Chapitre 15
Dans la chambre, je me dépêchai de faire couler un lavabo d'eau et me savonnai en vitesse, n'ayant pas le temps pour une vraie douche. Amanda me suggéra alors de tresser mes cheveux bien serrés et je m'assis à ses pieds, touchée pas son attention. Ses mains expertes attrapèrent mèche après mèche et il me tardait de voir le résultat. C'était sa tante qui lui avait appris et je sentis une forte émotion dans sa voix quand elle me confia cela. Un peu gênée par l'éventualité de mettre les pieds dans le plat à propos de sa famille alors que nous ne pouvions pas voir nos proches, j'embrayai sur Guilhem et Marc en donnant de leurs nouvelles. Puis je me décidai à poser la question qui me brûlait les lèvres :
- Au fait, est-ce que Victoire t'a parlé de moi ces derniers jours ? Elle n'était pas ravie de me revoir toute à l'heure.
- Eh bien... Elle ne me l'a pas dit ouvertement, mais je crois qu'elle te reproche d'être partie.
- Ah. Parce que je l'ai fait sans elle ?
Amanda, qui avait terminé, se leva et se racla la gorge avant de poursuivre.
- Je ne sais pas, peut-être que je me trompe. Mais au moment où Barbie et un autre agent sont venus nous compter, ils ont vu que vous manquiez à l'appel et, forcément, on s'est tourné vers nous puisque nous sommes vos amies. Et Victoire a baissé la tête, comme si elle avait honte. En tout cas, elle désapprouvait.
- Sympa.
Je ne dis rien de plus parce que je ne savais pas quoi en penser. Victoire et moi nous connaissions depuis longtemps et nous étions rarement en désaccord. Sa réaction me laissait perplexe.
- Tu penses que je me suis mal conduite ? demandai-je franchement.
- Pas en ce qui concerne ta volonté de t'évader. Mais... ne le prends pas mal, je ne veux pas te vexer. Je crois que tu montres un peu trop ton opinion vis-à-vis des autres. Tu n'acceptes pas que certains d'entre nous puissent avoir des raisons de se résigner à rester.
Amanda s'avérait surprenante. Si timide à notre rencontre, elle hésitait désormais moins à dire ce qu'elle pensait.
Je m'efforçai de ne pas me fâcher et méditai ses phrases un instant. Il était vrai que je considérais comme folie le fait de vivre normalement, de rire avec des potes, bref, de faire tout ce que fait un adolescent dans le cadre de l'Institut. Je ne voyais pas comment on pouvait être d'accord avec les inepties véhiculées par Marx.
- Tout le monde ne possède pas une famille qui l'attends dehors, précisa mon amie.
Elle alla se mettre devant la fenêtre et croisa les bras sur sa poitrine. Il émanait d'elle une nostalgie palpable. Ce qu'elle venait de dire la concernait personnellement.
- Si tu as besoin de parler, je t'écoute, fis-je.
- Je crois que je ne manque à personne, se lança-t-elle d'un ton douloureux. Ma tante est décédée d'un cancer il y a deux ans.
- Et tes parents ?
- Je n'ai jamais vu mon père. Lui et ma mère se sont connus au travail. Elle était hôtesse de l'air et lui un homme d'affaires en voyage le plus clair de son temps. Quand elle est tombée enceinte, ma mère a cru qu'il s'installerait avec elle pour avoir une vie de famille, sauf que mon père ne voulait pas de cela. Il a promis de subvenir à nos besoins et n'est jamais venu nous voir. Tout ce que je connais de lui, ce sont ses cartes à Noël avec un gros chèque dedans et toujours le même mot. Pour ce qui est de ma mère, on s'est bien entendues jusqu'à ce qu'elle refasse sa vie, il y a huit ans. Elle a rencontré un type friqué, encore un, et on est parties vivre dans sa grosse maison. Mais j'ai commencé à me sentir de trop entre eux, et son copain m'a dit qu'il n'y avait pas de place dans leur vie pour moi. A mon entrée en 6e, je suis allée en internat et les week-ends, je restais seule avec des plats à réchauffer dans le frigo. Quand j'ai eu dix-huit ans, ma mère m'a prévenu que j'avais un an pour déménager, parce que j'étais adulte et assez autonome pour me débrouiller. Alors je ne crois pas que ma « mort » l'ait réellement affectée, conclut Amanda.
Un long silence suivit son récit. Elle lâcha un soupir et se laissa tomber sur son lit. Vider son sac la soulageait apparemment. Je cherchai quelque chose à dire :
- Tu lui manques certainement. Elle a dû se sentir coupable de t'avoir abandonnée pour un homme.
- Elle avait beaucoup changé, objecta mon amie.
Je fouillai dans mes affaires et enfilai des chaussures propres. Le séjour dans les bois de mes baskets ne leur avait pas plu. Une fois chaussée, je traversai la chambre et serrai Amanda contre moi.
- Je suis contente de te connaître, dit-elle avec sincérité.
Je n'étais pas très douée pour les effusions mais je lui rendis son sourire. Nos liens s'étaient vraiment renforcés au fil des semaines.
- Allez, viens, si on ne se bouge pas, on n'aura rien à manger.
***
Le dimanche arriva très vite, et comme nous avions notre journée libre, je décidai d'en profiter pour passer du temps avec mes amis. Victoire s'était légèrement détendue, même si elle se bornait à dire que tout allait bien avec une expression qui disait tout le contraire quand je la cuisinais. Guilhem allait mieux et Marc m'évita jusqu'à ce que je le coince dans le couloir des chambres pour lui dire en face que, quelque soit son choix, je ne le lui reprocherais pas. J'avais bien compris que la tentative d'intimidation de Rick et Marx avait marché sur lui. D'un air soulagé, il affirma vouloir « en rester-là » et avoir pris la résolution de s'intégrer à l'Institut.
L'après-midi, je partis faire un footing dans le parc avec Amanda. Les autres préféraient jouer aux cartes dans la salle commune avec des recrues en formation depuis l'année précédente, mais Amanda n'aimait pas beaucoup ce genre de jeux.
Après deux bonnes heures d'effort, nous nous étirâmes près d'un arbre et je me décidai à évoquer Geb. En sortant de sa chambre, je m'étais jurée de ne plus y penser, mais en vérité, sa situation me faisait pitié. Comment pouvait-il rester ainsi enfermé ? Amanda se porta volontaire pour venir le visiter avec moi afin que je tienne parole. Nous prîmes ensemble le chemin du labo et je retrouvai sans mal les quartiers de Geb.
- Luna ! cria-t-il à ma vue. Tu es revenue ! Tu es mon amie !
Il était assis à la table, en train de bricoler sur de toutes petites pièces avec des outils de précision. Je lui présentai Amanda.
- C'est une de mes amies, dis-je en rejoignant la table. C'est gentil à elle d'être venu te voir, non ?
Il eut l'ait contrarié et examina attentivement la belle Noire.
- Mais j'avais prévu un cadeau pour toi. Et deux amies veut dire deux cadeaux !
- Ne t'inquiète pas, le rassurai-je. On n'a besoin de rien.
Amanda alla dans mon sens en s'intéressant à ce qu'il faisait et je lui en fus reconnaissante. Je ne me sentais pas à ma place avec Geb et j'ignorais comment me comporter avec lui. Comme avec un homme ou comme avec un enfant ? J'étais venue pour appliquer les conseils d'Amanda et prendre soin de mes amis, mais je commençais à regretter.
- Je fabrique des gadgets pour le docteur. J'en ai aussi fait un pour toi.
- Merci.
J'échangeai un sourire avec mon amie car Geb avait l'air content. Il fouillait avec énergie dans une petite boîte. Enfin, il s'empara de quelque chose et me le tendis. Il déposa dans ma paume ouverte des petites billes métalliques qui y roulèrent.
- Merci, dis-je encore, dans l'espoir qu'il m'indique ce que je devais en faire.
Un sourire plein de malice et de fierté s'épanouit sur son visage pâle et il gonfla le torse pour prononcer ces mots :
- C'est une bombe.
- Hein ? s'étouffa Amanda en sautant sur ses pieds.
Je restai un bref instant immobile, digérant ce que Geb venait de nous apprendre. Puis la gravité de la chose me frappa.
- Qu'est-ce que tu as fait ? explosai-je. Reprends-les, Geb !
Il recula comme si je lui avais tapé dessus, refoulant ses larmes. Visiblement, il ne comprenait pas ma réaction.
- Reprends-les, répétai-je, pressante. Tu vas nous attirer des problèmes.
- C'était pour t'aider, bégaya Geb. Tu voulais t'échapper.
Sur ces entrefaites, la porte s'ouvrit à la volée, laissant passer deux GEN en combinaison noire, une arme à la ceinture.
- Recrue Deveille ? Le directeur Marx vous demande dans son bureau.
La pièce était sûrement truffée de micros et ce cher directeur n'avait rien perdu de la scène. Heureusement, il n'impliquait pas Amanda. Mettant de côté ma peur et ma colère, je marchai droit sur la porte, déterminée à rencontrer en personne le responsable de tous mes maux.
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