Chapitre nº 6
Abel
Gabriel arrive avec sa Ford bleue. Il se gare dans notre entrée de garage, je l'observe depuis la fenêtre de ma chambre. Il ferme les portières avec les clefs, avant de se diriger vers la porte. Je cours pour sortir de ma chambre, traçant dans le couloir et dévalant les escaliers pour aller lui ouvrir.
Je lui ouvre et il sourit en me voyant. Il pose sa grande main sur mon épaule et me dit :
- Abel ! Comment vas-tu ?
Depuis qu'il ne vit plus avec nous, il a perdu l'habitude de parler en langue des signes. Alors il me parle normalement, sans aller trop vite.
Je souris également, heureux de le voir. Il possède un petit appartement à Metz, près de son lieu de travail. Le samedi soir est l'un de ses seuls moments de répit, et il les passe avec nous.
- Bien, dis-je avec hésitation.
Il sourit encore plus en m'entendant. Je me décale pour le laisser passer. Une fois qu'il a franchi le seuil, je referme derrière lui. Le froid commence déjà à envahir l'entrée.
Gabriel dit bonjour à tout le monde avant d'enlever son manteau. Maman le couvre de baisers, comme si elle ne l'avait pas vue depuis des années. Gabriel lui manque beaucoup, elle aimerait que nous restions tous à ses côtés pour toujours. Elle aime ses enfants autant que les psychopathes aiment tuer. C'est peut-être pas un très bon exemple.
- Je vais commencer à préparer le repas, dis maman.
- Ça te dérange si je ne t'aide pas ? Je suis épuisé... répond Gabriel.
- Ne t'inquiètes pas.
Maman sourit et se dirige vers la cuisine avec un air bienveillant. Gabriel s'assoit sur le canapé, Ruben, Éden et moi le rejoignons.
- Quoi de neufs les morveux ? demande-t-il.
- Je commence un peu à réviser... dit Ruben.
- Vraiment ? Toi, tu révises ?
Gabriel hausse les sourcils, se moquant ouvertement de son petit frère.
Enfants, ces deux là se disputaient tout le temps. Je me rappelle d'une photo où nous sommes tous ensembles, Ruben et Gabriel au premier rang. L'un tire la langue à l'autre, l'autre lui pince la main.
- Oui, je révise, poursuit Ruben. Dois-je te rappeler que tu as finis aux rattrapages ?
- Je plaisantais !
Il rit, levant les mains en signe d'innocence. J'ai un peu de mal à suivre, devant tourner la tête dès que l'un d'entre eux se met à parler. Je change de place pour pouvoir voir tout le monde.
- Et toi ? continue-t-il en demandant à Éden.
Celle-ci hausse les épaules, observant ses ongles vernis de noir. Elle regarde en l'air, comme si elle essayait de se souvenir.
- On est allés au cinéma avec Abel avant. On a trouvé une version avec des sous-titres.
Je souris un peu. Gabriel tourne sa tête vers moi, ravi. "C'est super !" s'exclame-t-il.
Le silence s'installant rapidement, Éden prend l'initiative d'allumer la télévision. Elle laisse une chaîne qui diffuse un reportage sur la forêt amazonienne, nous montrant de belles images de cette forêt luxuriante de vie. Je me cale dans le canapé, observant la végétation de l'endroit. La caméra zoome alors sur une grosse araignée plutôt dégoûtante.
Ruben claque des doigts devant moi et me désigne Gabriel d'un signe de tête.
- Tu ne parles pas beaucoup, signe celui-ci.
Tout le monde me répète ça, ces derniers temps. C'est plutôt déconcertant, parce que je ne m'en rend pas compte moi-même.
- J'ai pas grand chose à raconter, je signe à mon tour.
Je hausse les épaules, Gabriel penche la tête.
- Quelque chose ne va pas ?
Je jette un rapide coup d'œil à ma jumelle, qui me regarde d'un air de dire "je garde le silence".
- Non, tout va bien.
Je croise mes bras derrière ma tête, me faisant une sorte de coussin. Gabriel ne me demande rien de plus.
Je continue à regarder les images de forêt.
Parfois, j'ai l'impression d'être de trop. Inconsciemment, je suis mis à l'écart. Il ne le font pas exprès, mais ça arrive quand même, c'est inévitable.
Une demie-heure plus tard, maman nous appelle pour venir manger. On s'installe tous autour de la table à manger. Elle a sorti la jolie nappe jaune.
Au centre de la table, elle pose un pot contenant un gratin de pâtes. Le plat préféré de Gabriel.
- Ah, ça me fait plaisir ça ! dit-il en se frottant les mains.
On se sert chacun une assiette, et on commence à manger. C'est très bon, comme d'habitude. Gabriel semble se régaler.
Ils discutent tous entre eux, et moi je mange sans rien dire. C'est comme ça que je fonctionne ces derniers temps : je mange et je dors. Un peu comme les chats. Peut-être que j'étais un chat, dans une autre vie. Un chat sourd.
Je reprend du gratin, ce qui fait très plaisir à maman. J'aplatis les pâtes avec le dos de ma fourchette, dans mes pensées. Éden dit souvent que je me "noie" dedans. Dans mes pensées, pas dans les pâtes.
Lorsque tout le monde à fini, maman débarrasse et met tout dans le lave-vaisselle. Elle se rassoit à sa place et nous continuons de discuter.
Gabriel nous parle d'un de ces collègues particulièrement agaçant, Ruben se plaint du stress que ses professeurs lui inculpent, Éden demande si elle peut se teindre les cheveux en verts (la réponse est négative, évidemment), Gabriel surenchérit en disant que ça lui irait bien (la réponse est toujours négative).
Le ventre bien rempli et la tête pleine de souvenirs de cette journée forte en émotions, je commence à piquer du nez. Mes paupières me paraissent très lourdes d'un seul coup. J'appuie ma tête sur ma main.
- Ça va mon chéri ? Tu veux monter ? signe maman.
Je secoue la tête, je veux rester ici à les observer parler. Je pose carrément ma tête sur la table, ils me regardent tous avec des yeux ronds.
- Un peu fatigué... dis-je.
Éden rit un peu et me décoiffe.
- Ta voix est insupportable.
À mon tour de rire. Éden reste et restera la personne qui me comprend le mieux.
Parfois, je me demande ce que je ferais sans elle. Cette pensée m'est inimaginable. J'appréhende le jour où nous serons séparés.
Voyant que je commence vraiment à m'endormir, je me lève et salue tout le monde.
- À plus petit frère, me dit Gabriel.
Je souris doucement, lui faisant un petit au revoir de la main.
Je monte les escaliers, traînant le pied jusqu'à ma chambre. Je referme la porte derrière moi, et me change rapidement. Après cela, je me glisse sous ma couette. Je sers mon oreiller contre moi et ne tarde pas à sombrer dans un profond sommeil.
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