Chapitre 23 : en qui avoir confiance ?
Les quatre jours étaient passés très vite. C'est avec une certaine appréhension que je descendis pour aller déjeuner avec Carl et notre père.
– C'est beaucoup plus silencieux quand vos amis ne sont pas là, remarqua-t-il.
Carl approuva timidement, toujours gêné de prendre la parole. J'allais reprendre une autre part de brioche, mais le bruit caractéristique d'un papier qu'on froisse me fit m'arrêter. Instinctivement, je portais ma main à ma poche. Une petite feuille que je n'avais jamais vue avant s'y trouvait.
Je la pris entre mes mains, et hésitais à la déplier. C'était encore ce maudit troisième prince pigeon qui prenait contact avec moi. J'allais froisser un peu plus la feuille et la remettre dans ma poche, mais je m'arrêtais à la dernière seconde. Mon instinct me disait que je devais l'ouvrir, que c'était important.
– Qu'est-ce ? s'enquit mon père.
– Je ne sais pas trop, dis-je simplement en entreprenant de déplier la feuille.
Un plus petit bout de papier replié au maximum en tomba. Je le rattrapais et le regardais avec attention. Une sorte de cercle avait été dessiné dessus à l'aide de points noirs plutôt espacés. J'hésitais à l'ouvrir en premier, mais reportais finalement mon attention sur la plus grande feuille.
"J'ai mal. J'ai très mal. Personne ne me comprend. Personne.
Toi, tu pourrais comprendre. Mais tu ne comprends pas. Et ça me fait mal.
Marre des mensonges. Ça suffit. J'ai écris mon prénom sur le deuxième papier. Parce que je ne veux plus mentir.
Désolé. Je suis vraiment désolé."
J'écarquillais les yeux en lisant l'avant dernier paragraphe. Son prénom. J'allais enfin savoir qui il était.
Dans un coin de la pièce, Opale aboya bruyamment. Je pensais que ça allait faire sursauter Carl, à la base assis en face de moi, mais en levant les yeux vers là où il était assis, je constatai qu'il n'était plus à sa place.
Je sursautai en le voyant juste à côté de moi. Vif comme l'éclair, il attrapa le plus petit papier et recula.
– Comment on fait brûler quelque chose ? demanda-t-il à notre père sans lâcher le papier. J'ai déjà vu Arwen le faire, mais elle n'a pas pensé à m'expliquer.
Brûler ?! Il voulait brûler le papier ?!
– Carl ! criai-je en me levant de ma chaise. Rends moi ça ! S'il te plaît !
Il serra un peu plus le poing autour de la feuille, et détourna le regard. Il baissa les yeux.
– Désolé, Lucie, mais... mais non. Tu ne dois pas savoir.
– Mais... ce message m'était destiné, Je-ne-sais-qui savait très bien ce qu'il faisait ! répliquai-je en essayant de lui reprendre la feuille.
Il leva le bras pour mettre son poing hors de ma portée, et posa son autre main sur mon épaule.
– Lucie... il ne savait pas du tout ce qu'il faisait. Il ne sait plus ce qu'il fait, depuis quelques temps. Il est totalement perdu et en guerre contre lui-même.
Mes yeux se remplirent de larmes. C'était injuste. J'avais le droit de savoir qui était ce fameux troisième prince.
Opale, la queue entre les pattes, nous rejoint et se mit à mordiller le bas du pantalon de Carl, comme fâchée.
– Je t'en supplie ne pleure pas, me fit mon grand frère d'une voix tremblante. Mais je lui dois la liberté. Et je sais que si tu connais son nom, vous seriez tous deux détruits...
Sans me lâcher l'épaule, il baissa les yeux.
– Stop, dit-il. Ça suffit. S'il te plaît. Tu te fais du mal à rester ici.
À qui parlait-il ?
Opale cessa de mordiller le bas de son pantalon, et s'assit, avant de relever la tête vers mon frère.
Ne me dites pas que...
Pourtant, l'anormal reflet bleu qui brillait actuellement dans les yeux d'Opale me confirma que Opale n'était, pour l'instant, pas Opale. Enfin, je me comprenais.
Je reculai d'un bond pour m'éloigner d'Opale qui ne l'était pas. Elle... enfin, il, me suivit du regard, penaud.
– Que... comment... depuis quand ? fis-je sans quitter l'animal des yeux.
– C'est une capacité bien propre aux Scriruslèmiens, souffla Carl en se baissant pour caresser "Opale" entre les deux oreilles. Le troisième prince comptait juste observer ta réaction en apprenant son nom, mais en la voyant, je suis prêt à parier qu'il aurait de nouveau tenté de mettre fin à ses jours.
Il me fallut quelques secondes pour réaliser ce qu'il venait de dire.
– Il n'est pas comme les autres Scriruslèmiens, poursuivit Carl. Pas du tout comme les autres. Il est gentil, il se bat contre sa famille.
Je relevai la tête vers notre père qui toujours assis à sa place, fixant "Opale" avec surprise.
– Toujours se méfier des chiens, grommela-t-il. Mais, en soi, ce n'est pas si surprenant. Carl, donne moi ce papier.
Mon frère lui jeta un regard suppliant en même temps que moi. Nous voulions tous deux ce papier, mais pour deux raisons très différentes.
– S'il te plaît, donne le moi, répéta notre père en s'approchant de nous.
Carl se leva, résigné, et lui tendit la feuille. Notre père l'attrapa, et resta immobile quelques secondes. Qu'attendait-il pour la lire ?
Je lâchais un cri offusqué quand je vis le papier se consumer entre ses doigts.
– Si Carl dit que ce papier peut entraîner la dépression de deux individus, je le crois. Et en tant que roi et père responsable, je ne laisserais pas cela se produire en toute connaissance de cause.
Je me sentis frustrée et délaissée. Depuis le temps que ce troisième prince me tournait autour - quatre années au sens figuré et trois secondes au sens propre, "Opale" me tournant réellement autour - , je méritais quand même de connaître son identité.
Il était d'ailleurs tout bonnement impossible que le troisième prince soit une personne en qui j'avais confiance.
Les seuls garçons avec qui je m'entendais bien étaient Aris, Dylan, Loís et Erwan - qui n'allaient sûrement pas se faire la guerre à eux-mêmes -, Akito, qui ne s'était sans doute pas poignardé tout seul, Tom, qui ne s'était sûrement pas réduit en esclavage de son plein gré, et Alex, qui ne correspondait pas du tout à la description du troisième prince, tout comme Andy, Kimiokis, Liam et Nolan (de la F.A.M de Loan).
Bref, les gens se trompaient sur toute la ligne.
Je reportais mon attention sur Carl, "Opale" et mon père. Je pris conscience d'une chose ; je détestais ne pas savoir. Enfin, ça, ça faisait quatre ans que je le savais, mais je détestais ne pas savoir quelque chose que j'aurais pu savoir.
Même "Opale" semblait me fixer. Quelques minutes plus tôt, elle n'était qu'un simple setter anglais, et là, son corps était occupé par un Ailé. Puis mon père. J'avais bien crû qu'il ferait au moins l'effort de lire le papier, histoire de me dire si je devais avoir peur ou pas. Mais non, il n'avait fait qu'obéir à Carl sans réfléchir.
Carl. Je ne pouvais pas vraiment lui en vouloir, même s'il était responsable de ma fureur actuelle. Je lui faisais parfaitement confiance, mais, quand même, son comportement me frustrait au plus haut point.
"Opale" s'approcha lentement de moi, jaugeant ma réaction. Je reculai d'un pas, avant de crier :
– Ne t'avise même pas de t'approcher de moi, sale inconnu ! Enfin, même si je te connais, je m'en fiche, car je ne TE CONNAIS PAS ! TU AS PARFAITEMENT COMPRIS CE QUE JE VOULAIS DIRE !
Sur ce, je tournai les talons et me dirigeai vers la porte de la salle à manger. Ce simple petit-déjeuner risquait fortement de dégénérer en guerre civile si je ne me calmais pas.
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