Chapitre 31 : Les prisonniers des Ailés
Nous étions donc rentrés à l'hôtel où nous séjournions avec Jonathan, et Anniah avait pu soigner mes bras blessés par des éclats de verre - enfin ! D'ailleurs, en voyant Jonathan revenir avec nous, Loís avait, comme qui dirait... paniqué, et avait prétexté un besoin urgent de sortir prendre l'air.
— Nous devons rentrer ce soir même, décréta Arwen, essayant de ne pas donner raison à mon rire amusé en réagissant. Jonathan, tes pourcentages étaient faussés. Je sais bien que c'était volontaire, mais tout de même, tu as bien compris l'urgence de la situation.
— Désolé, dit-il, penaud.
— Comment ça, "faussés" ?! relevai-je, soudainement calmée.
— Les chances que l'on subisse une attaque ce soir ne sont pas de 45 mais de 65 %.
Je serrai les dents. Il y avait donc plus d'une chance sur deux que les Scriruslèmiens nous attaquent maintenant.
— On retrouve Loís et on part, décréta Aris en se levant. Pas de temps à perdre.
C'était vrai que ce petit fuyard s'était caché quelque part dans Paris pour fuir Jonathan. Très, vraiment très pratique.
— Je suggère qu'on commence par chercher...
Dehors, un grand vacarme se fit entendre. On se précipita tous à la fenêtre de la chambre. Environ cinq cent mètres plus loin, des flammes éclairaient tout un quartier auparavant assombri par la noirceur de cette nuit. Quelque chose avait... explosé.
— Qu'on commence à chercher du côté de l'explosion ! s'écria Arwen en se téléportant.
On fit tous de même, Anniah ayant la présence d'esprit d'embarquer Jonathan avec elle. C'était vrai qu'il ne savait pas encore faire.
On réapparut à quelques mètres du cœur de l'explosion, aussi dit Loís. Il se tenait en position de combat, enragé, entouré par les flammes qu'il avait créées. Quelques étincelles crépitaient également dans ses cheveux sans lui faire le moindre mal, et d'autres partaient de ses mains pour s'enrouler autour de son corps. Il comptait visiblement se battre avec toutes ses forces contre quelqu'un.
C'est alors que je repérai ceux qui avaient mis le prince de l'Automne dans une telle colère. Quand Carl les aperçut également, il ne put s'empêcher de reculer, terrifié, et personne ne lui reprocha. Au fond, on aurait tous voulu l'imiter, mais ç'aurait été lâche.
— Saluuuut, ça faisait longtemps, non ? fit Ayna, ses yeux d'un bleu glacial rendus inhumains par le reflet des flammes qui y dansaient.
— Je confirme, on s'ennuyait presque, à s'ennuyer à détruire des mondes n'opposant aucune résistance, renchérit Ayan, sincèrement amusé.
L'aînée avait attaché ses longs cheveux blonds en deux queues de cheval qui retombaient nonchalamment dans son dos. Elle portait une jupe violette foncée beaucoup trop courte à mon goût et un crop-top de la même couleur. Pourtant, ce n'était pas cette apparence de lycéenne américaine qui atténuait l'aura terrifiante qu'elle dégageait, bien au contraire.
On aurait dit une sorte de Harley Quinn version Scriruslèmienne, clairement.
De son côté, les yeux de son petit frère brillaient d'un éclat aussi dément que son sourire en coin. Ses cheveux blonds avaient légèrement étés ébouriffés par le souffle de l'explosion de Loís, mais il ne semblait pas le moins du monde blessé, contrairement à ce dernier - un mince filet de sang coulait le long du menton du prince de l'Automne, mais cela ne semblait pas le déranger.
— C'est fini, souffla Carl, les yeux emplis de larmes.
Jonathan se retourna d'un bond vers lui, apeuré.
Au même moment, un dôme de cristal se forma autour de nous. Je me rappelai de ce que m'avait expliqué ma mère, un jour. C'était un dôme indestructible. Les Ailés s'en servaient pour isoler leurs proies de potentiels secours, et à l'intérieur, il était impossible de se téléporter.
C'était d'ailleurs une sphère de ce genre qui avait isolé mon frère, quand il avait six ans.
— Il a raison, chantonna Ayna. Vous ne pouvez pas vous échapper, et penser que vous pourriez nous battre serait tellement naïf de votre part !
Arwen rassembla le maximum de sa puissance dans un globe violet qu'elle lança de toutes ses forces sur nos agresseurs. Il le dévièrent d'un geste imperceptible, mais dirigèrent en même temps leur regard sur la princesse de l'Hiver, amusés.
— Déjà, toi, tu viens là ! pépia notre ennemie.
Elle ne fit qu'un geste de la main. Qu'un seul.
Et déjà mon frère se retrouvait à ses côtés, les yeux écarquillés par la terreur.
Elle posa sa main sur le front de Carl, qui s'effondra aussitôt, inconscient. Un bracelet de métal se matérialisa à sa cheville.
Oubliant tout bon sens, je lâchai un hurlement à mi-chemin entre la rage et le désespoir en m'élançant dans leur direction. C'est Aris qui réussit à me rattraper par le bras et à me tirer en arrière, m'immobilisant de force contre lui.
— Ne te jette pas dans leur piège, me dit-il.
— Ils ont mon grand frère ! criai-je d'une voix tremblante, la gorge nouée.
Des larmes me montèrent aux yeux sans que je ne puisse rien y faire, et quelques-unes roulèrent sur mes joues.
— Oh, j'avais presque oublié, mais tu es la sœur de Carl, je me trompe ? Alors, tu ne t'opposeras sûrement pas à ce que je le frappe encore un peu, fit le prince Ailé.
Il lui mit plusieurs coups de pieds, un sourire amusé scotché sur le visage. Carl couina, bien que toujours inconscient. Je me serais bien précipitée à ses côtés si Aris ne me retenait pas aussi fermement.
— Lucie, calme toi, je t'en supplie ! me dit Anniah. Ils te provoquent. Ne leur fait pas ce plaisir.
— Si tu viens aux côtés de ton frère, j'arrêterai de le frapper, du moins pour le moment. Et puis, puisque nous allons tous vous capturer, autant venir de toi-même, cela t'évitera bien des souffrances inutiles.
Il frappa à nouveau Carl, bien plus fort que les fois précédentes.
— Stop ! Arrêtez ! suppliai-je en me débattant de plus belle dans les bras d'Aris, la vue troublée par mes larmes.
Je ne m'étais jamais sentie aussi faible qu'à ce moment. Envolée, toute ma rage à leur adresse. Je ne voyais plus que mon frère, à terre, qui souffrait par ma faute.
— Lucie ! me dit Arwen en se mettant en face de moi. On va réussir à se tirer de là. Ne déconne pas...
— Si c'était Anniah à sa place, tu aurais tout fait pour qu'elle ne soit pas maltraitée, pleurai-je.
— Oh ! fit Ayna. Quelle merveilleuse idée tu as eu !
Elle fit un nouveau geste de la main. Anniah et Alix furent attirées à toute vitesse dans sa direction sans que l'on n'ait le temps de réagir. Ayan leur fit apparaître un de ces bracelets qui bloquaient les capacités.
Comme elles se débattaient, Ayan assena un coup de poing au visage à Anniah et Ayna en donna un à Alix. Les deux filles s'effondrèrent après quelques secondes.
— Anniah, murmura Arwen d'une voix étranglée.
Aris se raidit et me lâcha. Il ferma les yeux et serra les poings. Une larme silencieuse roula sur sa joue. Arwen l'essuya d'un geste du pouce. Un éclat meurtrier illumina les yeux rouges du prince de l'Hiver.
De son côté, Loís s'affolait :
— J'avais promis à Dylan de la surveiller... merde...
— Bon, il va falloir tous vous ramener par la force ? s'impatienta Ayan. Si vous vous rendez, ce sera plus simple pour tout le monde - et on pourra rentrer plus tôt.
— Je me rends.
On se retourna avec incrédulité vers Diane, qui venait de faire un pas vers les Ailés.
— Diane, non, souffla Loís, incapable de parler plus fort sans fondre en larmes.
Les étincelles qui, quelques secondes auparavant, étaient désormais assez puissantes pour attaquer, venaient de s'éteindre en même temps que l'espoir de Loís.
— Tu es la plus raisonnable. C'est bien, ça me plaît.
— Diane... ? murmura Arwen, incrédule.
— On a perdu d'avance. Je n'ai pas envie de souffrir pour rien. Désolée.
Elle s'avança lentement vers Ayan et Ayna, tremblante.
— Voilà, c'est bien. Comme tu t'es rendue, on ne se servira pas de toi pour faire pression sur les autres.
Presque avec délicatesse, Ayan fit apparaître un bracelet autour de sa cheville. Diane s'assit docilement à côté d'Alix. Par principe, elle prit le pouls des trois otages et soupira de soulagement.
— Vous ne comptez pas vous rendre ? questionna Ayna.
— Non, fis-je d'une voix tremblante en essuyant de mon mieux mes larmes.
— Non, affirma Loís.
— Non, dit faiblement Arwen.
Incapable de parler, Aris se contenta de secouer négativement la tête.
Malgré son envie de meurtre évidente, je distinguais une vague peur dans son regard.
Je me souviens avoir pensé, avant que nos adversaires ne se jettent sur nous, que si même Aris - ce grand gaillard qui, à dix-sept ans environ, avait été capable d'imposer une dictature à son clan - avait peur, c'est que nous étions fichus. Notre liberté l'était, du moins.
Jonathan, totalement paniqué, ne put que reculer le plus possible. Arwen et Aris firent apparaître leurs armes, une épée pour lui et un arc pour elle. Loís, sans grand espoir, fit réapparaître ses flammes. Moi, je tournai mon bracelet un coup sur la droite puis un sur la gauche, pour enfin retrouver ma rassurante épée à la lame étincelante. Je me l'étais attribuée quand j'avais dix ans, et ne l'avais jamais quittée depuis.
Je pensai brièvement à utiliser mon second bracelet, mais dans un espace confiné comme celui que nous imposait la sphère de cristal, ç'aurait été du suicide.
Ayan et Ayna prirent alors la parole, moqueurs :
— Tiens, ça nous fera...
— Des armes supplémentaires dans notre armurerie...
— En plus de nouveaux esclaves à "calmer".
Ils se regardèrent droit dans les yeux et rigolèrent d'une blague qu'eux seuls pouvaient comprendre. Les entendre compléter leurs phrases était une horreur.
— On est à cinq contre deux, ça peut le faire, souffla Loís.
Je n'étais clairement pas aussi optimiste que ce prince automnal. De notre côté, Jonathan ne savait pas se battre ; Loís n'avait qu'une puissance moyenne et Arwen, Aris et moi étions fortement perturbés de savoir qu'un de nos proches était déjà tombé entre les mains de l'ennemi. Celui-ci, justement, était en position de force, prêt à l'affrontement et au maximum de sa puissance.
Mais je devais y croire... car cette fois, personne ne viendrait nous secourir. Dame Gayleri ignorait où nous nous trouvions, nos parents également, et les passants ne nous voyaient pas. Nous ne pouvions donc compter que sur nous-mêmes. Alors que nous nous mettions en position de combat, ils firent apparaître de longues épées, aussi noires que leurs ailes.
— Notre but est simple : nous vous blesserons jusqu'à ce que nous vous vous rendiez ou que vous perdiez connaissance. On ne vous tuera pas, ce serait... stupide. Et trop ennuyeux.
Traduction : "On vous massacrera jusqu'à ce que vous ayez tellement mal que vous nous supplierez de mettre fin à nos souffrances, mais nous ne le ferons pas, car nous avons besoin de vous en vie". Le sens implicite de leur phrase ne l'était pas tellement, en fin de compte.
On se fixa longuement, même une fois qu'on fut placés pour combattre, nos armes relevées et dirigées vers le camp adverse. Je sentais mon cœur tambouriner furieusement dans ma poitrine. Attendre dans ce silence absolu, seulement rompu par nos respirations discrètes, était presque insupportable pour moi qui, d'habitude, ne tenais pas en place.
Mon regard accrocha celui, d'un bleu bien trop clair pour être banal, d'Ayan. Il me jaugeait, aussi immobile que nous tous. Je me demandai ce qu'il pouvait bien penser de moi. Me considérait-il toujours comme la fillette de dix ans à la langue bien pendue qu'il avait rencontré, lorsque je n'avais qu'onze ans ? Si c'était le cas, je me chargerai de lui prouver à quel point il avait tort.
Pendant les longues secondes qui suivirent, je n'eus même pas besoin de tourner la tête vers mon frère pour sentir une rage inconditionnelle me gagner. Maintenant que mon choc était passé et que les Scriruslèmiens l'avaient laissé, c'était plus simple.
Ils l'avaient tout de même blessé. Et je me fis la promesse de leur faire payer, tôt ou tard.
Soudain, Ayna bondit en avant avec une élégance féline, parfaitement synchronisée avec l'autre Ailé. Nos lames se croisèrent dans un brutal tintement métallique : je venais de contrer sa première attaque avec une facilité déconcertante.
Le combat avait commencé.
Mon cœur battait à tout rompre. Même si je répétais mécaniquement les mêmes mouvements que lors d'un entrainement au château, je ressentais jusqu'au plus profond de mon être que tout était différent. Attaquer. Parer. Attaquer. Esquiver. Chaque coup porté avait une signification, une symbolique bien plus réelle qu'un spectateur n'aurait pu le croire. Ce combat ressemblait à une sorte de dance mortelle, une dance qui se solderait par la liberté où la captivité. Tous mes mouvements étaient précis, ordonnés et voulus. Je ne laissais rien au hasard. Mes adversaires non plus. Les enjeux que nous opposions allaient bien au-delà que de simples assauts répétitifs et pourtant imprévisibles.
La princesse Ailée ne me laissait aucun répit, or, elle parvenait à contrer mes coups avec autant de facilités que moi. Je pouvais néanmoins affirmer qu'elle était bien plus entrainée rien qu'en voyant qu'elle s'amusait à nous attaquer simultanément, Arwen et moi. Ayan, pour sa part, s'en prenait aux jumeaux de l'Hiver. Il s'efforçait de nous rapprocher de sa sœur, contre une paroi de la sphère - qui délimitait, en quelque sorte, notre arène - pour pouvoir nous prendre en étau.
Dès que je l'eus remarqué, je feintais et bondis sur le côté pour éviter la lame de la princesse ainée et m'éloigner du cercle que nous avions inconsciemment commencé à former. Je pus apercevoir, de l'autre côté de notre minuscule zone de combat, les Gayleiens qui étaient dans l'incapacité de prendre part au combat : les trois prisonniers, Diane, puis Jonathan et Loís qui avaient dû se rendre entre deux coups des Scriruslèmiens.
Je fis volte-face pour contrer l'épée d'Ayan, que j'avais devinée, quittant à regret les autres du regard. Le blond ne se concentrait plus que sur moi et laissait donc à son aînée les jumeaux. J'en déduisis qu'il se méfiait de moi... et ne sus trop comment l'interpréter.
Il attaquait avec une vitesse et avec une précision inouïe. Je réalisai brutalement que seule, je n'étais pas de taille à l'affronter. Toujours pas. Depuis que j'avais dix ans, les choses n'avaient donc pas évoluées ? Il gardait toujours un sérieux avantage. Cela n'avait pas changé.
— Pas trop fatiguée, gamine ? railla le blond.
Ses coups se faisaient de plus en plus rapides. Je peinais à tous les repousser. Ses réflexes étaient tellement supérieurs aux miens que j'avais temporairement abandonné l'idée d'attaquer pour me concentrer sur ma défense : il avait, de ce fait, réussi à me repousser vers une extrémité de la sphère de cristal.
C'est à ce moment que le fantôme de ma mère se matérialisa devant moi. Sans le vouloir, je baissai légèrement ma garde, profondément surprise par sa soudaine apparition. La lame d'Ayan m'aurait atteinte en plein bras si la défunte n'avait pas saisi mon arme à deux mains, n'en ressentant aucune douleur, pour rectifier son inclinaison et me protéger.
Elle était venue pour m'aider ?
Pendant l'échange brutal qui suivit, dès que mes coups se faisaient imprécis ou que mon épée n'aurait pas été suffisamment bien placée pour me défendre - ce qui arrivait de plus en plus souvent -, l'ancienne reine qui, malgré son statut de fantôme, avait de meilleurs réflexes que moi, gagnés au combat durant la première bataille contre les Ailés, m'aidait.
Un éclat de terreur me traversa quand je constatai que, sans aide extérieure face à Ayna, les jumeaux de l'Hiver avaient fini par perdre face à plus forte qu'eux.
Je me reconcentrai entièrement sur mon combat, essayant de transformer ma peur en courage. Le front d'Ayan se plissa devant la difficulté du combat et je me doutais que j'arborais la même expression - surtout quand, épuisée d'avoir dû manipuler un objet du monde des vivants, ma mère disparut en m'adressant un léger sourire d'encouragement.
Nos coups devinrent systématiques. Envolées, toutes les belles tactiques et les attaques élégantes ou originales : désormais, c'était la vitesse qui comptait plus que tout. Nous étions revenus vers le centre de la sphère sans trop nous en rendre compte, perdus dans l'adrénaline qui nous brûlait les veines.
C'était comme si le monde avait disparu autour de nous pour ne laisser que notre adversaire dans notre champ de vision. Plus rien ne comptait, à part les tintements métalliques que produisaient nos lames en s'entrechoquant.
Je sus sans problème que je ne connaîtrais jamais d'autre duel d'une telle intensité. C'était... captivant.
Soudain, un bruit d'épée au sol retentit, brisant la dance mortelle de nos armes et nos gestes fluides à travers la sphère.
Mais... la mienne était toujours dans mes mains.
Mon épée s'appuya sur le torse d'Ayan, désarmé, qui leva les mains, penaud, pour signifier qu'il capitulait.
Ce fut quand un sourire en coin étira prestement ses lèvres que je réalisai ce qu'il venait de se passer, revenant à moi en même temps que lui. Ce combat avait été tout simplement passionnant, malgré ses enjeux et ses conditions.
— Lâche ton épée tout de suite, dit alors Ayna, nous faisant tous deux sursauter.
Je sentis une lame glaciale se poser contre ma nuque, menaçante.
Elle avait attendu la fin de notre duel pour intervenir, par curiosité, sûrement, et désormais, elle voulait reprendre le dessus.
— Pose ton épée, je t'ai dis !
Je tournai la tête sur le côté. Jonathan, Loís, Aris et Arwen avaient étés privés de leurs dons au même titre que les autres. Quand ils croisèrent mon regard, Loís baissa les yeux, Aris soupira et Arwen fit "non" de la tête.
Si la situation était désespérée... de ma main gauche, je fis jaillir des flammes, qu'Ayna esquiva avec surprise. Voyant que je ne lui obéirai pas, elle recula d'un bond gracieux, attrapa Carl par les cheveux et plaqua la lame de son épée sous sa gorge. Paniquée, je fis de même avec son frère. La blonde ricanna.
— Tu n'oserais jamais lui trancher la gorge. Pour ma part, je n'ai pas autant de retenue.
Le fantôme de ma mère réapparut, son image se stabilisant avec difficulté dans notre réalité.
— S'il te plaît, abandonne. Elle n'hésitera pas à tuer ton frère de sang-froid.
— Je ne veux pas abandonner, lui répondis-je, ignorant les regards perdus des autres.
— Sinon, elle tuera chacun de tes amis jusqu'à ce que tu te rendes.
— Pourquoi ? Je ne suis pas si importante que ça.
— Lucie... évidemment que tu ne représente rien pour elle. Mais elle préférerait rater sa mission plutôt que de capituler face à une Gayleienne.
— Je... je n'y crois pas.
Ayna fit une drôle de geste de la main en direction du fantôme. Puis son regard s'éclaira.
— Ah, encore toi.
— S'il te plaît, Lucie. Tu sais aussi bien que moi que tu n'as pas en toi la haine nécessaire pour supprimer ce garçon. Lâche ton épée. Tu vaux mieux... qu'eux.
Ma gorge se noua légèrement. Ayan, lui, ne bougeait toujours pas, curieux de connaître les limites de mon obstination.
— Dernier avertissement. Trois
— Lucie, laisse tomber, souffla Arwen.
— Deux.
— Merde, putain ! criai-je en jetant rageusement mon épée par terre.
Mon ancien otage se massa la nuque pendant quelques secondes, ne laissant aucune émotion filtrer sur son visage. Il se contenta ensuite de ramasser mon arme et de la faire disparaître dans une brume noire - de toute évidence, il venait de l'envoyer directement dans sa chambre.
— Tu as fais le bon choix, Lucie, me dit ma mère en s'effaçant lentement pour la seconde fois. Maintenant, ce sera dur. Mais tu dois tenir bon, et tout ira mieux.
— Ce fut un combat splendide, me complimenta alors le blond. Tu es douée. Je m'arrangerai pour qu'on recommence, au château.
Je crois qu'il voulut me serrer la main. Je l'ignorai royalement.
Sur ces mots qui me laissèrent perplexe, il me poussa auprès des autres après avoir fait apparaître un bracelet à ma cheville. Je ne pouvais plus utiliser mes dons. Cela m'horrifiait, même si je n'en laissais rien paraître. Je me sentais terriblement vulnérable.
Carl, qui avait repris connaissance, me sourit tendrement, les joues couvertes de traces de larmes séchées. Son regard n'exprimait qu'un regret : celui que je n'ai pas abattu son tortionnaire, quitte à le payer de sa vie.
— Vous n'avez pas bientôt fini de pleurnicher ? s'agaça celui-là en jetant un regard hargneux à mon frère. Vous n'êtes plus des enfants.
— Toi non plus, pourtant Lucie aurait pû te tuer, répliqua froidement Aris.
— Elle a été aidée, le défendit Ayna.
— Je l'ai senti, répondit nonchalament l'autre Ailé. Cela n'a duré que quelques secondes, mais elle n'a pas eu besoin de plus pour améliorer ses défenses d'elle-même par la suite. C'est admirable. Cela faisait longtemps que je n'avais pas autant été mis en difficulté, et encore moins par une femme.
Cette remarque purement mysogine me fit serrer les poings. Il allait devoir s'attendre bien des surprises s'il ne nous prenait pas au sérieux.
— Bon, nous sommes déjà assez retardés. Il est grand temps de... rentrer.
Il avait fixé Carl, qui osa ne pas détourner le regard. Le prince, vexé, lui asséna une giffle d'une brutalité qui n'avait pas lieu d'être. Il allait payer, il allait en payer le prix extrêmement fort, dès que j'en aurais l'occasion.
La couleur de la sphère qui nous emprisonnait passa alors de transparente à un bleu opaque. Quand elle disparut enfin, nous n'étions plus dans une rue Paris mais dans un grand hall.
Je fus assaillie par une vague de haine pure. Nous étions à la merci de tous, vulnérables et blessés, et attachés au sol d'un hall en marbre. Ma vengeance se ferait, pouvoirs ou non. Je tuerai tous ces maudits Ailés de mes propres mains s'il le fallait, mais tous paieraient le prix de leur soi-disant jeu.
— Alors... qui va rester travailler au château, qui va être envoyé servir nos meilleurs chevaliers ?
—Hum... ils sont neuf. Donc on va devoir...
— En envoyer cinq hors du château ?
— Évidemment.
Leur manière de compléter leurs phrases m'insupportait au plus au point. Mais comme je n'étais pas en position de faire des remarques, je ne dis rien.
Pour l'instant.
— Alors... fit Ayna, un fin sourire malicieux aux lèvres. Carl, tu restes au château... comme à la bonne époque.
Il baissa les yeux, dépité. J'eus la soudaine envie de le prendre dans mes bras, mais mes chaines m'en empêcheraient.
— Toi, la petite blonde au style dark, tu restes aussi.
Alix s'offusqua du surnom qui lui avait été attribué.
— Alors... fit Ayan. Toi, avec les cheveux blancs, tu dégages. Par contre, le brun aux yeux rouges reste.
Cela me fit réaliser avec étonnement que même s'il n'avait commis aucun acte atroce, la couleur de ses iris n"était pas revenue à la normale.
— Non ! s'écrièrent les jumeaux Hivernaux, horrifiés à l'idée d'être séparés.
— Vos gueules.
— Hum... toi, la brune qui parle aux fantômes, tu ne reste pas. Je ne veux pas voir ta sale tête tous les jours. Le brun aussi, il part, dit-il en désignant Loís.
Je me retins de hurler en comprenant que j'étais séparée de mon frère. J'eus l'impression de me prendre un coup de poing dans le ventre.
— Choisis, grande sœur : entre la blonde et la brune, qui reste ? demanda Ayan. En sachant que si la blonde reste, elle sera avec son frère.
— Le choix est vite fait. La brune aux yeux oranges, elle reste. Pas de liens familiaux au travail, bon sang !
— Bande d'ordures !
— Vous méritez de crever !
— Vous nous le paierez.
— Bande de sales petits...
— VOUS ALLEZ LA FERMEZ, OUI ? cria Ayna.
— Que se passe-t-il, ici ? demanda une voix autoritaire. Ah, mes enfants, vous avez ramené tous les Gayleiens, à ce que je vois.
Celui qui avait parlé devait frôler la quarantaine. Ses cheveux étaient blonds platine et ses yeux étaient d'un bleu glacial effroyable. Dans son dos se trouvaient deux grandes ailes noires qui, imposantes, semblaient légèrement repliées pour ne pas gêner leur détenteur dans ses mouvements. Il était habillé de la même couleur et portait également une cape, qui semblait d'une matière plutôt douce, descendant jusqu'à ses mollets. Sa pâleur était encore plus accentuée que celle de la peau d'Arwen, qui était pourtant diaphane, sans que cela ne paraisse anormal.
Il dégageait une aura terrifiante.
J'avais déjà vu ce type quand j'avais dix ans : il avait attaqué le château du Printemps pour me trouver avec ses gardes et j'avais dû fuir chez les Hivernaux. C'était... le roi de Scriruslème, Christopher.
— Pourquoi criez-vous ? demanda celui-ci d'une voix aussi glaciale que la couleur de ses yeux.
— Car pour les répartir, nous avons préféré séparer chaque frère et sœur afin d'éviter de possibles rébellions.
— Allons donc... je verrai plus tard si je change leurs affectations.
— Vous êtes bien trop généreux, père.
— Avez-vous rencontré des problèmes lors de la capture ? s'enquit-il alors, son expression faciale se durcissant plus que déjà fait. Je veux savoir tout ce qu'il s'est passé.
Je me rendis alors compte que ni moi ni aucun autre gayleien n'avions osé dire un mot depuis que le roi était arrivé. Il semblait occuper tout l'espace de ce hall pourtant démesurément grand rien que par sa présence. Son autorité indéniable se voyait sans effort.
En comparaison, Ayan et Ayna n'étaient que de jeunes adultes incompétents et complétement banals.
— Nous avions pris Carl et les deux jeunes blondes en otage pour faire pression sur les autres, commença à expliquer le prince. La brune aux yeux oranges s'est rendue, nous ne l'avons donc pas frappée. Les jumeaux, celle aux yeux roses et le brun se sont battus contre nous.
— Déroulement du combat ?
— Le brun aux yeux oranges est faible, mais il maîtrise les flammes. Celui aux yeux d'émeraude n'a même pas utilisé ses dons, on dirait qu'il ne sait pas s'en servir. Les jumeaux se battent bien.
— Et la fille ? demanda le roi en me désignant.
— Elle a été aidée par un fantôme le temps d'un instant, mais elle est extrêmement douée avec une épée. Je l'ai affrontée.
— Et ?
— Et... elle m'a désarmé et menacé.
Le roi gifla son fils avec une force inouïe qui lui fit tourner le visage.
— Tu devrais prendre exemple sur ta sœur, petit incapable.
— Oui, père, dit Ayan en portant pensivement sa main à sa joue en se redressant convenablement, humble malgré son visage rougi.
Le roi me fit relever la tête et me regarda droit dans les yeux.
— Elle a vraiment fait appel à un fantôme ?
— Je l'ignore.
— Elle a pourtant l'air si... faible. Je n'arrive pas à croire qu'une Inférieure t'aie battu. Ayna, tu me feras un résumé détaillé de leur combat. Je voudrais ton avis dessus. Puis tu demanderas à ton plus jeune frère de me faire un commentaire argumenté à ce sujet, je me demande s'il arrivera à repérer les failles évidentes des capacités de combat d'Ayan.
Lors de sa première phrase, il caressa ma lèvre avec son pouce. Je lui mordis le doigt jusqu'au sang et il s'éloigna en la finissant d'un ton toujours aussi neutre, ignorant sa douleur.
J'ai vraiment un don pour attirer tous les pervers de l'Univers, pensai-je amèrement en me souvenant d'Alexandre, le Flamien qui m'avait retenue captive quand j'avais dix ans.
Le roi contempla alors sa main d'un air ennuyé, ignorant les quelques gouttes de sang qui coulaient lentement le long de son poignet avant de retomber sur le sol de marbre noir. J'y étais vraiment allée fort.
— Peu m'importe ce que vous aviez décidé, la fille aux yeux roses reste ici, décréta-t-il.
— Elle s'appelle Lucie, père.
Je sursautai et écarquillai les yeux, stupéfaite. Alors, j'avais vraiment vu juste ? Cela faisait quand même mal. Les faux jumeaux entrèrent dans le hall, amusés par la situation.
— Lucie Almina, princesse du clan Printanier, demi-sœur de Carl. Elle possède de nombreux dons, plus puissants que la moyenne. Elle est très amie avec Akito, un garçon de la F.A.M Gayleienne d'Amaya.
— Elle apprécie Arwen car elle est généreuse et puissante, elle n'appréciait auparavant pas Aris à cause de ses yeux rouges. Anniah est sa meilleure amie. Les deux sont désormais inséparables.
Enfin, ils entrèrent dans le hall. Je n'en crus pas mes yeux. Ils portaient tous deux une couronne semblable à celles d'Ayna et d'Ayan.
Malgré cela, je constatai sans souci qu'ils ne dégageaient pas la même chose que les trois Ailés déjà présents face à nous. Les deux, bien que sacrément imposants à cause de leur apparence sereine, attiraient beaucoup moins l'attention que leur père qui, lui, était presque "magnétique". Eux semblaient radicalement plus effacés, presque invisibles même s'ils se trouvaient dans notre champ de vision. Sur Gayleri, ils ne m'avaient pas semblés le moins du monde décalés par une quelconque manie d'attirer ou non l'attention mais ici, aux côtés d'autres membres de leur famille, cela me parut évident. Ils savaient contrôler leur, en quelque sorte, "aura" et avaient sûrement focalisé une partie de leur éducation là-dessus contrairement à Ayan et Ayna qui avaient dû apprendre à la développer pendant leur enfance.
Ils me regardèrent avec un sourire amusé. Le premier infiltré, suivi de la deuxième, plongea son regard vert dans le mien. Il guettait ma réaction avec un sourire narquois.
— Bonjour, princesse, me salua alors Kensaku.
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