Chapitre 19

PDV Keefe

— Mais ne t'en fais pas, tu apprendras à gérer tes émotions, tu es empathe après tout... Tu ne tueras normalement pas. Ta raison est là pour te limiter après tout, ajouta-t-elle rapidement en feignant un sourire — très réussi je l'admets, mais la phase étrange qu'elle vient d'avoir ne m'a absolument pas échappé. Et puis avec un peu de chance, l'apprentissage de ce talent améliorera ta vie... Oui...

Euh... Qu'est-elle en train de me faire ? Est-ce habituel chez elle d'avoir des absences pendant les conversations ?

— Mais qu'est-ce que tu racontes ?

— Hein ? Paolina arrêta de fixer le vide et se tourna vers moi. Que disais-je ?

— Je ne sais pas. Tu as dit que ce talent m'aidera dans ma vie future, et tu t'es répondue « oui » d'une façon très alarmante, serais-tu du genre à parler à ton ombre ?

— Oh, non non. Excuse moi. En attendant, j'ai trouvé comment te faire travailler sans bouger parce que j'ai la flemme, changea-t-elle de sujet.

— Qu'est-ce que la flemme je te prie?

Elle me regarda d'un drôle d'air, puis soupira, visiblement très lasse.

— Un terme humain pour dire que tu n'as pas envie, voilà tout. Que cette action t'ennuie à l'idée même de l'accomplir.

Elle sembla sur le point d'ajouter quelque chose mais se reprit, retrouva son regard espiègle et se tourna vers moi.

— Je vais te voler ton empathie et tu vas devoir me la reprendre.

— Ce n'est pas très aimable dit comme ça, plaisantai-je. Et si je n'y arrive pas ?

— Tu y arriveras. Magne-toi, s'impatienta-t-elle en tapant du pied.

— Mais tu ne me l'a pas pris... ou alors tu es très discrète, je ne sens rien.

— J'attends que tu te lèves imbécile.

Oui, dit comme ça c'est logique.

Je me levai pesamment et elle claqua des doigts. Je sentis aussitôt un grand vide dans mon corps entier, comme si ma raison d'être avait totalement disparu, envolée, volatilisée et qu'un grand froid l'avait remplacée, seul, engourdissant légèrement mes muscles les secondes passant.

— Ça fait un peu mal... Me plaignis-je en maintenant mes mains crispées sur mon cœur, comme si j'allais pouvoir rattraper mon talent par ce biais.

— Tu vas t'en remettre. Reprends-le-moi maintenant. J'ai baissé mes barrières mentales au maximum, tu devrais y arriver sans problème.

— On a besoin de passer les barrières mentales ? M'étonnai-je.

— Évidemment, tu ne vas pas le trouver dans les pieds de l'adversaire. Bon, tu me le reprends ou pas ?

— Je ne vois pas vraiment comment faire en fait, l'éclairai-je. N'as-tu pas un mode d'emploi, ou quelque chose qui pourrait me faire comprendre ce que je ne saisis actuellement pas ?

— Fais comme si ton talent était de couleur euh... bleue. Représente-le-toi comme une petite balle d'énergie qui est dans mon torse, au niveau du cœur. Et essaye de la prendre en faisant un clin d'œil.

Je m'exécutai, mais sans grand succès, puisque la seule notion de « balle d'énergie bleue » m'échappait d'ores et déjà. En essayant de la visualiser, le creux dans mon estomac se faisait plus profond et douloureux, m'empêchant de me concentrer.

— J'y arrive pas, geignis-je en me frottant les yeux pour me reconcentrer.

— Réessaie ? Suggéra-t-elle avec sarcasme en roulant des yeux.

Tu n'as pas l'air de comprendre quel sentiment je vis actuellement et tu as bien de la chance...

Nouvel essai, nouvel échec. Aucune sensation ne m'envahissait de quelque manière que ce soit, je me sentais simplement et atrocement...

Vide.

Je me refrottai les yeux plus fort, un sifflement pénible ayant également envahi mes tympans. Paolina fronça les sourcils, comprenant sûrement enfin que quelque chose n'allait pas.

— Tout va bien Coco ?

J'ouvris la bouche pour répondre par l'affirmative, mais aucun son n'en sortit, et mes yeux s'écarquillèrent d'eux-mêmes.

Pourquoi je fais ça ?

— Coco ? Redemanda la jeune fille en s'approchant d'un pas et penchant la tête.

Elle a l'air... inquiète. Ça me fait mal de continuer, je sais que ça ne sert à rien, j'en suis parfaitement au courant, mais je ne sais pas pourquoi...

— Et si je ne l'avais pas ? Dis-je dans un murmure, mes yeux arpentant le sol à mes pieds.

Une minute, quand ai-je baissé la tête ?

Elle sursauta légèrement et ouvrit grand les yeux, comme frappée par une évidence soudaine.

— Je vois où est le problème. Ne bouge pas.

Elle s'approcha de moi, mit ses mains sur mes épaules, redressa ma tête et posa son front sur le mien. J'étais tellement apathique que je ne songeai même pas à me sentir gêné par sa proximité alors qu'aucun contact n'avait eu lieu entre nous depuis mon réveil.

Elle passa plusieurs minutes dans cette position avec moi, à respirer paisiblement et fortement, sa petite différence de taille avec moi me faisant pencher la tête. Ce rythme imposé m'apaisa, bien que je n'aie pas eu l'impression d'être aussi oppressé, mon cœur ralentit, et je constatai avec stupeur qu'il battait auparavant bien plus vite que la normale. Quand elle vit que je sortais de ma transe, elle eut un sourire en coin, presque imperceptible, mais j'étais si proche que je le voyais distinctement, se détachant sur ses dents blanches. Elle se détacha de moi, emportant sa chaleur calmante, comme maternelle, et me demanda de fermer les yeux.

Je m'exécutai docilement, encore un peu sonné, et je la sentis prendre mes mains, qui picotèrent un peu, mais à l'intérieur. C'était une sensation assez étrange, à la fois elles me brûlaient et me donnaient l'envie de me gratter, et à la fois j'aimais beaucoup ce petit massage. La sensation partit aussi vite qu'elle était arrivée, pour cette fois me donner un violent — et soudain — mal de crâne. Je sentis mes jambes trembler et me lâcher, mais Paolina me retint, toujours par les mains, avec une force exceptionnelle pour sa petite taille.

La douleur dans mon crâne était telle que j'avais envie de frapper mon bourreau, à savoir Paolina, qu'elle lâche mes mains et qu'on n'en parle plus, ou bien que je la trucide jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus recommencer ce qu'elle me faisait. Une certaine violence occupait mes pensées, oui.

Qu'est-ce qu'elle me fait cette sorcière ?

Alors que je sentais ma boîte crânienne tenter de se rétrécir à l'aide d'une presse chauffée à blanc, une nouvelle sensation des plus désagréables me parvint. J'avais l'impression, non, la certitude, qu'un ogre me tabassait avec un shamkniv — dans le torse — de toutes ses forces.

Un son étranglé franchit mes lèvres, un mélange de couinement de douleur et de surprise, me faisant momentanément ouvrir les yeux qui se refermèrent aussitôt sans avoir eu le temps de rien voir.

Paolina sortit de son mutisme et marmonna, apparemment concentrée :

— Coco, si tu commences à faire des bruits bizarres et à me déconcentrer par ce biais déloyal on n'en aura jamais fini, et crois-moi, tu n'es pas le seul à prendre chair actuellement.

Comme pour ponctuer ses paroles, je sentis distinctement un bruit très aigu dans mes tympans, à m'en taper la tête par terre pour faire partie ça, ce que je tentai évidemment mais mes mains étaient retenues par la blonde en face — au-dessus — de moi. Je sentais mes forces m'abandonner peu à peu, je ne tenais plus sur mes jambes depuis longtemps mais Paolina me maintenait fermement sur le sol dur rien que par les mains.

Pourquoi est-ce que ma tête tourne comme ça ?

J'eus brusquement l'envie très puissante d'ouvrir les yeux pour voir ce qu'elle me faisait subir pour que ça fasse aussi mal. Comme si elle avait lu sans mes pensées, elle murmura :

— Tu fais ça et je te laisse crever, Coco. Donc subis en silence.

Un violent vertige s'empara de moi, j'eus envie de vomir. Paolina lâcha un juron étouffé, serra plus fort mes mains, et la nausée disparut à mon grand soulagement.

C'est vrai qu'on est à Candleshade... on doit être hauts. Voyons, quelle réflexion stupide, bien sûr qu'on est hauts, je reconnais cet étage.

La torture mentale qui m'était infligée dura si longtemps que je ne la sentais presque plus, mais une petite joyeuseté vint s'ajouter au lot : la même sensation que si je m'étais roulé dans un plein bac de puces affamées.

Je luttai pour me taire, sachant pertinemment que si cela durait aussi longtemps, c'était que Paolina avait des difficultés, mais un autre bruit passa dans ma gorge. Une sorte de gémissement soufflé, qui dans une autre situation aurait très bien pu passer, inutile de préciser laquelle.

Ma future mentore trembla un peu, et je sentis quelque chose longer ma main. Je serrai les dents pour m'attendre à une autre douleur horrible, mais c'était juste ça. Une goutte d'eau qui dévalait la courbure de ma main pour s'échouer près de mes genoux.

Je n'eus pas le temps de songer plus à ce petit incident que l'envie de dormir m'envahit, si... reposante. Douce. Loin de... ça.

— Non, gémit Paolina en serrant mes mains plus fort, la gorge si serrée qu'on aurait pu s'étonner qu'un son filtre au travers. Reste avec moi, ne t'endors pas....

Mais pourquoi ?

— Je veux pas m'arrêter en si bon chemin... On y est presque...

Une autre goutte d'eau tomba sur ma main, et je réalisai, l'esprit plus qu'embrumé, qu'elle pleurait.

— Ouvre les yeux si tu veux, mais je t'endors pas... j'ai besoin de toi... pour finir...

Un gémissement aigu finit sa phrase, ses mains broyant les miennes. Curieux et au bout de ma vie, j'entrouvris les paupières. Ce que je vis me glaça le sang et me retira toute envie de m'endormir. Je refermai les yeux immédiatement, cette vision me pétrifiant le cœur.

Paolina tenait mes mains, dents serrées à les faire craquer, visage on ne pouvait plus crispé, yeux hermétiquement clos, elle tremblait et des gouttes de sueur perlaient sur ses tempes. Certains de ses longs cheveux étaient collés sur son front par l'excès de transpiration. Et je ne m'étais pas trompé : c'étaient bien des larmes qui avaient atterri sur nos mains entrelacées.

Une autre sensation arriva, me faisant pousser un cri on ne pouvait plus viril et crispant l'intégralité de mon pauvre corps ; tout mon être me paraissait être fouetté, griffé par des millions de paillettes.

Marquiserie.

Je ne pus m'empêcher de songer que, si quelqu'un d'aventure passait derrière la porte au même moment, il s'imaginerait des choses bien étranges sur nos activités.

Cette pensée me fit rire, un rire un peu toussé et crispé, mais un petit rire quand même. Paolina avait sûrement lu mes pensées, car elle lâcha un petit "t'es con" avant de pousser une respiration très prononcée par l'effort, je sentis d'ailleurs sa tête se pencher en arrière avec son souffle tremblant passant sur mon front, mais qui me fit encore plus penser à la tête que ferait mon père s'il passait derrière la porte.

Je tentai de cacher mon rire, mais Paolina me réprimanda, plus crispée encore qu'avant :

— Arrête de te taper une barre comme ça s'teuplait, ça me déconcentre, regarde ce que je fais, ça va te calmer.

J'ouvris à nouveau les yeux, avec plus de difficultés qu'avant toutefois, et je vis quelque chose d'à la fois horrible et magnifique.

Un long serpentin pourpre défilait du front de Paolina jusque dans mon cœur en petites ondulations gracieuses, et cela me fit remarquer que je n'avais plus aussi mal partout qu'avant. Toujours beaucoup, mais j'étais "habitué". La couleur ombrée m'hypnotisait complètement, isolant ma souffrance mentale, mais renforçait apparemment celle de ma mentore car elle poussait de petits gémissements plaintifs à chaque respiration.

On dirait un petit chiot...

Enfin, après un moment qui me parut durer des millénaires, Paolina lâcha mes mains et une énergie nouvelle déboula dans mon cœur, battant en synchronisation avec mon palpitant.

Je ressentis de nouveau les émotions de Paolina — ne nous emballons pas, c'est parce qu'elle a baissé ses barrières tout à l'heure, autrement je ne sentirais rien et là, c'est difficilement percevable —, j'en conclus donc qu'elle m'avait rendu mon talent.

Non. Elle aurait lutté durant des heures pour que je le reprenne par moi-même.

J'essayai d'ouvrir les yeux, exténué, mais je ne vis que le plafond.

Quand suis-je tombé par terre ?

Un mouvement se fit percevoir sur ma droite, et je vis Paolina se redresser lentement, en se tenant la tête. Elle était très pâle et virait au vert. Elle haletait comme si elle venait de courir pour échapper à un gorgodon en furie, crachotant un peu de liquide écarlate dans sa main.

Du sang.

Quand elle vit que je la regardais, elle tourna vivement la tête de l'autre côté et s'en alla en se tenant au chambranle de la porte et aux murs, laissant une petite marque ensanglantée sur la poignée avec sa main. Moi, je n'eus pas la force de me lever et sombrai dans un sommeil sans rêves.

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Le lendemain matin, ma mentore débarqua dans la pièce en hurlant.

— DEBOUT ON SE RÉVEILLE ! LE TRAVAIL N'ATTEND PAS !!!

Je me réveillai en sursaut, toujours aussi fatigué qu'au coucher.

— Il est quelle heure ? Grommelai-je en me frottant les yeux, mon dos me faisant souffrir, comme toutes les autres parties de mon corps d'ailleurs. Dormir par terre n'était pas l'idée du siècle après... ça.

— Il est onze heures mon ami, je t'ai laissé dormir...

— Dix-huit heures ? Répondis-je narquoisement alors qu'elle comptait sur ses doigts.

— Oui, plus un jour. Ça fait...  quarante-deux heures de sommeil ! Tu prends ton temps !

— Tu m'as laissé dormir pendant deux jours ? M'étonnai-je. Tu ne m'as pas traîné par la peau du cou pour aller travailler mon talent ?

— Notre talent, me corrigea-t-elle avec malice. Et puis, non, te le déclencher à été très fastidieux et fatiguant, moi aussi j'avais besoin de dormir. Je suis allée prendre une douche avant bien entendu, pas comme toi.

C'est là que je pris conscience de mon odeur des plus nauséabondes, ainsi que de la raideur de mes cheveux sur ma tête.

— Je vais me laver... Marmonnai-je en me relevant, un peu chancelant, pour me diriger vers la salle prévue à cet effet, ne manquant pas de remarquer qu'elle avait nettoyé la poignée de la porte. Elle ne veut pas que je voie ses faiblesses, ou trouvait-elle juste ça sale, au point de regarder partout au cas où elle en aurait laissé ? Mystère.

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— Bien, maintenant que son altesse est lavée, habillée et coiffée, que dirait-elle de travailler un peu ?

— J'ai même pas mangé ! Me plaignis-je en exagérant un peu, mais c'était marrant de la voir aussi joyeuse en comparaison avec notre séparation fatiguée deux jours plus tôt.

Comme si la scène de... ce qu'on a fait n'était jamais arrivée. Comme si elle avait toujours été heureuse.

Comme si elle n'avait pas tous ces moments d'hésitation en me voyant arriver dans la même pièce qu'elle.

— Bon, soupira-t-elle en roulant des yeux, je te laisse manger un bout, mais après on bosse sérieusement.

— Pourquoi es-tu aussi pressée ? On a tout le temps, la questionnai-je en nous dirigeant vers les cuisines où des gnomes nous attendaient pour manger.

Elle ne me répondit pas, feignant de ne pas avoir entendu.

Une fois installés, je pris une bouchée de boumobeurre, puis continuai le interrogatoire que je prenais plaisir à faire.

— Peux-tu m'expliquer ce que tu nous a fait hier- euh, avant-hier s'il te plaît ?

— De une, tu ne parles pas la bouche pleine. De deux, tu te tiens droit s'il te plaît, de trois, j'ai simplement activé ton talent. Ta mère te l'a donné d'une manière assez barbare, vu qu'il n'était pas activé. Elle devait attendre un moment précis pour l'activer, j'imagine. Du coup, je l'ai fait en avance et ton corps n'a pas apprécié le fait que je te réveille aussi tôt — tu étais censé dormir plusieurs mois — suivi de ce déclenchement prématuré. Il a donc émis quelques réserves qui t'ont été plutôt douloureuses, à en juger tes bruits très rigolos quand j'y repense, ricana la plus âgée.

— Certes certes, repris-je en ignorant la pique, mais ton comportement à toi, on peut en reparler non ? Je ne crois pas avoir été le seul à gémir de douleur.

Elle ne réagit pas, du moins pas en apparence car ses pommettes rosirent infimement.

— Disons que... Hésita-t-elle en posant ses coudes sur la table, ce déclenchement prématuré était avant tout dangereux, pas que douloureux. J'ai dû te prendre les trois quart des souffrances car autrement, tu n'aurais pas supporté et aurais fait un arrêt cardiaque. Ne fais pas genre, reprit-elle en voyant que j'ouvrais la bouche pour répliquer, tu as eu mal, j'avais encore ton empathie avec moi donc oui je le sais, et si je n'avais pas porté le gros du fardeau, tu serais décédé sous tout ce poids. Il était essentiel que je le fasse pour ta survie. Ce n'est pas dans mes projets de te faire crever, marmonna-t-elle pour elle-même.

Elle a eu mal pour moi. J'avais l'impression de mourir et en fait elle avait trois fois plus que moi.

— P-pourquoi ? Croassai-je, sidéré.

Elle ne répondit pas une fois de plus, jouant avec son éclaterole.

— Bon, ruminai-je devant son mutisme, alors dis-moi ce que c'était que cette scène avant... l'activation.

Elle ne leva pas les yeux de sa pâtisserie pour me répondre, concentrée à la déchiqueter en petites miettes.

— En fait, quand je t'ai pris ton talent, tu as ressenti un vide. Puis, le désespoir de ne plus ressentir ton talent à jamais. Et enfin, tu t'es laissé aller. En mode : "à quoi bon continuer de vivre si me raison d'être a disparu ?". C'est un effet secondaire de mon talent sur les gens, cela affecte tout le monde à peu près pareil, mais à différentes échelles. Sur toi, c'était dévastateur car ton talent est tout pour toi, tu n'as grandi qu'avec ça. Ton désespoir était donc immense lorsque l'une des seules choses que tu chéris sincèrement a disparu. Ce n'est pas comme ça avec tout le monde, je te rassure. Seulement, je ne pouvais pas commencer l'activation de ton talent si tu n'étais pas calme. Tu ne t'en es pas rendu compte tout de suite, mais tu étais en pleine crise de panique, tu respirais fort et tes yeux étaient exorbités sous la peur. Tes mains avaient des spasmes et tes genoux tremblaient. Ça m'a surprise, je n'y étais pas vraiment prête, mais après ça m'a semblé couler de source. Imagine que j'aie activé ton talent avec ta crise de panique par-dessus : tu m'aurais frappée pour que j'arrête de te faire du mal et j'en aurais perdu ma concentration, submergée par le flot. J'en serais morte. Alors il fallait te calmer. Logique, non ? Ne crois pas que je ne sache pas que tu aies voulu me frapper, heureusement que tu n'avais déjà plus de forces.

Elle releva enfin les yeux vers moi, des miettes d'éclaterole partout sur la table.

— Ferme ta bouche s'il te plaît, tu baves.

Je m'exécutai, ne m'étant même pas rendu compte que j'avais ouvert la bouche.

Elle brisa le silence pesant qui s'était installé.

— Bon, on va bosser ? Et ne me dis pas que tu as besoin de manger autant, il est deux heures passées.

— Quand même, bougonnai-je en attrapant une éclaterole sur le plateau en passant. Donc que va-t-on faire, chère mentore ?

— T'apprendre à revoler ton talent bien entendu.

— Mais... Et si j'avais la même réaction ? M'inquiétai-je.

J'avais réellement peur de ressentir le même vide en perdant mon empathie.

— T'inquiètes, tu as réagi comme ça avant-hier parce que je te l'avais pris longtemps, tu n'as pas vu le temps passer car tu étais trop occupé à te lamenter, mais tu es resté comme ça une bonne demi-heure. Je voulais voir ta résistance. Et te laisser en silence tout seul a renforcé cette sensation de vide. Si ça te reprends, demande-moi simplement de parler. Et si tu te sens dériver, dis "parle" et je comprendrais. Je sais ce qu'il faut faire dans ces cas là.

Elle s'arrêta dans le même étage que lors de l'activation, dans une pièce voisine — peut être n'a-t-elle pas tout nettoyé —, puis claqua des doigts.

Le même vide envahit mon cœur, mais cette fois je savais comment utiliser mon nouveau talent.

Je visualisai la boule d'énergie bleue dans le thorax de ma mentore qui attendait, bras croisés et regard joueur. Une jolie flamme bleue dansante.

Je la vois, elle joue avec. Elle doit être très puissante pour la faire bouger comme ça...

Je clignai de l'œil avec un sourire du même acabit que le regard qu'elle me lançait et vis une vraie et grosse boule bleue translucide me foncer dessus. Par réflexe, je l'évitai, mais elle revint vers moi, comme attirée par moi. Je l'esquivai encore, mais Paolina me maintint en place — quand s'est-elle glissée derrière-moi ? —, en soupirant :

— Arrête de l'esquiver, c'est ton talent, imbécile...

Je ne pus me défaire de sa poigne et sentis la boule dansante entrer dans mon torse au niveau du cœur, se faufiler dans ma cage thoracique puis reprendre sa place initiale. Petit à petit, je sentis mon empathie me revenir.

Je me tournai vers Paolina, hébété.

— J'ai- j'ai réussi !

— Ouééé, le monde est sauvé, ironisa ma mentore en levant les yeux au ciel. La prochaine fois, laisse-la revenir à toi au lieu de l'esquiver comme un imbécile. Je l'ai laissée te tourner autour, mais si je l'avais voulu je l'aurais rappelée aussitôt.

Elle le cacha bien, comme à son habitude, mais je ne ratai pas son petit rictus fier.

Nous travaillâmes ainsi toute l'après midi. Elle augmentait progressivement la hauteur des barrières, mais je voyais bien qu'elles étaient encore très basses. Il me faudrait du temps avant de pouvoir prendre les talents de tout le monde.

Au moment où le soleil se couchait, je lui avouai :

— Je suis mort ! On ne peut pas faire une pause ?

— Si tu veux. On reprendra demain matin, rétorqua-t-elle en haussant les épaules

— J'ai une question, dis-je sans transition.

— Hm?

— Quand serai-je assez puissant pour pouvoir prendre la vie d'autrui ?

Cette question peut paraître glauque, mais j'ai tellement peur de pouvoir le faire que je veux m'assurer de ne pas pouvoir en être capable.

Paolina marqua un temps d'arrêt, puis lâcha, sur la défensive avec un regard méfiant :

— Quelques siècles je pense. Pourquoi ?

— Comme ça. Mais j'ai une autre question.

— Quoi encore ? Soupira-t-elle en roulant des yeux.

— Pourquoi te caches-tu derrière une figure joyeuse ou sarcastique alors que ce que tu ressens s'apparente toujours à de la tristesse ? Ne crois pas que ça m'ait échappé.

Son souffle se coupa sous la surprise.

— Euh...

[<>] [<>] [<>]

Hey hey !

Troisième chapitre aujourd'hui, mais j'ai une raison: ce chapitre est en fait la suite du 18. Mais genre, ils sont censés ne faire qu'un, j'ai juste oublié de mettre la suite à l'autre... 😅😅😅🤭😩

En tous cas, à demain mes pommes de terre ! (attention, c'est votre surnom officiel)

Date de la NDA: 17/07/2020
Date de réécriture : 02/04/2021
Nombre de mots actuels: 3872.

Oui, je l'ai considérablement rallongé parce qu'il était nul. Contents ?

Date de réécriture finale : 24/09/2021

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