Terre de souffre

On a pas mal voyagé. La Chine a bien failli nous tuer. Il s'est avéré que la fortune que nous avions gagnée en Russie en risquant nos vies, faut dire qu'arnaquer un gros bonnet de la drogue n'est jamais une bonne idée, a fondu comme neige au soleil. Il a dû reprendre les affaires. On devait sans cesse voyager afin qu'ils ne nous retrouvent pas, sauf qu'aujourd'hui pour voyager soit on a énormément d'argent, soit on a énormément de temps. Au final, on a fini à pied, sans le sou, vidés de toute énergie, au milieu de nul part, on a dû gagner la Russie à pied, on ne pouvait se rendre dans une ville sans risquer d'être reconnus. Lorsqu'on est enfin arrivé en Europe, on a dépensé nos dernières ressources pour gagner l'Angleterre. Il avait entendu parler de la Citadelle. Sauf qu'on n'a pas pu y entrer. Pas assez riche. Il fallait tout recommencer à zéro, et on était épuisé, alors on s'est arrêté ici, à Edimbourg, au trou du cul du monde. C'est mieux que rien, y'a des baraques et des gens, mais par les temps qui court l'Angleterre est aussi dangereuse que la campagne chinoise profonde.

Quant à nous deux, notre relation a prit un sacré coup dans l'aile. Quand nous étions riches et enivrés par cette quête qui avait bien failli nous coûter la vie, on était heureux. On aurait dit un jeune couple fringuant, on osait tout, on faisait l'amour tout le temps, il me battait comme jamais, aujourd'hui les choses ne sont plus exactement ça. J'ai dû travailler, et naturellement, j'ai repris mes anciennes activités, cette fois-ci, il n'a rien dit, même si je sais qu'il ne voulait pas. J'ai bien tenté de jouer aux voleuses, mais je ne suis pas aussi douée qu'au lit, je rapporte moins, j'intéresse moins. Avec un peu de maquillage et quelques bijoux, je peux valoir cher. Le syndicat sait comment faire appel à moi. Quelque part, j'en tire une certaine fierté. Certaines prostituées sont de vraies paumées, des filles qu'on a forcées à faire ça, ou à qui on a fait croire que c'était leur unique moyen de s'en sortir, ça se voit qu'elles crèvent à petit feu, certaines ont juste été détruites par un homme. Moi, j'aime ça. Je sais que les filles qui aiment ça ont probablement été violée dans leur enfance, mais au fond, je m'en fous. Tant que ça me permet de survivre. Et puis ils me demandent parfois de buter le gars, c'est quelque chose qui m'amuse beaucoup. Là encore, je sais, quelque chose doit clocher chez moi. On aurait été dans le monde d'hier, celui de mes parents, j'aurais sans doute été un monstre, mais parmi les monstres, je suis qu'une minuscule goutte dans une mare dégueulasse.

Et puis, surtout, depuis que je suis ici, vu qu'entre nous, ça va plus trop, j'ai un peu de temps à moi toute seule. Quand j'ai du temps libre, je grimpe en haut du volcan qui surplombe la ville, je m'en fiche bien de ce qu'il pourrait m'arriver, il me faut aller là-haut. J'aime la vue qu'offre le volcan endormi. Généralement, je m'allonge au milieu du cratère même si je ne suis pas bien certaine que ça soit le trou par lequel a jailli la lave par le passé, tant le temps et l'eau ont érodé les lieux. C'est là que je peux essayer de communiquer avec ce que je suis vraiment. Ma magie. Je sais enfin ce que je suis, enfin, je crois avoir compris. C'est d'ici que venait grand-mère, alors je crois, qu'ici je comprendrais pourquoi je voyais des morts petite, pourquoi j'ai toujours senti et vu ces choses, pourquoi j'ai ce lien si spécial avec la douleur et pourquoi je suis capable de ces choses-là. En attendant, je garde le silence. C'est mon secret à moi.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top