~I~
L'eau coule silencieusement et remplit les petits espaces vides creusés dans la terre humide. Ben attend sagement l'instant pour passer à l'attaque. Cela faisait des heures qu'il patientait pour se jeter sur ce gros butin qui l'attend dans les eaux scintillantes. Armé de sa lance, il pointe sa proie qui ne cesse de bouger, remuant sa queue écailleuse. Ce n'est pas la première fois qu'il tue un être vivant. C'est une journée banale pour le jeune homme. Dans un endroit comme celui-là, c'est chacun pour sa peau et chacun pour sa survie. La proie nageait à droite et à gauche, narguant Ben avec ses yeux globuleux. Sa lance était lourde. Il était sûr de son coup. Quand il fut l'heure de passer à l'acte, l'hésitation n'était pas une option.
Une belle morue. Malgré l'énorme marque causée par la pointe de la lance, elle ne perdait pas de sa valeur aux yeux de Ben. Il avait faim, et sa mère aussi. Il disposa le poisson dans son filet qui était déjà rempli de choses comestibles tel que des champignons et des feuilles de menthe. L'odeur cumulée de tous ces produits était terrible. Dans ce genre de situation sociale, tout ce qui importait véritablement était de se nourrir, quelque soit l'odeur, le goût ou même l'apparence du produit. C'était la seule chasse de la semaine et elle était plutôt fructueuse. Le filet était lourd, mais Ben ne s'en souciait pas. Il pensait plutôt au festin qu'il pourrait organiser ce soir. Une vraie satisfaction personnelle. Sa plus belle prise du jour, c'était une famille de trois lapins qui se baladait près du ruisseau. Il lui a fallu seulement quelques coups de lance pour embrocher ces bêtes. La route était rocheuse, mais la ferme n'était pas loin. Malgré les ampoules sur le dessous de ses pieds, il répétait ce rituel hebdomadairement. La persévérance était ce qu'il y avait de plus important aux yeux de Ben. Il espérait pouvoir changer de vie aussi vite que possible.
Chaque semaine il empruntait le même chemin magnifique. Cette forêt lui faisait penser à l'un de ses récents rêves. Des branches courbées dans tous les sens, des rochers couverts de mousse glissante et les feuilles des grands chênes qui tombaient au ralenti. La fin du chemin était imperceptible à l'oeil nu, car les nombreux arbres bloquaient la vue. Parfois, le jeune fermier se trompait de chemin sans s'en rendre compte et passait la nuit dans les bois. Ben s'y plaisait, dans les bois. Il s'y sentait libre comme l'air. La ferme était ennuyeuse et était éloignée de toute forme de vie. Sa mère somnolait toute la journée pendant que Ben s'occupait des nombreux travaux afin de maintenir la ferme en bon état. A chaque fois qu'il atteignait la fin du chemin et qu'il voyait la longue cheminée qui dégageait une fumée grisâtre, son bonheur se convertissait en désarroi.
Il se faisait toujours accueillir par Luther, le beau labrador de la ferme. Celui-ci gardait la ferme tout en encerclant le troupeau de chèvres et de vaches, seule richesse de la famille. Son regard menaçant effrayait tous les enfants qui s'approchaient du terrain. Mais, avec Ben, son regard changeait totalement. Il lui faisait les yeux doux et se mettait sur ses deux pattes arrière afin de recevoir des caresses de la part de son maître. C'était un chien de garde fidèle, mais pas un bon chien de chasse. Ben avait essayé de le sortir pour chasser, mais ils rencontrèrent un renne qui effraya le chien. Ben promit à son ami de ne jamais le ramener dans les bois depuis ce jour-là.
La porte n'avait pas été fermée. On pouvait apercevoir la fine lumière étincelante qui pénétrait la maison. Ben ouvrit la porte et la ferma de suite. La nuit tombait, et les environs n'étaient pas sûrs vers ces heures-là. Il ferma la porte en bois à clé et s'avança vers la cuisine, où il posa tout son butin de chasse. Sa mère dormait depuis longtemps, donc inutile de la déranger. Puis, il aimait être seul. La solitude était quelque chose qu'il avait intériorisé depuis le départ de son père. Il avait quelques amis, mais il ne les voyait pas souvent. Il adorait l'argent et repoussait l'amour. Il ne recevait pas beaucoup d'amour de la part de sa mère. Depuis que son père avait quitté la ferme pour s'aventurer dans les hautes montages du Véris, sa mère s'occupait de lui, et mal. Elle ne faisait rien de ses journées, confiant toutes les tâches à son fils. Des fois, Ben souhaitait quitter la maison et suivre les pas de son père. Tout abandonner et recommencer à zéro.
Ce soir là, Ben s'était installé à table, seul, après s'être préparé une soupe de courgettes. Il caressa Luther, qui bizarrement, montrait une nervosité curieuse. Il s'avança vers la porte et se mit sur ses deux pattes pour frotter la poignée avec ses griffes aiguisées. Ben ne fit pas attention à son compagnon, et continua à manger son dîner tout en lisant un livre sur l'astrologie nommé « Au delà des étoiles ». Soudain, quelqu'un toqua à la porte. Luther poussa un petit gémissement et se cacha sous la table à manger. Ben entendit des pas qui provenaient de l'extérieur, de plus en plus rapides, et qui s'éloignaient peu à peu. Il se leva de sa chaise et marcha paresseusement vers la vieille porte du domicile. Il mit sa main sur la poignée, et la tourna. Quand il ouvrit la porte, il n'y avait personne dehors. Il regarda à droite et à gauche: personne. Il lâcha même Luther dans la nature, mais étrangement, le chien ne trouva rien. Aucune trace de pas dans la boue. Comme si personne n'était passé par là. Au pied de la porte, il y avait quelque chose. Une enveloppe bossue ornée d'une marque rouge. Était-ce son père?
« Qui est-ce? », cria sa mère depuis l'étage.
- Personne, mère. Luther voulait juste se promener, répondit Ben, la voix tremblante, effrayé par la voix de sa mère qu'il détestait.
Il ferma soigneusement la porte. Luther observa longuement cette lettre qui venait d'un étrange destinataire. Ben ouvrit délicatement l'enveloppe. Une noix. Pas une noix comme les autres: une noix striée et colorée.
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Ben ne put dormir de la nuit. Une noix multicolore? C'est extravagant et décevant à la fois. Il se leva de bon matin pour essayer de trouver des réponses à ses questions. Il pensa subitement à la fortune qu'il pourrait se faire s'il vendait cette noix. Une noix, ça se plante. Cette petite fortune pouvait se convertir en une grosse s'il réussissait à obtenir davantage de noix comme celles-ci. Il sortit de la maison sans l'autorisation de sa mère et se mit en chemin vers les bois. Après quelques minutes de marche, il trouva l'emplacement parfait. Entre deux chênes, il creusa un petit trou avec ses mains et disposa la noix dans celui-ci et le referma. Il versa le peu d'eau qu'il avait ramené et se releva. Même si rien ne se passait, il fallait le tenter. Réussir en passant par l'échec.
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Un mois plus tard, Ben retourna vers l'emplacement où il avait planté la fameuse noix. Miracle! Ce n'était plus une simple couche de terre, mais un arbuste. Au bout des branches de celui-ci, il put contempler quelques noix. Certaines étaient grosses et d'autres microscopiques. Avant de vendre son produit, il fallait qu'il le goûte. Il n'arrivait pas à imaginer le qu'il reçoive des plaintes car les consommateurs tombaient malades à cause de ses noix multicolores. Donc, comme vous pouvez l'imaginer, il a cueilli l'une des noix et l'a disposée sur sa langue. Il a fermé sa bouche et a croqué l'haricot juteux. Il avala. Le monde devint étrangement amusant. Il perdit conscience. Son corps et son âme étaient partis vers un autre lieu; au sens propre du terme.
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