Chapitre 29 : ce fameux Jonathan
De retour dans la chambre d'hôtel que nous avions loué en arrivant sur Paris, nous avions allongé Clara sur le lit le plus grand.
– Bon, fit Diane en se tournant vers nous après avoir bordé sa sœur. Je suppose que je n'ai pas besoin de vous rappeler que personne ne doit ébruiter ce qu'il s'est passé ?
– Pourquoi ? fit Aris. Elle est dangereuse, et si elle se remet dans cet état, nous ne sommes pas sûrs de pouvoir l'arrêter une seconde fois.
– Ce n'était pas de sa faute mais de celle de cet idiot, la défendit Loís.
On se tourna presque instinctivement vers Arwen, qui était normalement la plus logique de nous tous. Sentant nos regards sur elle, elle se détourna de la fenêtre à laquelle elle faisait face pour se tourner vers nous.
– Elle n'est un danger pour personne si elle apprend à contrôler ses trois caractères. L'idéal serait qu'elle arrive à cesser de se cacher derrière différents prénoms, mais je pense que c'est encore au-delà de ses capacités.
La sœur de la concernée hocha la tête pour approuver.
– Mais nos parents ne doivent absolument pas le savoir. Notre père pense qu'elle a totalement cessé de criser depuis ses treize ans.
– Vous parlez de moi... ? fit une voix ensommeillée.
– Non, du pape atteint d'un TDI, soupira Loís en s'asseyant à côté de sa sœur sans pouvoir retenir un sourire. Bien sûr qu'on parle de toi, imbécile.
– Ça ne m'étonne pas.
Devant nos regards perplexes, elle poursuivit :
– C'est carrément logique qu'après avoir assisté à une de mes crises, elle nourrisse vos conversations, au lieu de parler de Jonathan dont nous n'avons toujours pas une piste. Le contraire aurait était étonnant. Les gens sont si prévisibles.
Ses propos me firent un peu penser à ceux d'Akito, quelques années plus tôt, quand il m'avait enfin raconté sa bagarre contre Aris. Apparemment, il suffisait de trouver la faiblesse d'une personne pour que celle-ci devienne soudainement prévisible.
– Tu as raison, nous devrions nous remettre à le chercher, décréta Arwen. Cela ne servirait à rien de s'attarder sur ta crise pour le moment.
– Comme je n'ai pas envie de courir dans tout Paris comme la dernière fois, je vais voir si la chance est de notre côté. Vous venez ? fit Aris en se dirigeant vers la porte.
Nous quittâmes rapidement l'hôtel, jusqu'à ce qu'on croise quelqu'un dans la rue.
– Excusez-moi, fit le prince de l'Hiver pour apostropher une passante. Vous connaissez Jonathan Spencer ?
La fille s'arrêta en ne pouvant se retenir de glousser.
– Tout le monde le connaît, finit-elle par dire avec un sourire en coin. Il faut dire que ses tarifs sont plutôt raisonnables pour au final un très bon... service.
Elle s'éloigna sans cesser de glousser.
– Oh non, ne pus-je m'empêcher de dire, les joues écarlates.
– Ne me dites pas qu'elle parlait de... du genre de service auquel je pense ? fit Carl, se passant nerveusement une main sur le visage.
– Je crois bien que si, répondit Arwen, qui n'en menait pas large non plus.
– J'ai soudainement très envie de rentrer sur Gayleri, décréta Loís.
Il ne put s'empêcher d'éclater de rire, à mi-chemin entre la stupéfaction et la nervosité.
– Si on laisse Jonathan ici, il continuera d'empoisonner inconsciemment la Terre, dit Diane, pas ravie pour autant.
– J'ai comme l'impression que ce cas là va être très, trèèèès gênant, marmonna Anniah.
– Formidable, on va devoir se débrouiller pour ramener un prostitué sur Gayleri, osa dire Aris.
***
– Je suggère qu'on se repose ce soir et que dès demain nous commencions les recherches, déclara Arwen une fois qu'on fut rentrés à l'hôtel.
– Je suis bien d'accord. Une nuit de repos ne fera de mal à personne.
Sur ces mots, Carl sortit de la chambre pour une raison que j'ignorais. Il m'avait semblé distant, tout d'un coup.
– Et que ferons-nous demain ? s'enquit Loís.
– On verra bien, fit Aris. En général, on a pas mal de chance pour tomber sur les descendants, espérons donc que ce soit également le cas pour Jonathan.
– Un prostitué, quand même, fit Diane, ayant visiblement du mal à accepter l'information. Je ne savais même pas qu'un garçon pouvait être... ça.
– Je ne connais pas grand-chose sur le sujet, dit calmement Arwen - décidément la plus responsable de nous tous -, mais même si les insultes liées à ce travail sont exclusivement féminines, il me semble en effet que les hommes peuvent être dans ce domaine.
– C'est quand même... beurk, non ? Enfin, je ne sais pas, moi, mais coucher avec des gens pour se faire de l'argent... c'est bizarre.
– Enfin, je ne sais pas, moi, mais scanner des produits à la caisse pour se faire de l'argent... c'est bizarre, ironisa Éléa.
– Bien dit, grande sœur, renchérit Loís, désapprouvant visiblement le point de vue de Diane. Ce Jonathan fait ce qu'il veut de son corps, c'est sa vie, pas la nôtre. On n'a pas à la juger.
– Je suis quand même d'accord avec Diane sur le fait que ce métier n'en soit pas un, fit Dylan. Vendre son corps, ça ne se fait pas.
– Arrêtez de débattre là-dessus, d'accord ? intervins-je avec le peu de délicatesse dont j'étais capable. Vos avis n'auront pas d'impact sur le monde, pas si vous vous contentez de les exposer entre vous, du moins. Alors stop avec ça, Jonathan fait ce qu'il veut sur son temps libre et personne n'a à le juger.
– Tu m'as devancée, s'amusa Arwen, qui avait en effet ouvert la bouche avant que je ne prenne la parole. Et puis, il est tard, descendons manger.
– Je quitte ce débat uniquement parce que j'ai faim, grommela Dylan, nous faisant rire.
Décidément, la cohabitation de dix sangs-royaux Gayleiens n'était pas de tout repos. Et encore, aujourd'hui, aucun des deux partis n'avait agressé l'autre à l'aide de serpillières.
Quoi ? Ce jour-là, je m'étais excusée auprès d'Arwen, donc tout allait bien.
On rejoignit le hall de l'hôtel en quelques minutes, puisque auparavant, il fallut retrouver Alix, qui était partie à la recherche d'Aris, lui-même à la recherche de Carl. Au final, les trois étaient sortis et nous avaient laissé ici pour aller manger à un fast-food – je me doutais bien que Carl avait simplement suivi les deux autres – et c'est une femme de ménage de l'hôtel qui nous en avertit.
– Bon, et bien, nous allons les rejoindre, soupira Diane.
Loís lâcha un petit cri de joie, et, suivit par Dylan, ils se téléportèrent - sûrement aux abords du fast-food. Ils avaient déjà dû visiter les environs, les traîtres.
– Ces deux là sont des dangers publics, soupira Diane avec un demi-sourire avant de se téléporter à leur tour.
– Anniah, tu voudrais bien... ? fit Arwen. Déjà qu'ils sont assez impulsifs pour se téléporter en pleine rue, alors...
– Te justifie pas, j'y vais, dit-elle, amusée par la situation.
Elle disparut dans la seconde suivante - témoin ou pas, une de plus ne ferait pas vraiment la différence.
– Cela te dérangerait de marcher avec moi pour les rejoindre ? Je suis toujours épuisée par ce matin, me dit Arwen.
– Cela ne me dérange pas, assurai-je en la suivant.
Elle devait en effet être épuisée, puisque toute la matinée elle s'était chargés de tous nous téléporter pour préserver nos forces - quitte à y laisser un peu de la sienne. À cet instant, j'aurais très bien pu nous téléporter non loin du fast-food, mais mon instinct me disait qu'Arwen souhait me parler.
Et après quelques secondes de silence seulement brisé par le bruit de nos pas et par celui de voitures passant au loin, elle prit enfin la parole.
— Je me demandais quelque chose, Lucie.
— Quoi donc ?
— Dans ton sommeil, tu peux apercevoir quelques scènes appartenant au passé et d'autres qui se réalisent plus tard. As-tu déjà essayé de les contrer, de faire en sorte qu'elles ne se produisent jamais ?
Une conversation sur mon don. J'aurais dû m'en douter. Pourtant, l'hésitation qu'elle avait eu avant de commencer à parler me laissait deviner qu'à la base, elle souhaitait orienter sa question sur un sujet bien différent.
— Je n'y avais jamais vraiment réfléchi, répondis-je en mettant nonchalamment mes mains dans mes poches. Pour moi, c'était totalement naturel de laisser les choses se réaliser telles que je les avais vues.
— Sauf que dans ce cas, ce qu'Alina t'avait dit...
Je serrais les dents en me rappelant du fantôme Scriruslèmien qui était venue m'agresser verbalement, un soir, quand j'avais dix ans. Et elle m'avait également "montré" que je souffrirais beaucoup en ne pouvant plus nier l'identité du troisième prince.
— ...est par défaut sur le point de se produire, complétai-je.
Je mis un coup de pied rageur sur un caillou qui traînait là.
— Sur le point de se produire ? répéta Arwen dans un sursaut en se tournant vers moi. Comment le sais-tu ?
— Je le devine, fis-je en me passant une main dans les cheveux. Inconsciemment, je sais que c'est pour bientôt.
— Il faut que nous nous dépêchions de quitter Paris, dans ce cas. Il va falloir se débrouiller pour ramener Jonathan sur Gayleri avant la fin de la semaine. As-tu une idée approximative de la date où les propos d'Alina se réaliseront ?
— Une semaine tout au plus, supposai-je. On n'a plus qu'une semaine pour partir.
***
Le lendemain matin, on se réveilla assez tôt, et on sortit pour prendre notre petit-déjeuner dans un café en plein centre-ville. On s'était installé sur la terrasse - comme l'échéance d'Alina se rapprochait inévitablement, on tentait de prévoir des plans de fuite un peu partout où on allait.
— Une chocolatine, s'il vous plaît, demandai-je au serveur après avoir cité ma boisson.
— Vous voulez dire... un pain au chocolat ?
— Non, non, une chocolatine, répliquai-je, sourcils froncés.
— Pain au chocolat.
— Chocolatine.
— PAIN AU CHOCOLAT !
— CHOCOLATINE !
Autour de nous, clients et serveurs confondus explosèrent de rire devant l'étonnant spectacle que nous offrions.
— Vous cherchez la guerre, là ? C'est un fichu pain au...
— Hé. Disons pain au chocolatine, ça réglera les soucis de mademoiselle, intervint un adolescent depuis la table voisine. Et puis, je paye pour elle.
Le serveur s'éloigna de mauvaise grâce. Je me tournai vers celui qui venait d'éviter sans le savoir la destruction intégrale de ce lieu, intriguée.
Ses cheveux noirs comme la nuit retombaient nonchalamment sur son front, contrastant fortement avec sa peau pâle. Ses yeux verts émeraudes étaient tournés vers moi, il attendait probablement une réaction de ma part.
Dans le style "mauvais garçon malicieux", ce type remporterait facilement la première place du classement, bien loin devant Dylan.
— Merci, lui dis-je.
— De rien, j'ai largement de quoi payer le loyer de ce mois ci, il me reste souvent trop d'argent à dépenser, répondit-il avec un sourire en coin.
Le serveur apporta ma CHOCOLATINE. Le garçon sortit une liasse de billets et la tendit au serveur.
— Gardez la monnaie.
Le serveur décampa. Le garçon se releva, et réajusta son blouson en cuir aussi noir que son jean et ses chaussures.
— Qui es-tu, au juste ? questionna Loís sans le quitter du regard, intrigué.
Il fallait dire qu'il y avait de quoi, aussi.
— Oh, quel impoli je fais ! Je m'appelle Jonathan Spencer, mais appelez moi John. Désolé, mais je suis déjà en retard, je dois filer... mais bon, je saurai faire en sorte que le prof me le pardonne !
Avec un clin d'œil charmeur, il tourna les talons, son sac de cours ne tenant que grâce à la lanière droite.
Loís, Diane, Arwen et Anniah s'étouffèrent presque avec leur chocolat chaud. Moi aussi, d'ailleurs.
— C'était quoi, ça ?! s'écria Loís d'une voix tremblante.
— La personne qu'on doit ramener à Gayleri, et dont il y a une chance sur quatre qu'il atterrisse dans ton Clan, sous la protection de tes parents, ricana Aris.
Loís se remit à tousser de plus belle. Allait-il mourir ?
— On est vraiment obligés de le ramener ?
— En principe, oui. Mais bon, je propose qu'on opte d'une tactique différente.
— Mais, il est trop... wow, quand même ! dit Loís d'une voix éraillée, les yeux écarquillés.
Je crû que j'allais mourir de rire, comme Anniah à côté de moi.
— Quoi ?
Du doigt, je désignais Jonathan, debout derrière Loís, qui dit calmement :
— J'avais oublié mon cahier de sciences.
Loís murmura :
— Oh, non.
... Avant de se cacher sous la table.
— Hé, mec, pas besoin de faire l'autruche, c'est pas la première fois que j'entends ça !
Puis, il ajouta cette phrase, ce qui nous déconcerta tous ÉNORMÉMENT :
— Si tu veux, je te fais un prix, si l'envie t'en prend. Bye !
Et il partit.
— Hum... je vais tâcher de supprimer ça de mes souvenirs, lâcha Diane, les joues écarlates.
— De même, dis-je.
— Tu peux sortir de là-dessous, Loís.
— Non. Laissez-moi mourir en paix.
— Rassure moi, l'autruche, commença Aris. Tu ne serais pas gay, à tout hasard ?
Loís ne répondit rien.
— Diane, est-il déjà sortit avec une fille ?
— Hum... à bien y réfléchir, non.
— Super. Comme si la situation n'était pas assez bizarre, il fallait que ton frère tombe amoureux d'un... d'un prostitué qui vient de lui proposer de... bref.
— Je ne suis pas amoureux !
— Ah ? Que fais-tu sous cette table, alors ?
— Et... au lieu de rire de moi, Lucie, tu as vérifié s'il avait des dons importants ? fit-il, gêné, pour orienter la conversation sur un tout autre sujet.
Je me frappai le front du creu de la main.
— Non. Désolée, j'étais trop... perturbée.
— Il y a de quoi, aussi, marmonna Loís, toujours sous la table.
Heureusement qu'aucun d'entre nous ne portait de jupe, d'ailleurs.
— Allez, on arrête les plaisanteries, dit Aris en attrapant les deux bras de Loís et en le tirant de sous la table.
— D-d'accord, dit Loís, le regard vague.
— Au fait, ce que je vais dire est probablement très bizarre et gênant. Mais, Loís, si tu as envie de le revoir, disons, parallèlement à notre "quête" pour l'offre qu'il t'a faite, tu peux, personne ne te dictera ta conduite.
Loís prit une teinte rouge tomate en écarquillant les yeux.
— N-non, je m'en passerai, balbutia-t-il à Aris.
— Ouuuuf, fit Diane en replaçant une de ses mèches brunes derrière son oreille. J'ai vraiment crû que tu allais accepter. T'imagine, toi, un prince coucher avec un prostitué ?
Les autres détournèrent la tête, trop vite désintéressés. Je fus donc la seule à voir Loís hausser les épaules, comme réponse silencieuse à sa sœur. Je souris, amusée. Décidément, cette dernière semaine sur Terre promettait d'être intéressante.
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