dans un bel ensemble, tous les occupants de la petite pièce se tournèrent vers la vitre du fond, qui s'avérait en réalité être un miroir sans tain donnant sur la cellule de la recrue en question. Allan fit quelques pas pour s'approcher et voir la jeune fille.

- A-t-elle dit quelque chose depuis hier ?

- Tu veux dire depuis qu'elle a failli étouffer son garde ? dit Irina Malcolm. Si ce n'est qu'elle a traité Richard de gros porc ce matin, non. D'ailleurs, elle n'a pas tout à fait tort.

- La ferme, cingla l'intéressé.

Allan ne prêta plus attention à leur dispute et se concentra sur Luna.

La jeune GEN était suspendue par les poignets au moyen de longues chaînes et ses chevilles subissaient le même sort depuis l'incident survenu la veille. Ses cheveux dissimulaient son visage mais son corps exposé à la vue d'Allan était dans un état pitoyable. En deux semaines de détention, Luna Deveille avait subi les pires tortures de la main de Rick, le chef de la sécurité ayant de sérieux penchants sadiques et beaucoup d'inventivité en la matière. Elle était passée par les brûlures, le fouet, les électrocutions, les noyades suivies d'une réanimation et même les aiguilles enfoncées sous les ongles de pieds et de mains. Elle n'avait crié qu'une fois et la rage n'avait jamais quitté ses yeux.

A présent, sa peau n'était qu'une plaie géante, couverte de sang et d'hématomes que l'on empêchait de guérir avec la lumière jaune. Ces rayonnements faisaient partie des premières créations du docteur Malcolm, et bien qu'elle eût pour but de concevoir des rayons guérisseurs, sa découverte constituait désormais un moyen de faire souffrir aussi sûrement que les techniques de Rick. La lumière jaune stoppait le phénomène de régénération et maintenait les blessures ouvertes et douloureuses. Ajoutée à la privation de nourriture et d'eau, Allan se demandait comme Luna tenait encore le choc et maudissait Marx pour son obstination. La méthode douce n'avait certes pas fonctionné, mais tout ce qu'il infligeait à la recrue dépassait l'entendement.

- Je ne comprends pas l'utilité de cette réunion, s'insurgea Rick. N'importe quelle autre recrue aurait été éliminée pour moins que ça et il semble évident que cette gamine ne cédera pas. Pourquoi ne pas la tuer, tout simplement ? Elle a quand même blessé plusieurs des nôtres et fait exploser une bonne partie du mur d'enceinte.

- Justement parce qu'elle n'est pas « n'importe quelle recrue », répondit doucement le directeur. Je vous ai fait venir pour discuter d'une situation bien particulière. Irina, c'est à vous.

Le directeur prit place sur une chaise et chacun se résolut à s'installer également. Dans son costume bien coupé, Marx savourait le suspense qu'avaient distillé ses paroles. La doctoresse était elle aussi aux anges en ouvrant la bouche :

- Mes collègues et moi-même avons pratiqué des analyses sur la recrue Deveille. Sang, tissus, moelle osseuse, tout a été passé au peigne fin en complément de radios, de scanners, d'IRM et d'échographies – du moins avant qu'elle ne développe une résistance aux anesthésiques. Luna Deveille présente une réaction différente au sérum qui lui a été administré il y a maintenant deux mois. Pour mieux comprendre cela, il fait d'abord s'intéresser à la mutation elle-même.

- Oh, non ! Un cours de sciences ! râla Rick.

- Ça suffit, coupa Marx.

Allan se retint de lever les yeux au ciel devant ces enfantillages. Il mourrait d'envie de connaître la suite et de lever le mystère sur le cas de Luna.

- Richard Simon, interromps-moi encore une fois et je me charge de terminer la décoration commencée sur ta figure, asséna Irina. Le sérum contient une molécule qui agit comme un parasite, une fois dans le sang. Il contamine les cellules et provoque leur mutation instantanée : on obtient des cellules GEN. Dès cinquante pourcent de cellules infectées, la mutation débute avec l'autodestruction de l'organisme, puisque c'est le système immunitaire qui s'améliore en premier. Il réagit à la présence de cellules différentes et le détruit alors qu'en réalité, elles lui appartiennent. Il faut atteindre un taux de cinquante-cinq pour cent pour inverser ce processus et lancer la régénération. Sinon, le sujet meure.

- C'est la réaction de base que nous avons tous étudié, nota Stone qui parlait pour la première fois.

- Oui, mais ce n'est pas tout. Nos études ont permis d'établir des statistiques sur ces taux de cellules. Entre cinquante-cinq et soixante pourcent, le GEN crée est pour le moins médiocre, s'il ne dispose pas carrément de défaillances, telles qu'un intellect humain dans un corps GEN ou l'inverse. La moyenne du taux est généralement comprise entre soixante-cinq et quatre-vingt pourcent de cellules GEN, avec des pics aux alentours de quatre-vingt-cinq pour les plus réussis d'entre nous.

- C'est bon, on a tous compris que Luna Deveille avait un taux de cellules anormal, soupira Rick. Crache le morceau.

Irina prit tout son temps pour le foudroyer du regard, puis sourit jusqu'aux oreilles pour donner l'information finale :

- Luna Deveille est constituée de cellules GEN à quatre-vingt-douze pourcent.

Si Rick et Stone parurent assommés par cette nouvelle, Allan réagit immédiatement :

- Impossible, objecta-t-il. Nous savons très bien ce que renferme l'étage où nous nous trouvons et ces monstres résultent pour la plupart de réactions excessives au sérum. Ils sont incontrôlables, dépourvus de sens moral et d'émotions !

- Je sais ce que je dis, martela Irina. Mes calculs sont justes. Cela dit, je reconnais que nous en savons encore peu sur Luna Deveille et nos chercheurs étudient encore son ADN pour avoir des réponses.

- Peut-être que cette recrue constitue l'élément manquant à la mutation parfaite, ajouta Ulrich Marx, l'air ravi. Vous vous rendez compte ? Les potentialités de cette GEN sont... uniques !

Allan sentit un frisson glacé le long de son dos. Le directeur voyait déjà ce qu'il pourrait faire de Luna lorsqu'elle serait formée : une arme de destruction massive, son fer de lance le plus aiguisé. Les bras croisés sur la poitrine, il décida de creuser un peu plus les intentions de Marx.

- C'est pour cela que vous ne voulez pas la tuer.

- Bien sûr ! Luna représente trop de promesses pour notre communauté, on ne peut se permettre de gâcher son pouvoir. Notre Armée Noire sera bientôt prête, et avec un tel agent à sa tête, nous serions invincibles. Les humains devront capituler ou mourir.

- Mais tant qu'elle refuse votre autorité, vous ne pouvez rien faire d'elle.

Allan remarqua que Stone demeurait à l'écart de la conversation. Il savait qu'il ne faisait pas partie des puissants dans cette salle et qu'on l'avait convié en qualité d'instructeur de Luna par seule politesse.

- Oui, admit Ulrich Marx. Et c'est pour cela que j'ai besoin de vous, Allan. Je veux que vous lui parliez, que vous la convainquiez de se ranger et de suivre son entraînement. Je suggère aussi qu'elle quitte le groupe, Stone.

- Très bien, opina l'instructeur.

Allan fit semblant de réfléchir. Ce que le directeur proposait – et qu'il avait certainement préparé bien avant cette rencontre - correspondait exactement à ce qu'il avait espéré. Prendre en charge Luna constituait peut-être la seule chance de la préserver des manipulations de l'Institut.

- Vous avez été jeune, l'encouragea le directeur en jouant sur la corde sensible du passé de son agent, pensant certainement qu'il hésitait. Vous avez connu vos heures de rébellion, vous aussi. Je suis sûr que vous trouverez les mots.

- Monsieur, si vous le permettez, s'interposa Rick, Allan n'est pas le plus qualifié pour cette tâche.

- Il l'est sans doute plus que toi. Luna te hait.

La remarque du docteur Malcolm irrita le chef de la sécurité mais il se tut. Alla donna sa réponse :

- D'accord.

- Vous avez carte blanche, précisa le directeur, qui avait prévu cette issue dès le départ et n'avait convoqué tout le monde que pour faire bonne mesure. Mais au moindre signe d'opposition, vous savez ce qui vous reste à faire.

Il tendit une boîte noire qu'Allan glissa dans une poche de sa veste avec un regard entendu. 

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