Chapitre 56

PDV Biana

Nous nous mîmes en route pour la chambre de la défunte dans un silence à la fois lourd de peine et excité par la dernière apparition de Paolina. Mais à chaque pas que nous faisions, à chaque couloir dépassé, à chaque souffle expiré, Keefe ralentissait. Quand nous n'étions plus qu'à quelques couloirs de la pièce tant espérée, il avait tout à fait arrêté de marcher, livide et les bras ballants, tendu, son regard résolument fixé sur le sol. Sophie le rejoignit, inquiète, ils conversèrent quelques secondes puis elle revint vers nous.

— Keefe n'arrive pas à aller plus loin... Je vais rester ici avec lui.

Elle retourna le voir, en envoyant un sourire gêné dans notre direction. Lui et elle se laissèrent glisser le long du mur et se mirent à parler doucement. Ou plutôt, elle lui parlait doucement, lui semblait vraiment mal, la tête posée entre les genoux.

Tam rompit le petit silence qui nous avait entourés :

— Je ne me sens pas vraiment dans mon assiette moi non plus.... je les rejoins. Désolé.

— Pareil, dirent en même temps Linh et Dex. Chips ! Double chips !! Renchérirent-ils sans plus s'occuper de moi, un poids pesant dans leurs voix alors qu'ils s'efforçaient de paraître joyeux.

— Bon eh bien... j'imagine que j'y vais.... Murmurai-je plus pour moi-même qu'autre chose, captant le regard navré de Tam un peu plus loin.

En définitive, je suis la seule à y aller, mais bien que je sente que c'est ce que je dois faire, une grande force oppressante m'envahit à mesure que je marche. Je comprends mieux pourquoi ils ne voulaient pas aller plus loin, ce couloir sombre semble complètement hanté par des forces obscures, et bien que moi je sache qu?il n'en est rien, le résultat est tout de même terrifiant. Mais si moi je n'y vais pas, qui en sera capable ?

J'ai l'impression d'être une héroïne extraordinaire à penser de la sorte...

Cette manière d'agir comme une dirigeante, c'est Paolina qui m'a — sans le vouloir j'imagine bien — influencée, avec ses dernières paroles, qu'elle a prononcées juste avant de mourir. Elle était là, au creux des bras de Sophie, belle comme une poupée de porcelaine, et elle m'a chuchoté dans l'oreille, avec si peu de force que mon cœur avait chaviré :

"Ne montre pas le deuxième aux autres si tu n'en as pas envie, mais tu sera obligée de le faire à un moment donné.... — elle avait repris une respiration à l'air très laborieuse — si tu ne veux pas les perdre. C'est ton choix."

Je commence lentement à comprendre de quoi elle m'a parlé, je dois avouer que ces mots me hantent depuis ce fameux jour, mais " le deuxième", cela signifie qu'il y a deux carnets ? Ou même plus ?

C'est bon, je suis arrivée à l'entrée du dernier couloir. Il y fait très sombre, la fenêtre est tout au bout et il n'y a qu'une seule issue à part elle et la porte de la chambre : de là d'où je viens. Ladite porte est seule au milieu de ces deux murs assez bas et nus, il n'y a étrangement aucune décoration ni pièce aux alentours, c'est la seule que je croise depuis que les autres m'ont quittée. Faite de cristal aux reflets noir parsemé d'éclats d'améthyste, cette représentation de richesse sur la seule porte de sa chambre a dû la faire râler la première fois qu'elle l'a vue... Et la clenche ronde, en verre coloré... Oui, elle a bien dû protester pour quelque chose de plus simple. Bah, à princesse chambre de princesse, j'ai envie de dire...

Retarder ce moment ainsi est puéril et ne mène à rien. J'entre.

Ni grande ni petite la pièce est comme un demi globe, ronde. J'ai l'impression d'être dans une grotte, c'est agréable. Les murs en cristal gris anthracite laissent doucement passer la lumière du jour par leurs nombreux reflets, imitant d'une certaine manière ceux de l'eau. Le lit, situé au centre de la pièce, est immense, les draps ont l'air si fluides que l'on croirait voir des vaguelettes d'où je suis.
Je n'ose pas m'avancer, ne serait-ce pas... une insulte à sa personne de venir au centre ?

Non, elle me l'a demandé...

Cette atmosphère est bien trop lourde...

Je décide de faire quelques pas, pour faire taire les réticences de mon esprit et pour en finir rapidement. Même si cette pièce est magnifique, je ne veux pas m'attarder.

Étrangement, je le remarque en m'avançant un peu vers le bureau, il n'y a aucun objet personnel qui lui rappellerait sa vie d'avant ou celle qu'elle a vécue avec nous. Les meubles sont recouverts d'une fine couche de poussière et la lumière semble n'avoir jamais été allumée, le tapis évoquant les remous de l'eau n'a semble-t-il pas été touché une seule fois lui non plus, et seul le bureau en coquillage porte un quelquonque signe de vie par deux carnets posés l'un sur l'autre, parfaitement droits.

" Tiens-toi droit Gamin ! Apostropha l'ancienne en donnant une grande tape dans le dos de Mr.Forkle qui nous faisait un topo sur les moyens d'alerter les membres du Cygne Noir en cas d'attaque des Invisibles.

— Aïe ! Mademoiselle, je ne vous permets pas...

— Alors je me permets. Et puis, excuse-moi si, malgré toi, le grand et magnifique-

Mr.Forkle lui sauta presque dessus pour la faire taire, furieux.

— Roh, si on ne peut même plus rigoler... Gamin, avait terminé Paolina en s'éloignant dans le couloir, Keefe et Ro sur les talons lui suppliant de livrer le nom du mystérieux pseudo-dirigeant de l'organisation. "

Je fis malgré moi un sourire nostalgique à ce souvenir, mais je me souvins qu'elle avait pris un bouton sur la cape de notre cher représentant du Cygne Noir ce jour-là, il avait d'ailleurs râlé à ce sujet quand elle s'était volatilisée on ne savait où avec son prodige et sa garde du corps — même maintenant je ne saurais dire où ils sont allés.

Ce bouton est forcément quelque part...

Mettant de côté ma répugnance de toucher aux affaires lui ayant appartenu, même si elle refusait tous cadeaux, je me mis à ouvrir les tiroirs des commodes, à soulever les coussins des canapés et fouiller chaque petit endroit qui pourrait contenir ce fameux bouton. Je sais qu'elle l'a pris, je l'ai vue le regarder quelques jours après cet incident en s'étant bien sûr assurée que son ancien propriétaire l'avait oublié.

Cette tenture cacherait-elle par hasard...

Je fis tomber le tissu soyeux, laissant voir... un immense dressing et une salle de bain attenante. Je fus immédiatement sûre qu'elle n'avait pas mis la moitié de ce qui se trouvait là, même pour moi c'eût été trop. Je commençai à promener mes mains doucement derrière les vêtements soyeux, trouvant de temps à autres des chaussures cachées, ou des fioles de maquillage. Elle ne devait pas avoir le cœur de jeter des cadeaux, alors elle les cachait au moins, pour ne plus avoir à les voir...

Ma main rencontra enfin les contours d'un énorme livre relié, en passant derrière le rideau de la coiffeuse qui avait une unique brosse en son centre. C'était là que Keefe avait dû prendre le cheveu pour sa plantation. Mais ce livre... Il est lourd. Très lourd. Et ne doit certainement pas être trouvé...

Mais la connaissant, si elle ne voulait pas qu'on le trouve, elle aurait dû le mettre dans un lieu vraiment introuvable, ou le détruire...

Je soulevai la première de couverture en tremblant légèrement. La première page était blanche, complètement vide. Seule l'inscription "à toi" était visible, en haut à droite. Aucun autre titre, juste cela.

À qui ? À qui aurait-elle pu laisser un livre très lourd sans intitulé ?

Je vérifiai rapidement au dos : il n'y avait en effet pas de titre, ni de résumé pouvant m'éclairer sur son contenu. Je soulevai donc la première page pour accéder à la suivante, et je découvris de petites alvéoles découpées dans le papier pour contenir de petits objets, tels des boutons, des bouts de papier peint, des fioles aussi larges que l'ongle... À côté de chaque élément se trouvait un petit message, souvenir, ou juste anecdote rigolote liée à l'objet. À la fin de chaque petit paragraphe, une signature, toujours la même : Bien à toi, ta Pao qui pense à te retrouver.

L'impression de violer quelque chose d'intime me frappa de plein fouet, et je refermai le livre violemment, honteuse d'avoir lu ces quelques passages sur seulement la première page. Je replaçai l'ouvrage dans sa cachette avec soin, puis fuyai dans la pièce principale en vitesse, me sentant oppressée dans cet espace beaucoup trop calme. Je me penchai donc sur les deux carnets posés sur le bureau, eux non plus sans intitulés. La peur de découvrir encore quelque chose de personnel me submergea à nouveau, mais je luttai pour ne pas m'enfuir de cette chambre bien trop stressante.

J'ouvris le premier avec prudence. Une lettre de Paolina à l'intention de Keefe, bien cachetée que je m'interdis d'ouvrir, le carnet expliquant comment apprivoiser le talent de "lecteur" qu'elle lui avait offert lors de ses dernières heures.

Cela aurait pu être banal, si elle ne l'avait pas écrit entièrement elle-même.

J'ouvris le deuxième sans plus réfléchir, ma confiance retrouvée, qui s'évapora à nouveau en voyant l'intitulé à l'intérieur. Je le refermai d'un claquement sec et le cachai dans ma poche intérieure, heureusement assez large. Les autres ne devaient pas lire ça, et moi non plus.

Sous aucun prétexte.

PDV Keefe

Je me sens mal. Si mal. J'ai eu l'occasion de lui parler encore une fois tout à l'heure, de pouvoir l'étreindre... étreindre son corps gelé, bien trop similaire à la sensation d'un courant d'air. Cela m'a brusquement fait réaliser que oui, elle était là, mais que la vie avait emporté loin d'elle sa douce chaleur réconfortante, qui me calmait dans les moments difficiles. Je ne comprenais pas un mot de ce qu'elle racontait, mais j'ai entendu mon nom, et qu'est-ce que cela fait du bien de l'entendre le prononcer avec cet accent qui sonne l'ancien, qui sonne qu'elle est à la fois identique et tellement différente d'avant... ou d'après...

Je ne suis plus sûr de rien.

Je ne la reverrai plus jamais, elle est partie pour de bon cette fois-ci, et cela pince le cœur de le réaliser, de réaliser que cette personne adulée pendant des semaines, des mois, cette personne qui pouvait faire rire avec seulement deux mots, sans même le faire exprès, cette personne avec un rire, une voix, avec un regard perçant et lourd de sens en toutes situations, cette personne qui a tout arrangé en si peu de temps, cette personne qui savait écouter, cette personne si réservée qu'elle pouvait disparaître du paysage sans savoir que sa présence nous manquait, cette personne qui, même si on le réalise toujours trop tard, à disparu à jamais. Cela pince le cœur de le réaliser, oui, ça le tord dans tous les sens, le balance contre les murs, le griffe et le piétine, le jette au feu puis l'enfouit au fond de la mer, le fait suffoquer et l'alourdit de quinze tonnes dans la poitrine ; je ne sais pas comment les humains peuvent se dire que ce sentiment, d'impuissance est de douleur extrême peut être ressenti durant la vie et être considéré comme normal. Comment peuvent-ils se dire que c'est la vie, que quand quelqu'un disparait pour toujours ils sont heureux pour lui ?

Durant l'une des visites de Sophie à mon chevet cette semaine, elle m'a parlé des humains et de ce qu'ils font quand quelqu'un meurt. Mais c'est déjà un problème, que la personne meure. Et que les humains envisagent de faire quelque chose après en est un encore plus grand. Non, la vie s'arrête quand Paolina décède, c'est tout ! On ne peut pas vivre sans elle ! C'est impossible !

Mais pire que tout, Sophie m'a dit de ne pas trop y penser, et de me changer les idées. C'est ainsi qu'elle a fait pour la mort de sa grand-mère, il y a bien longtemps m'a-t-elle dit. Comment a-t-elle pu vivre ou ne serait-ce qu'imaginer sa vie sans cette personne, qui apparemment était incroyable ? Je ne sais pas. Cette impuissance me dégoûte.

Son errant, que j'ai eu l'honneur de planter en tant que membre de sa famille — nous avons en effet pu remonter son arbre généalogique à Candlesgade tous les deux, et c'est bien l'une de mes ancêtres — m'a beaucoup éprouvé, car j'étais dévasté par le chagrin et devais m'efforcer de faire bonne figure devant les Conseillers et le peuple elfique. Voir tous ces gens-là pleurer m'a révolté, car c'étaient ces mêmes gens qui la critiquaient à Foxfire quand ils la voyaient dans les couloirs, ou qui la regardaient de travers quand on se promenait en Atlantide et qu'elle disait des mots grossiers sans s'inquiéter d'être étendue. Ces gens sont des hypocrites, je pense. Mais j'ai aussi pu voir de très près l'arbre reflétant ma défunte mentore. J'ai compris, après des heures à contempler mon miroir, pourquoi les baies de son errant, sa représentation végétale, étaient mi-bleu glacier, mi-bleu nuit. C'est tout bêtement la couleur de mes yeux et de ceux de Kyo, son petit-ami. Que j'arrivais d'ailleurs à voir sans miroir avant qu'il ne disparaisse avec Paolina, alors que les autres fixaient le miroir pour savoir ce qu'il se passait.

Je ne pense pas être médium pourtant... sauf si le bluff que j'ai tenté tout à l'heure était crédible, je peux prendre cette hypothèse comme acquise.

Quand j'ai dit qu'on allait chercher les carnets, je l'ai dit sans réfléchir. Je voulais faire passer en moi ce sentiment de vide et cette forte envie de pleurer, alors j'ai dit ça complètement au hasard. J'aurais pu dire "allons manger des boumobeurres" que je n'y aurais pas plus réfléchi. Mais à l'approche du lieu fatidique, je me suis dégonflé. Une ambiance terriblement glauque se faisait ressentir dans les derniers couloirs, je savais que je ne devais pas y aller. C'était ce point dans mon cœur, dans ma tête, qui m'interdisait d'aller plus loin. Même si cela me fait passer pour un énorme trouillard, d'ailleurs. Les autres aussi n'y sont pas allés, peut être ont-ils la même impression sur moi ou bien s'en fichent-ils ? Non, nous étions tous dévastés à sa mort, ce serait illogique. Mais tant que je peux avoir le joli visage de Sophie qui tente de me réconforter devant moi, je veux bien être un trouillard. Un trouillard heureux.

Je ne suis pas entré dans la chambre depuis que j'ai été chercher son cheveu pour sa plantation, rien n'a bougé. J'ai demandé aux gnomes de ne pas y mettre les pieds. De toute façon, elle n'avait rien quand elle est arrivée, rien quand elle est restée, rien quand elle est partie. Une voyageuse d'un autre temps, subissant ses voyages sans fin et incertains. Elle avait la manie de refuser tous nos cadeaux ; elle n'en voulait pas, prétextant que ce n'était pas la peine et que nous ne devions pas gaspiller — elle a bien utilisé ce terme oui — notre argent dans le but de lui faire plaisir ou de la contenter dans le fait qu'elle était notre amie.

MAIS POUR ELLE, TOUT VAUT LA PEINE, JE NE COMPRENDS PAS POURQUOI ELLE TENIT TANT À SE DÉNIGRER, NE COMPRENAIT-ELLE PAS QU'ELLE ÉTAIT L'UNE DES PLUS BELLES PERSONNES SUR CETTE PLANÈTE ?!

Sauf qu'on ne pourra jamais lui dire, parce que maintenant c'est trop tard.

La belle elfe devant moi interrompit le cours chaotique de mes pensées.

— Keefe ? Est-ce que tout va bien ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette...

— Oui, tout va bien... mis à part le fait que je me suis dégonflé comme un lutin... Marmonnai-je en fourrant ma tête dans mes genoux.

— Si tu veux, je peux rester ici cette nuit.. ? Hasarda-t-elle d'une façon si mignonne...

— Je ne peux pas refuser à une demande aussi charmante, répondis-je en caressant discrètement sa joue, de peur que les autres ne nous voient — qu'ils soient au courant de notre relation ne me dérangeait en soi pas tant que ça, au contraire, mais elle tenait à ce qu'on reste discrets lors soit. Mais que vas-tu dire à tes parents ?

— Ils ne sont pas là ce soir.... Mission commune pour le Conseil.

Biana revint de la chambre, légèrement plus rapidement que lorsqu'elle s'y rendait.

— Alors ? Demandâmes-nous tous en même temps.

— J'ai trouvé un carnet sur son bureau, fit-elle en nous le tendant. Il est destiné à Keefe pour le talent de
"Lecteur"...

J'étais bien trop axé sur l'objet qu'elle me tendait pour prêter attention à ses émotions....

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Heya.

Dsl pour pas avoir posté.

Vous me connaissez....

Flemme.... Flemme.... Occupée..... Flemme....

Pour ceux qui jouent à Fortnite, vous saurez qu'il y avait une compétition.....

QUE J'AI PAS PU FAIRE PARCE QUE MA SWICH NE VOULAIT PAS !!!!!

Hem hem.

Donc j'aurais pas le skin..

Ouin.

Comment trouvez-vous ce chapitre et la tournure que prend l'histoire ?

A demain mes pommes de terre !

Date de la NDA : 23/08/2020

Date de réécriture : 9/06/2021

Date de réécriture finale : 11/02/2022

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