Chapitre 17
Les débris retombèrent tout autour de moi et je commençai à me redresser, un bras devant le visage pour me protéger. Marx était accroupi derrière son bureau et il se leva d'un bond, plus leste que je ne l'aurais imaginé. Les deux gardes du corps, quant à eux, avaient appliqué à la lettre l'ordre du directeur et se dépêtraient à grand peine l'un de l'autre.
Je me mis à courir vers le trou béant crée par l'explosion. Je sentais mon sang circuler avec force dans mes veines, en particulier au niveau du cou.
J'avais agi par instinct, sous le coup de la colère et de l'inquiétude pour ma famille, à présent il ne restait qu'à assumer. Si je ne faisais rien, je serais aussitôt arrêtée et qui sait ce qu'il adviendrait de moi. Autant aller jusqu'au bout, donc.
Dehors, des agents surgissaient de partout, bien décidés à me stopper. Des alarmes hurlaient, et chaque GEN qui venait dans ma direction était armé. Je plongeai les mains dans mes poches pour en retirer deux autres billes et fis sauter le mur le plus proche de moi.
- Recrue en fuite, brailla la voix de Marx dans un haut-parleur. Ne la laissez pas sortir ! Tous à vos postes !
J'escaladai le monticule de pierres détruites par mes soins. L'adrénaline courrait dans mes veines et me prodiguait l'énergie nécessaire malgré mon affolement. Si j'étais reprise, je n'étais pas certaine que ce serait vivante.
Je suivis, toujours à une folle allure, le sentier qui s'étalait devant moi. Je sautai une souche, dérapai dans la terre humide du sous-bois et me forçai à aller plus vite encore. Derrière moi, j'entendis quatre, non, cinq respirations et autant de paires de chaussures qui foulaient le sol.
- Coupez-lui la route, cria Rick. Miranda, passe sur sa gauche.
Je fixai les arbres droits devant moi. Je ne devais pas me laisser déstabiliser par leur présence et me concentrer sur ma fuite. Je ne pouvais pas compter sur mes aptitudes au combat, les GEN seraient tous plus fort grâce à leur entrainement. Je pris soudain à droite pour les surprendre.
Vlan ! Une lourde masse me heurta et je roulai au sol. Miranda et ses cheveux dressés sur la tête me firent face. Je me jetai sur elle la première dans un geste désespéré. Mes doigts rencontrèrent un objet froid à sa ceinture pendant qu'elle me poussait vers un arbre. Son arme ! Je la saisis et tentai de dégager assez mon bras pour me défendre.
Une rapide analyse de la situation m'informa que les autres agents n'avaient pas pour projet de venir en aide à Miranda. Elle était censée y parvenir sans mal et me maîtriser en un rien de temps. Ils se placèrent juste tout autour de nous, derrière les buissons.
Je pris une grande inspiration et cognai Miranda, dont les fortes mains me serraient la gorge et me maintenaient contre l'arbre. Le coup au ventre la fit juste assez reculer pour que je m'empare de son arme. Je tirai. Deux fois.
La GEN grogna de douleur et s'écarta, une main plaquée sur ses plaies. Evidemment, cela ne suffirait pas à la tuer. Les GEN étaient conçus pour survivre à tout ce qui nuisait aux Hommes. Mais je profitai de son instant de faiblesse pour m'éloigner et me remettre à courir.
Mon cerveau était comme déconnecté et câblé sur une seule chose : j'avais tiré sur quelqu'un sans la moindre hésitation. Se pouvait-il que l'Institut ait déjà changé ce que j'étais et ce dont j'étais capable ? J'avais accompli un geste terrible, et si Miranda avait été humaine, je me serais tenue près d'un cadavre. Mais trêve de réflexions, je ne devais ma réussite qu'à l'effet de surprise et il fallait avancer.
Ma course folle entre les arbres et les rochers reprit. J'entendais mes poursuivant communiquer et spéculer sur ma trajectoire. Ils comptaient me piéger en se rabattant devant moi. Des pneus crissèrent quelque part sur la gauche tandis que deux GEN se hurlaient dessus pour avoir choisi une route impraticable en voiture. Puis, un grondement attira mon attention. Je raffermis ma prise sur mon revolver que j'avais un instant voulu abandonner, sonnée par ce que j'avais fait à Miranda. Je me concentrai sur le nouveau bruit. De l'eau ! Une rivière ! Je me décidai en une fraction de seconde et partis à droite en accélérant. S'il y avait une rivière, elle pourrait constituer une chance de brouiller mes traces. Ou de m'y noyer si je ratais mon coup... Cependant, j'écartai cette éventualité peu réjouissante.
Les arbres se firent plus rares et je déboulai au bord de la rivière. Son courant était fort et elle était parsemée de rochers pointus. J'avisai certains d'entre eux, plus plats et formant comme un passage jusqu'à l'autre côté.
- Arrête-toi ! Arrête-toi petite salope !
Rick et son sens de la poésie me talonnaient. Je posai le pied sur le premier rocher. Ma progression aurait été plutôt aisée sans le chef de la sécurité collé à mes basques. Il n'hésita pas à me suivre. L'eau éclaboussait mes chaussures. Impossible de connaître la profondeur de la rivière. Je regardai Rick dont les genoux fléchis indiquaient qu'il allait prochainement me sauter dessus ainsi que les autres agents alignés sur la rive que j'avais quittée. Je me jetai à l'eau.
La rivière était froide, de l'eau emplit mon nez et je la recrachai. Un poids sur mon dos m'entraîna d'un coup vers le fond : Rick me ceintura les hanches et s'agrippa à moi. La panique me submergea et mon cri sous l'eau ne fus qu'un amas de bulle remontant à la surface. J'avais beau me défendre de mon mieux, je n'avais plus aucune force et mes efforts étaient vains. Si je ne réagissais pas, j'allais finir noyée. Hors de question.
Je levai les bras et rentrai le ventre pour glisser entre les mains de Rick. Il me fallait de l'air au plus vite car mes poumons me brûlaient. Je nageai pourtant vers le fond et ne cessai de descendre qu'en sentant des cailloux m'entailler les mains. L'eau se teinta brièvement de rouge et je poussai du pied pour remonter.
- ... ne doit pas s'enfuir ! entendis-je brailler quelqu'un dès que ma tête perça à l'air libre.
J'haletai en agitant les bras et me rapprochai du bord. Rick émergea également et je le visai de mon arme. Pendant tout ce temps, je ne l'avais pas lâchée et je priai tous les dieux existant qu'elle fonctionne encore malgré la baignade.
- Lâche ça, cracha le chef de la sécurité en même temps qu'une gorgée d'eau. Sinon je te tue.
Le coup partit et je me détournai assez vite pour ne pas voir la figure de Rick exploser dans une gerbe rouge. Je me hissai sur le bord, me moquant éperdument de savoir s'il s'en remettrait.
Les chaussures lourdes d'eau et le pantalon collé aux fesses, je courus encore.
Le sol présentait désormais une certaine pente de plus en plus forte. Je levai les yeux pour découvrir une falaise abrupte devant moi.
« Mais bordel, tu as pris la pire route ou quoi ? » marmonna une voix dans ma tête. Cela ne finirait-il dont jamais ? Les GEN allaient me trouer la peau si je ne me cachais pas vite.
N'ayant aucune autre issue, je saisis une prise sur la paroi et m'élevai. Des balles sifflèrent à mes oreilles et je me retournai pour vider mon chargeur. Je gravissais les mètres le plus rapidement possible lorsqu'une douleur cuisante m'arracha un cri. Suspendue par les bras, j'examinai ma cuisse gauche sur laquelle une tâche rouge s'élargissait. J'avais été touchée ! Le sang se mêlait à l'eau gorgeant déjà mes vêtements.
Plus j'avançai et plus quelque chose me semblait anormal : hormis ma blessure à la cuisse, j'étais indemne. Les balles me frôlaient et se plantaient dans la roche. Pourtant, je connaissais les compétences des agents de l'Institut et je savais qu'un GEN ne rate pas sa cible. Quelle était la raison de leur comportement visant à me préserver ?
Je serrai les dents, refusant de céder à la souffrance et je pris appui sur ma jambe droite, me propulsant vers le haut.
***
Allan Vallet conduisait vite. Bien plus que la vitesse autorisée sur cette route sinueuse ne le permettait. Le GEN ne craignait pas les accidents pour la simple raison que ses réflexes ne lui feraient jamais faux bon et qu'il maîtrisait tout à fait sa voiture. De plus, il aurait pu lâcher le volant sans mal, car N.I.A, le Nouveau programme d'Intelligence Artificielle avait été installé sur le véhicule. N.I.A aurait sans problème redressé sa trajectoire et mis en marche le pilote automatique.
Au détour d'un virage, N.I.A s'adressa à Allan :
- Un appel du directeur Marx, agent Vallet.
- Prends-le.
Allan se gara sur le bas-côté pour répondre. Un appel de Marx, ça ne se refusait pas.
- Monsieur ? dit-il poliment.
- Allan ? Nous subissons une nouvelle évasion ! La localisation de votre voiture est idéale, la recrue en fuite se trouve à quelques centaines de mètres devant vous ! Vous devez la rattraper !
Ulrich Marx semblait au bord de la crise de nerf. Allan devina que la recrue en question était une de celle ayant déjà fait une tentative. Luna, peut-être... Il fut un instant plongé dans un souvenir datant de dix-sept ans plus tôt.
Il se trouvait dans une salle d'interrogatoire avec Ulrich Marx en plus jeune. Ce dernier lui parlait de ses objectifs de gloire pour les GEN, mais l'adolescent qu'il était n'écoutait pas. Alors, on lui apportait un colis que Marx ouvrait avec un sourire. La main se sa grand-mère y était posée, tranchée au poignet.
Cette scène avait eu lieu après le troisième sabotage du système informatique réalisé par Allan et une de ses amies. Une amie qui était morte en cherchant à se sauver.
Allan se reprit et fixa le tableau de bord, sa décision prise :
- A vos ordres.
Il redémarra et roula à toute vitesse, phares allumés. Une silhouette féminine enjambant la barrière de sécurité entra d'un coup dans leur lumière et Allan pressa l'accélérateur. La jeune femme leva un bras pour se protéger mais le véhicule la percuta violemment. Allan regarda son corps s'arquer et retomber plus loin.
Le GEN descendit de voiture, feux de détresse allumés et se précipita près de la recrue. Luna gisait bel et bien là, du sang coulant de sa bouche et de son nez. Allan entendit les cris des agents à sa poursuite. Il souleva la jeune fille et la mena sur la banquette arrière.
- Je suis désolé, chuchota-t-il à Luna.
Allan reprit le volant et se rendit en direction de l'Institut.
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