Chapitre nº 4
Abel
Je suis encore à moitié endormi lorsque je prends mon petit déjeuner. Ma tête est lourde, je suis obligé de la soutenir avec mon bras posé sur la table, de peur de me retrouver dans mes toasts.
Éden dort encore. Si je la réveille, elle va me frapper. Et je n'exagère pas. Dormir, c'est sa religion.
Ruben regarde des clips de musique à la télé. Je m'assois à côté de lui sur le canapé. Sa tête se balance en rythme.
Il y a très peu de tissus dans ce clip. Beaucoup de maillots de bain, beaucoup de soleil. La vraie recette de la richesse. Je plisse les yeux en regardant mon frère. La musique lui plaît ? Ou il se contente d'observer les filles en petite tenue ? Je m'attends presque à voir un filet de bave couler au coin de sa bouche.
Il a déjà eu des petites copines. Je ne sais pas exactement combien, mais il en a eu, ça c'est sûr. Une d'entre elles était même venue dîner à la maison. J'ai oublié son nom, mais elle était sympa. Ils ont rompu depuis. Il n'a pas l'air de s'en soucier. Ma mère l'appelle "Don Juan", et c'est pour dire.
Lorsque le clip change pour un autre avec plus de vêtements, il semble revenir à lui. Il tourne la tête vers moi et m'adresse un petit sourire. Je l'imite en train de baver devant la télé et il me donne un coup de coude.
- Abuse pas, je m'entraîne pour mon cours d'anatomie, voilà tout, signe-t-il.
Je ris et c'est alors qu'Éden, sortie d'on ne sait où, saute au dessus du canapé, se coinçant entre nous. Un exploit qu'elle n'ait pas fait tomber son bol de céréales. Le canapé aurait prit très cher.
- Salut les losers, dit-elle.
Elle est enroulée dans sa couverture polaires Ruben et moi nous regardons, incrédules. On se retient de rire. Elle commence à déguster ses cornflakes, sans rien ajouter. Ruben hausse les épaules et se concentre à nouveau sur la télévision.
***
13h30. Séance dans une demie-heure. Je ne suis toujours pas prêt. Je m'habille en quatrième vitesse, prenant ce qui me tombe sous la main dans mon placard. Ensuite, direction salle de bain. Ma soeur patiente dans le couloir pendant que je me brosse les dents. Je la vois dans le miroir, elle tape dans ses mains. Je crois que ça veut dire quelque chose comme "grouille toi". Je lui laisse finalement la place et je descends.
Il n'y a que 15 minutes de route entre notre maison et le cinéma. Nous nous engouffrons dans la voiture. Maman nous y conduit ravie que je fasse une sortie.
En arrivant devant le cinéma, toute la bande de ma sœur nous attend.
Je vois en premier Mélanie, et son habituel sourire accueillant.
Il y a aussi David, un garçon plutôt enrobé, si on peut dire ça comme ça. Mais il est très grand, il devrait se lancer dans une carrière de basketteur-rugbyman.
Il y a également Élise, blonde aux yeux bleus. Son appareil dentaire brille au soleil. Et Lucas, maigrichon à lunettes. Il aime porter des t-shirts avec des phrases philosophiques. Élise et Lucas sont ensembles.
Je les salue rapidement. Mélanie me claque deux grosses bises sur les joues. Elle rit un peu en s'excusant de sa maladresse, je lui réponds que ça ne fait rien.
Je dois avoir l'air ridicule à essayer de parler comme si je l'avais fait toute ma vie. Je ne suis même pas sûr de prononcer correctement mon propre nom.
Élise et Lucas se prennent en photo devant l'affiche du film encadrée à l'extérieur. Adorabeurk.
Nous rentrons finalement tous dans le cinéma, meurtris par le froid. L'endroit est chauffé, je frotte mes mains pour réveiller mes nerfs. Nous faisons la queue pour acheter nos tickets. Ils discutent entre eux, parlant trop vite pour que je saisisse quoique ce soit.
Éden se saisit de mes quelques pièces de monnaie et achète mon ticket à ma place. J'aurais été incapable de parler au gars du guichet. Mais elle le sait très bien, elle prévoit toujours tout.
Mélanie chuchote quelque chose à ma sœur, celles-ci se regardent ensuite d'un air entendu.
- Allez déjà dans la salle, on vous rejoint juste après, annonce Mélanie qui retourne au guichet avec Éden.
David, Élise, Lucas et moi ne comprenons pas vraiment leur plan. Ils ne se posent pas plus que questions, et vont vers les salles. Je les suit rapidement.
On donne nos tickets au gars, pas très poli. Il a l'air assez jeune, il doit faire une espèce de formation. "Salle 8" dit-il mollement.
Nous nous rendons donc en salle 8, avec sa porte bleue. C'est une des plus grandes : la plupart des sièges sont déjà pris. On repère une rangée de libre tout devant. On s'y installe, mettant nos manteaux sur les places des deux absentes. Ça, ça signifie "abstenez-vous, manteaux = ne pas s'assoir ici".
Le grand écran diffuse des pubs pour des glaces, des banques, des voitures. Personne n'a pensé à acheter du pop-corn. Dommage, j'aurais pu passer la séance à manger en me demandant comment un grain de maïs peut devenir un pop-corn.
Mélanie et Éden arrivent juste au moment où toutes les lumières s'éteignent. Mélanie manque de tomber dans les escaliers. Elle s'installe rapidement à côté de moi.
Écran noir. Puis, une première image. Ça y est, je vais passer presque deux heures à m'imaginer les dialogues. Superbe après-midi.
Un personnage arrive à l'écran. Ses paroles sont retranscrites en blanc, en bas de l'écran. Je fronce les sourcils et regarde ma sœur. Mais c'est le regard de Mélanie que je croise :
- Surprise, dit-elle.
Je souris grandement, peut-être un peu trop. Elles ont réussi à me dénicher la version sous-titrée. Je la remercie en essayant de ne pas avoir l'air trop exalté.
Je pense alors au reste du public. J'espère que ça ne les dérange pas trop, et qu'ils réussiront à se concentrer tout de même.
Oh, et puis, je m'en fiche. Je pense à moi pour une fois, mes premiers pas dans l'égoïsme. Je vais profiter du grand écran et de la chaleur des sièges.
À la fin du film, les lumières m'éblouissent et je suis obligé de fermer mes yeux quelques secondes. Lorsque je les rouvre, tout le monde me regarde.
- Ça t'a plu ? me demande Élise.
Je souris doucement, levant les deux pouces en l'air pour toute réponse. Ils rient, et je me joins à eux.
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