Chapitre 12
Ils nous tombèrent dessus avant l'aube, et ce au sens propre du terme car un corps lourd s'écrasant sur le mien me tira du demi-sommeil dans lequel je flottais. J'ouvris brusquement les yeux et me débattis aussitôt en poussant un cri à cheval entre un bêlement et caquètement de poule effrayée.
Une femme aux cheveux courts dressés sur son crâne avec du gel me plaquait sauvagement au sol, le nez presque contre le mien. J'arquai le dos et tentai de libérer mes bras pour me débarrasser d'elle. Des bruits de lutte, quelque part sur ma droite, m'indiquèrent que mes amis se trouvaient eux-aussi en position délicate mais je ne les voyais pas. Mon adversaire était plus petite que moi mais bien plus forte et entraînée. Malgré tout, je ne me laissai pas faire.
Je remontai les jambes et balançai d'un coup mes pieds dans son ventre. La GEN, légèrement déstabilisée, relâcha sa prise sur moi et je dégageai mes bras. Je roulai sur le côté et me remis à la verticale en une fraction de seconde, genoux fléchis et prête à l'affronter. Elle se rua sur moi avec la vitesse d'un serpent attaquant sa proie et nous roulâmes dans la poussière. Mes doigts cherchèrent le couteau dérobé dans la cuisine et que j'avais glissé dans une poche de pantalon. Je le brandis devant moi.
- Vas-y, m'encouragea la GEN, un sourire déformé sur le visage. Essaye seulement de me toucher !
- Allez, Miranda, abrège !
La voix de Rick, le chef de la sécurité. Il ne manquait plus que lui. Le cœur battant la chamade, je me jetai sur mon adversaire et visai son épaule avec mon arme de fortune. Elle attrapa mon bas gauche et le tordit si fort que quelque chose craqua. J'étouffai mon cri et la rouai de coups de pieds. Je l'atteignis à l'aine, puis dans l'abdomen et elle faiblit. Peut-être qu'avec un peu de temps, je l'aurais vaincue, ou peut-être me faisais-je des illusions.
Mais un second agent se décida alors à aider Miranda et me saisit le cou par derrière. Il me força à lâcher le couteau. La rage au ventre, je fus contrainte de m'agenouiller devant la GEN aux cheveux hérissés. Je n'avais pas tenu bien longtemps.
L'agent me fit me retourner. Guilhem gisait inconscient dans les bras de Rick lui-même, le nez et la bouche en sang. Marc était maintenu par deux hommes et menacé d'un flingue par un troisième. C'était fini.
- C'est bon les gars, sourit le chef de la sécurité en hochant sa tête tatouée. On ramène les oiseaux dans leur cage.
Ils éclatèrent tous de rire et nous nous mîmes en marche. La colère était brûlante en moi, et je m'en voulais terriblement. Si j'avais opté pour un autre itinéraire, nous aurions pu y arriver. J'avais la sensation de me retrouver des semaines plus tôt quand nous avions été capturés avec Marc et Victoire, et cet échec me cuisait. Je fixai mon regard droit devant moi, refoulant mes émotions de mon mieux.
***
Allan Vallet cogna dans le sac de frappe si fort que celui-ci se détacha de la chaîne reliée au plafond et alla se perdre à l'autre bout de la salle. Il secoua la tête et ne prit pas la peine d'aller le ramasser. Il se contenta de se rendre au vestiaire et de s'essuyer le visage et la nuque avec sa serviette. En passant devant le miroir, il y jeta un bref coup d'œil. L'homme qui lui rendit son regard était assez grand, mais surtout large d'épaules. Il avait les cheveux châtains coupés courts et une barbe de trois jours plus ou moins bien entretenue. Quant à ses yeux, ils étaient d'un bleu-gris incroyable, presque glacé.
Allan se détourna. Ce qu'il voyait, lui, c'était surtout une flamme résignée au fond de son propre regard. Après dix-sept années passées entre les murs de l'Institut, quel espoir avait-il de s'en échapper un jour ?
Le GEN s'apprêtait à partir, son sac sur l'épaule, mais une sonnerie l'en empêcha. Le son ne correspondait pas à une alarme quelconque mais plutôt à un signal de rassemblement. Il n'y avait donc pas le moindre doute possible : les fuyards avaient été retrouvés. Ulrich Marx était friand des punitions démonstratives, pour servir l'exemple. Les trois recrues allaient passer un très mauvais moment, et ce devant leurs amis et tous les agents basés à l'Institut.
Allan attendit le plus possible, simplement histoire de se prouver qu'il avait encore un peu de contrôle sur ses décisions, puis se décida à gagner la cour. Il était très tôt et il ne croisa personne. En t-shirt dehors et sans ressentir la morsure de l'air matinal, il se fit la réflexion qu'il faisait déjà doux pour la saison. De nombreux GEN se massaient également près du manoir et il repéra l'une de ses amies qu'il alla retrouver.
- Déjà en plein effort ? nota Marwa, une GEN rousse à la coupe courte.
- Quand on ne dort pas, autant occuper son temps.
Allan accompagna sa réponse d'un haussement d'épaules qui amusa Marwa. Son amie était le plus vieux GEN de l'Institut, à presque soixante-dix ans, et pourtant, elle en paraissait quarante au maximum. Et tout comme Allan, elle ne portait pas Marx et sa prétendue noble cause dans son cœur.
- Ils auront passé moins d'une nuit dehors, poursuivit-elle.
C'était un simple constat, qui ne méritait pas de commentaire de la part d'Allan. Il resta silencieux.
Enfin, la sonnerie cessa et le portail commença à s'ouvrir. Les recrues, sorties du lit – ou de leur douche à en juger par la tenue de l'un d'entre eux, juste couvert d'une serviette – étaient encadrées par quelques agents. Stone n'était pas encore revenu de mission.
Deux jeeps entrèrent dans l'enceinte de l'Institut et se garèrent en plein milieux. On fit descendre les trois jeunes évadés, solidement maintenus par des GEN. Allan enfonça ses ongles dans ses paumes et les observa un à un.
L'un des garçons dont il n'avait pas retenu le nom tenait à peine debout, soutenu par Miranda, qu'Allan connaissait un peu. Ses cheveux blonds bouclés étaient tachés de sang et tombaient sur ses oreilles. L'autre, Marc, avançait tête baissée. Il transpirait la honte et les regrets. De l'avis d'Allan, il ne recommençait pas de sitôt, bien qu'il ne semblât présenter aucune blessure sérieuse. La dernière personne retint vraiment l'attention d'Allan.
La fille. Luna. Elle se tenait droite, comme si le bras de Rick, placé dans son dos de façon à lui faire mal et à la faire se voûter ne lui faisait aucun effet. Elle respirait la force et la détermination, une lueur de défi dans les yeux. Elle ne les détourna même pas à l'arrivée d'Ulrich Marx, dans son costume sans pli aux petites heures du matin. Le directeur se plaça de façon à ce que sa voix porte jusqu'aux recrues.
- Chers amis, l'heure est à une mise au point importante. Notre communauté, si soudée et mue par un objectif si essentiel qu'il met en jeu notre survie à tous, ne peut se permettre d'être fragilisée par la traîtrise. C'est pourquoi, la faute commise par nos jeunes recrues ici présentes ne peut rester impunie. Notre chef de la sécurité se chargera d'administrer la sanction nécessaire afin que d'assurer la sérénité de tous. Rick, c'est à vous.
Celui-ci eut l'air aussi heureux qu'un enfant à la fête foraine et dégaina sa matraque. Il y eut des murmures étouffés parmi le groupe de recrues. La matraque se nimba d'un éclat bleuté et Allan sut qu'elle était parcourue par le courant. Rick se planta devant Guilhem qui avait été déposé à genoux sur les dalles. Il avait l'air mal en point et ses yeux ne s'ouvrirent qu'à moitié.
- Acceptes-tu de te soumettre et de faire allégeance à la communauté ? demanda-t-il.
Allan fut parcouru d'un frisson. On aurait dit un slogan prononcé dans une secte.
Rick n'attendit pas de réponse et asséna un coup de matraque derrière la nuque du jeune homme qui tomba face contre terre. Il s'approcha ensuite de Marc dont le regard était empli de peur et le frappa à son tour. Le corps tordu par les décharges d'électricité, le garçon résista à quatre coups avant de se mettre à hurler. Il s'écoula à quatre pattes et gémit, les larmes ruisselant sur ses joues. Allan savait combien la matraque de Rick était douloureuse. Elle provoquait une terrible brûlure dans le corps et une sensation de paralysie et d'étouffement. Un humain en serait mort.
Une fille pleurait dans l'assemblée. Elle était soutenue par une belle rouquine au visage plissé de contrariété.
Pour finir, Rick passa à Luna, la seule fille du trio. Elle le regarda venir vers elle avec nonchalance et lui cracha au visage. Le chef de la sécurité avait horreur qu'on se moque de lui et il s'en donna à cœur joie sur elle. Le corps de la recrue s'arqua, se recroquevilla, mais pas un son ne franchit ses lèvres. Elle résistait. L'assistance se tendit et l'attention redoubla au septième coup. Même si la douleur ne la terrassait pas encore, Luna pouvait renoncer pour mettre un terme à l'humiliation.
- Vas-tu te soumettre ? aboya Rick, le regard fou.
A genoux, Luna se redressa encore une fois. Ses cheveux sombres coulaient dans son dos, ses traits étaient tirés. Elle ricana.
- Allez vous faire voir.
Personne n'osa rire, parmi les spectateurs, cependant l'envie était forte. Rick était loin d'être apprécié de tous, à la fois parce qu'il était une brute cruelle, mais aussi parce qu'il faisait figure de favorisé par Marx au sein de l'Institut. Le directeur jugea d'ailleurs bon d'intervenir et, d'un geste, ordonna à son équipe d'emmener les trois recrues et à Rick de cesser la punition. Ils disparurent dans le laboratoire.
- Les pauvres, murmura Marwa, alors que tout le monde se dispersait. Leur châtiment n'est surement pas terminé.
- La question, c'est aussi de savoir pourquoi le directeur ne les a tout bonnement pas exécutés devant leurs camarades. De mon temps, il prenait bien moins de pincettes.
Marwa n'ajouta rien et s'éloigna. Allan laissa un instant ses yeux errer sur la porte du labo. Quelque fussent les projets de Marx pour ces trois jeunes, il ne faisait aucun doute que la fille serait bien plus coriace et cela plaisait au GEN. Il ramassa son sac et s'en fut, se promettant de tenir Luna à l'œil.
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