Chapitre nº 1
Éden
Avec mon frère, Abel, nous attendons notre bus sous l'abri recouvert de tags en tout genre. Des mots reviennent plusieurs fois, j'aperçois même un numéro de téléphone. Je n'avais jamais vraiment fait attention à ces petits détails. Je doute fort que ces gens essayent de créer une œuvre d'art en écrivant ces mots.
Il pleut, il vente, il fait froid. Jamais je n'avais connu un vent aussi gelé. Mes yeux pleurnichent lâchement à cause de l'air plus que glacial. Je croise mes bras et tente de garder toute ma chaleur corporelle (s'il en reste ?) en moi. Je claque légèrement des dents. Quand va arriver le bus ? Je l'imagine déjà à l'envers, les 4 roues en l'air. Retour à la maison, pas de cours, motif d'absence : le bus est entendu sur la nationale. Ah, si seulement cela pouvait être vrai.
Abel joue avec la ficelle de son sweat. Il semble en pleine réflexion. Dans ces moments là, je le laisse généralement seul avec ses pensées affluantes. Je me suis toujours demandée à quoi il pouvait bien penser.
Abel est mon frère, mon frère jumeau pour être exact. Je suis née 6 minutes avant lui. J'aime le taquiner à ce sujet, lui répétant qu'il me doit respect et obéissance en tant que grande sœur.
Nous avons encore deux grands frères. Ruben, 17 ans, et Gabriel, 20 ans. Ils aiment nous traiter de bébés. J'ai rarement vu des parents transportant leurs enfants de 15 ans dans des poussettes.
Parfois, Gabriel nous emmène où l'on veut dans sa vieille Ford d'occasion. Et ça, c'est plutôt intéressant. Gabriel travaille dans un restaurant à Metz, en tant que commis. Il aimerait devenir chef de son propre restaurant.
Quant à Ruben, il passe le bac à la fin de l'année. Il n'a pas l'air encore dans l'optique des révisions. Parfois, l'envie lui prend. Il ouvre un gros manuel d'histoire et passe une heure à mémoriser des dates.
Abel, mon jumeau, est un peu différent du reste de la famille. Une différence plutôt... handicapante.
Mon frère est né sourd. Aucun son ambiant ne lui parvient. Mes parents s'en sont rendus compte lorsqu'ils ont remarqué son non-intérêt pour les jouets faisant du bruit.
Malheureusement, Abel ne pourra sans doute jamais entendre. Des appareils auditifs circulent évidemment, mais ceux adaptés à l'audition de mon frère sont hors de prix. Alors, tout le monde s'adapte.
Nous avons tous appris la langue des signes quand Abel et moi avons eu 4 ans. Une dame sourde elle aussi venait avec des images, traduisant les mots en faisant de grands gestes. Abel pouvait enfin interagir avec nous.
Évidemment, il est impossible de faire apprendre cette langue à nos professeurs. Ceux-ci se contentent donc de parler lentement, pour que mon frère puisse lire sur leurs lèvres. Il prend des notes, mais loupe quelques informations. Heureusement que sa sœur adorée aide son vilain petit canard.
Le bus pointe enfin son nez. Dommage, il n'a pas fait d'accident. Il ralentit, grinçant légèrement.
Je tapote l'épaule de mon frère et lui fait signe que le bus est là. Nous y entrons, montrant nos cartes déjà pliées à force d'être au fond d'un sac. Nous nous asseyons un à côté de l'autre. Lui du côté fenêtre, moi du côté couloir. Il aime observer les gens, les paysages. À défaut d'entendre, Abel est un excellent observateur. Un visage peut raconter de nombreuses choses, et mon frère sait décrypter chaque mimique et chaque mouvement.
J'ai les cheveux aussi courts qu'Abel, ce qui accentue notre ressemblance flagrante. Nous avons les mêmes cheveux châtains, les mêmes yeux marrons, les mêmes mains osseuses.
J'aime mes airs androgynes, j'aime avoir l'air différente. Je ne veux pas me conformer aux "normes". Pourquoi les filles sont associées au rose ? Pourquoi les garçons sont associés au bleu ? C'est plutôt idiot comme réflexion. En plus, je préfère le vert.
Après avoir passé 4 années dans le même collège, je peux affirmer avec certitude que les 13-15 ans sont odieux. Un petit groupe d'imbéciles se croient drôles à m'appeler "monsieur".
Plus horrible que le reste, c'est lorsqu'on s'en prend à Abel. Depuis quelques semaines, un petit groupe s'attaque à lui. Ils se moquent, rient, le bouscule. J'essaye de les menacer verbalement, voir physiquement, mais ils reviennent toujours à la charge. Ils sont vraiment pathétiques.
J'ai souvent essayé de réconforter mon frère, accroupi dans un coin de la cour, pleurant toutes les larmes de son corps. Ces imbéciles lui retirent toute once de confiance en lui.
Abel ne veut parler de ses problèmes à qui que ce soit. Maman serait dans tous ses états si elle l'apprenait.
J'ai déjà essayé d'en parler au directeur, celui-ci me répète à chaque fois "qu'il verra avec les surveillants". Super, pour l'instant rien n'a changé.
Le bus s'arrête devant le collège. Nous descendons et entrons dans la cour. Abel n'est pas très bavard ce matin. Mauvaise nuit ? Il a souvent du mal à s'endormir.
Juste au même moment, il m'adresse ses premiers mots de la journée :
- J'ai pas révisé pour le contrôle en arts, signe-t-il de ses mains souples.
Les autres élèves se retournent toujours lorsque nous discutons par signes. Ils ne sont toujours pas habitués à nous voir communiquer ainsi. Ça leur semble étrange, sûrement, deux adolescents faisant de grands gestes.
- T'inquiètes, t'es à côté de moi, je connais les réponses, je lui réponds de la même manière.
Il hoche la tête. Est-ce que c'est ce contrôle qui le met dans tous ces états ? Abel est brillant. Dans toutes les matières. Je passe un peu pour la cancre, à côté de lui. Je ne suis pas mauvaise, mais je n'aurais sûrement jamais son niveau.
Il semble surveiller autour de lui, vérifiant que ces petits idiote ne viennent pas l'embêter. Avec moi à côté, aucune chance qu'ils approchent. Ils m'ont déjà vu flanquer un coup de poing dans le crâne d'un gars qui n'arrêtait pas de m'appeler "la transsexuelle". Son front s'en souvient encore. J'avais eu deux heures de colle, bien méritées je l'avoue, mais au moins il ne m'a plus jamais adressé la parole.
Lorsque la sonnerie tinte, nous allons ensembles en salle d'arts. Œuvres des élèves exposées sur les murs et odeurs de peinture font de cette salle un vrai cauchemar selon moi. Trop de d'informations à accumuler, toutes ces couleurs me donnent mal à la tête.
La prof nous dépose le sujet et je commence à répondre aux questions, sentant le regard d'Abel se poser sur ma feuille de temps en temps.
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