Chapitre 21: Secrets bien gardés

- Comme nous l'avons vu la semaine dernière...

Mon professeur de français commence à parler et j'écoute attentivement. J'adore. Franchement.

Pourquoi j'ai pris S déjà? Ah oui, parce que je me disais qu'une jeune fille qui fait S, c'est mieux que L.

Et quand est-ce qu'on fait ce qu'on veut sans avoir peur du jugement des autres?

Je mordille mon stylo, cherchant la réponse à cette question absolument existentielle, tout en enregistrant les informations donnés par Mr Dupont, ce petit homme trapu à la chevelure très dense et qui m'a fait joué Roméo et Juliette il y a bien un mois de ça.

- Eh, pssss, Cass'!

Je lève les yeux au ciel et me tourne vers mon copain. Il me fait un grand sourire. Je hais quand il me sourit. Toutes traces de haine, de colère ou d'envie de le frapper à coup de règle s'envolent aussitôt, à mon plus grand désarroi. Néanmoins, je garde les yeux plissés, pour lui montrer mon mécontentement.

- Tu veux quoi?

Son sourire s'agrandit.

- Savoir si tu es avec nous demain soir.

Aïe. Théoriquement oui. Comme convenu avec Jeanne, j'irai dormir chez elle. En allant d'abord au bar. Et en rentrant des cours, il faudrait que je joue le grand jeu, car il faut que ce soir-là, ma mère me laisse dormir chez Jeanne. Sans quoi, toute cette organisation ne servirait à rien.

- En toute logique oui. Sauf si un imprévu s'incruste. Mais normalement, tout-va-bien-se-passer!

J'ai martelé ces derniers mots autant pour le convaincre lui que pour me convaincre moi. Il me fait un petit sourire et j'y réponds avant de me remettre à écouter le cours du professeur. Je note ce que je juge intéressant ou important, le reste s'enregistre tout seul. Merci la mémoire auditive!

Jeanne quant à elle, est à deux doigts de piquer du nez.

Je lui donne un coup de coude et elle se redresse en un léger sursaut, l'oeil vitreux.

C'est beau le dynamisme.

- Fais pas la marmotte, si tu te fais coller, y a aucune chance que je puisse dormir chez toi ce soir! chuchoté-je, la tête rentrée dans les épaules pour je ne sais quelle obscure raison.

- Cassandre, si vous pouviez imiter votre voisine et vous taire, ce serait bien, me lance le professeur de français alors qu'il écrit au tableau.

Quoi?! Mais je rêve! Jeanne avait de la bave visqueuse qui lui coulait sur le menton et alors que dans mon devoir d'élève modèle, je la rappelais à l'ordre, je me fais réprimander à sa place!

Vexée, je deviens rouge tomate et plonge ma tête dans mon cahier, mes lèvres faisant une moue boudeuse.

- Jeune rebelle, glisse Sébastien dans mon dos en riant sous cape.

Je me retourne pour lui montrer que sa remarque ne m'a pas fait rire et aussi pour lui en mettre une quand Mr Dupont lance sèchement à mon adresse:

- Si vous ne vous calmez pas dans la minute, vous serez priée d'aller rejoindre notre chère directrice dans son bureau!

- Alors là, c'est un peu fort en café! m'exclamé-je.

Grand blanc dans la salle.

Un silence si silencieux que même le silence pourrait paraître assourdissant.

- Mais c'est quoi cette expression de mamie!

Guillaume éclate de rire, suivit de deux, puis trois personnes. Et c'est toute la classe qui part dans un fou rire général. Sauf moi. Bien sûr, ce genre de trucs n'arrive qu'à moi. Youhou.

Mr Dupont semble tellement choqué par mon langage, qu'il a les yeux aussi ronds que ceux de Garfield quand il voit une opercule de yaourt.

Je viens vraiment de comparer mon prof de français à mon chat?

Pourquoi j'ai pas de vie sociale?

Le cours reprend après que la classe ce soit calmée. Et pendant toute l'heure, Jeanne me lance des petits coups d'oeil amusés et mon petit ami ricane dans mon dos.

À la fin de l'heure, je quitte la salle pour me diriger vers le self. J'ai faim!
Sébastien me rattrape au pas de course, ma meilleure amie derrière lui.

- Fais pas la tête Cass', c'est mauvais à ton âge, me raille Jeanne en rigolant.

Je réajuste mes lunettes sur mon nez, de mon air le plus snob possible.

- Dis grand-mère, tu as pensé à ton dentier? plaisante Sébastien avant de taper dans la main de Jeanne qui ricane.

Je marche un peu plus vite et là, illumination: je vois Guillaume discuter avec un ami à lui, adossé à un mur. Et presque en courant, je me plante devant lui. Je lui fais un grand sourire. Il me regarde en haussant un sourcil, l'air perplexe. Ah oui. Y a de quoi. Une fille qui se met devant toi et te regarde fixement en étirant les lèvres, et sans dire un mot, c'est assez euh... Bizarre?

- Salut.

Je lui fais la bise, sous le regard de tueur en série spécialisé dans l'attaque sauvage et sanglante de mon copain. Il m'a cherché, il m'a trouvé.

Na.

Le bad boy - je trouve que ça lui va plutôt bien - répond à mon élan de sympathie, le regard tout de même méfiant. Je le comprends, il y a de quoi.

- Bon ben à plus.

Je m'éloigne et fais mine d'attendre les deux autres. En arrivant, Jeanne me fixe d'un air médusé et Sébastien boude. Nous reprenons notre parcours vers le self où se dégagent des odeurs alléchantes de poissons périmés et d'oeufs pourris qui embaument les alentours.

Mon bel italien n'a pas ouvert la bouche. Je commence à paniquer un peu. Il me fait vraiment la tête?

- Ah tiens, y a mes potes là-bas, à tout à l'heure!

Quoi? Je le vois tourner les talons pour partir (ou s'enfuir) vers ses amis.

- Et à compter de cette heure, Miss Miles se retrouve célibataire, déclare d'une voix basse ma meilleure amie.

Ah oui mais non! Jamais! J'ai pas autant galeré pour me retrouver celib' après aussi peu de temps! Et alors que je commence à vouloir le rejoindre, Jeanne m'agrippe le bras.

- Fais pas ta forceuse! Laisse le aussi avec ses amis! Sinon au bout d'un moment, il va finir par croire qu'il a rien dans son pantalon...

Je la regarde, le yeux ronds, les sourcils froncés et les narines grandes ouvertes.

Devant cette tête épique de lapin crétin et de chat mutant, ma meilleure amie aurait pu sortir son téléphone, prendre une photo sur Snapchat et m'afficher devant ses cinquante amis. Mais non, elle est trop gentille. Elle fait que me regarder avec une espèce de pitié mêlée à de la perplexité. Elle continue pourtant:

- Il passe son temps avec des filles, c'est à dire toi, moi et parfois Axelle. Je pense que de se retrouver avec des personnes qui s'écrasent les omoplates avec la main en signe d'amitié et qui parle des fesses des filles de leur classe ne va pas lui faire de mal. Bien au contraire. Alors viens!

Pas tellement rassurée par les explications de Jeanne, je la suis néanmoins jusqu'à la cantine. Et alors que nous nous apprêtons à passer le long couloir sombre menant au réfectoire, ma meilleure amie se fait interpeller par une fille. Nous nous retournons en même temps pour tomber sur Salomé, une fille rondelette au visage parsemé de tâches de rousseur, aux yeux verts en amande et à l'opulente chevelure blonde.

- Je peux manger avec vous? Mes amies sont sorties aujourd'hui et je me retrouve seule... Sauf si ça vous dérange bien sûr!

Avec plaisir nous acceptons sa présence et c'est à trois que nous nous dirigeons vers les plateaux à la triste couleur grise et vers les couverts lavés semble-t-il, pour la dernière fois au dix-huitième siècle. Après avoir été réutilisé plusieurs dizaines de centaines de fois bien sûr.

Je m'empare d'une salade verte avec quelques bouts de ce que je pense être du fromage et des cubes de jambon. Ou de la moisissure et des bouts de doigts.
À vrai dire, je suis assez mitigée. Viens ensuite les desserts où j'attrape avec une vitesse déconcertante un éclair au chocolat.
Éclair, vitesse... Même cette blague est pas drôle, je ne ris pas. Pourtant je suis très bon public.

Quand arrive le moment de choisir son plat chaud, je manque de défaillir: julienne de légumes, riz, et poisson baignant dans un jus à la couleur déconcertante.

Les trois pires choses qu'il puisse y avoir dans une cantine.

Néanmoins, je pense ne pas faire le plus terrible des choix en prenant le riz.

Jeanne nous entraîne à travers un dédale encombré de tables où discutent à voix haute des personnes aux problèmes vraiment horribles, tel que la couleur du vernis de la soeur de Bernie ou la coupe de cheveux de Kev Adams.

Nous nous installons finalement à une petite table ronde et commençons notre repas sans mot dire. Puis Salomé prend la parole.

- Les mecs, ça craint.

J'hausse un seul sourcil - eh ouais, que voulez-vous, c'est ça la classe - Et l'interroge du regard. Elle reprend:

- Bah ouais, ils parlent que de ça!

- C'est pas vrai, je parle de tout avec Sébastien! Il n'y a...

Je me mords la langue pour éviter d'en dire trop mais déjà les regards convergent vers moi et je devine que j'en ai pas assez dit. Je mastique un bout de salade pour essayer de gagner du temps avant de capituler devant leur insistance muette.

- Un soir, c'était assez tard, et il m'a demandé si j'avais déjà fait des trucs un peu... Voilà quoi!

Salomé lâche un petit cri et met une main devant la bouche.

- Et qu'est ce que tu as répondu? Tu lui as parlé de Florent en troisième? demande précipitamment Jeanne, curieuse.

Je deviens rouge ketchup et plonge le nez dans mes bouts de doigts et de moisissures. Florent avait été mon coup de foudre en troisième et je l'aimais autant que j'aimais Sébastien avant. C'est-à-dire avec un amour basé sur la beauté physique et accessoirement, celle du coeur. Néanmoins, Florent était un véritable ange, un gars toujours super gentil et très à l'écoute. Et une fois...

- C'est qui Florent? couine la blonde, toute excitée d'apprendre un nouveau potin.

- Un de ses ex, lâche ma meilleure amie sans me quitter des yeux. Alors?

Mal à l'aise, je parviens tout de même à articuler un "non" silencieux.

- Mais pourquoi! explose-t-elle tout à coup. Me dit pas que c'est parce que ça te gêne?

Je réponds dans un souffle:

- Bien sûr que non! Seulement c'est pas bien important!

Beurk. Du sable sur une feuille de salade. Je la recrache dans mon assiette de riz et me rince la bouche avec de l'eau.

- Pas important ? T'avais quand ni tee-shirt , ni jean face à lui hein!

Je m'étrangle avec l'eau au moment où elle balance ça comme si de rien n'était. Au moins on associera la rougeur de mes joues au fait que je m'étouffais et non que des images me revenaient brusquement en tête lors de mon autopsie, à ma mort.

- Putain Jeanne, tu connais le terme de confidentialité! Je raconte pas ta vie intime à tout le monde moi!

Elle rougit brusquement. En dehors de Sébastien et moi, personne ne sait pour son homosexualité. Elle se met à tripoter une mèche de cheveux et brusquement une image me reviens en tête: ma meilleure amie qui se faisait toucher ses sublimes bouclés par un garçon dans le bus puis ce même garçon avec qui elle avait dansé à la soirée d'Alexandre.

- Au fait Jeanne, ça se passe comment avec Tristan? fait Salomé, avec un drôle de petit sourire.

- C'est qui Tristan? demandé-je, étonnée.

La blonde secoue la tête, comme si c'était évident.

- Bah c'est son copain! Tu sais, ils font théâtre ensemble... Même qu'ils se sont embrassés pour la première fois sous nos yeux. Tu te souviens Jeanne? Puis tu l'as forcément vu, a ce qu'il paraît il a dansé avec elle durant la soirée d'Alexandre! Tu sais, c'est un gars de sa taille, blond aux yeux marrons avec un peu de barbe, les cheveux en bataille et des lunettes de geek... Comme les tiennes!

La nouvelle me fait l'impression d'une douche froide. C'est bien lui. Le gars du bus et de la soirée. Son petit copain. De un, ma meilleure amie sort avec de personnes en même temps. Et de sexe opposés en plus. Mais de deux, elle ne m'a rien dit. À moi. Sa meilleure amie.

Une boule dans la gorge, je fais mine que ça m'est sorti de la tête tout en adressant discrètement un regard meurtrier à ma meilleure amie. Elle a intérêt à avoir une sacrée bonne excuse. Mais vraiment.

Le repas se termine sans encombre et à peine nous quittons le réfectoire que j'embarque Jeanne avec moi, laissant Salomé derrière nous. Rien à foutre.

Une fois arrivées dans un coin que je juge tranquille, je me plante devant la belle métisse, les bras croisés autour de la poitrine.

- Alors? lancé-je d'une voix sèche, les lèvres pincées.

Elle baisse la tête, honteuse.

- La vérité, c'est que je suis bi. Et que j'aime deux personnes en même temps. Je sais ce que tu vas dire: c'est pas bien. Mais c'est pas comme si je jouais avec leurs sentiments merde! J'aime les deux. Axelle est une fille qui me permet de réfléchir, de prendre mon temps, d'avoir un équilibre. Tristan quant à lui émoustille mes sens, me fait resentir des choses incroyables et me fait vivre dans l'urgence... Et ils sont tous les deux adorables... Et indispensables. Je ne sais pas qui choisir Cassandre. Et le pire, c'est qu'un des deux va devoir souffrir alors que je les aime autant l'un que l'autre...

Elle éclate en sanglots et je la prends dans mes bras. Et tout en la rassurant, je vois au loin Sébastien parler avec Mélissa. Cette sale peste avec mon petit ami. Mon coeur se serre à nouveau. Aurait-il également un secret qui jusque là me serait inconnu?

Je n'ai aucune excuse.

Ça fait super longtemps que je n'ai pas publié et je tiens à m'excuser. Mais vraiment.
C'est juste qu'en ce moment, avec les cours et la fatigue, inspiration à 0%.

Bref!

J'espère que ce chapitre vous aura plu et je tiens à vous dire que ça fait un an que j'écris cette fiction!

Un immense merci à vous les lecteurs et/ou abonnés mais également à certaines personnes qui m'accompagnent sur Wattpad depuis plus ou moins longtemps et que j'apprécie beaucoup:

Flouce, booker92, Drawords, -FallOutDragons-, ClaraLeKitsune, Morganou19, DreamWithYou_ et bien dauyres encore...

Merci à vous tous! ❤

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