Chapitre 2 : l'Ailé - presque - anonyme

Carl et notre père avaient longuement discuté, tandis que j'attendais un peu plus loin.

Je n'arrivais toujours pas à croire qu'il était ici, de retour chez lui, chez nous, dans le clan du Printemps.

***

Ensuite, il s'était présenté aux autres princes et princesses (ou plutôt, il avait hoché la tête par moment et je m'étais donné la mission de traduire ceci en phrases compréhensibles par tous).

Je constatai avec un pincement au cœur qu'il baissait les yeux quand il s'adressait à quelqu'un et que quand il se faisait bousculer, c'était lui qui s'excusait précipitamment.

Le soir venu, notre père déclara :

– Maintenant... euh... il faut que tu te choisisses ta chambre...

Carl baissa les yeux et essaya visiblement de cacher son malaise. Il hocha la tête pour approuver, mais je vis qu'il ne semblait pas en avoir envie.

– Il y a quelque chose qui ne va pas ? lui demandai-je avec une once d'inquiétude.

– Non non, dit-il précipitamment. Ce... ce n'est pas important.

– Carl, intervint Aris, qui était resté écouter la conversation. Même si tu faisais une hémorragie tu dirais que ce n'est pas important !

Je compris qu'il avait voulu tenter de l'humour, mais mon frère l'interpréta de travers et ses yeux se remplirent de larmes, puis il s'excusa précipitamment. Le brun pâlit légèrement et paniqua :

– Euh, non, c'est moi qui suis désolé.

– Vraiment, veuillez me– je veux dire, je suis vraiment désolé, répondit-il.

Je me mordis la lèvre et échangeai un regard affolé avec mon père. J'avais envie de le réconforter, mais j'avais également peur d'aggraver la situation.

– Carl, tout ce que tu penses est important, dit doucement mon père.

– Non, c'est même stupide et inutile, répondit-il en évitant notre regard.

Quand il s'aperçut que j'étais gênée de la situation, il s'excusa à nouveau.

– Grand frère, fis-je en posant ma main sur son bras. Tu n'as pas besoin de constamment t'excuser. Ton opinion est aussi importante que la notre.

– Je... je vais faire un effort, je vous le promet, dit-il finalement. Mais... j'ai pris l'habitude d'obéir, pas d'être écouté...

Pour toute réponse, je le serrai dans mes bras. Ce geste pourtant banal sembla légèrement le rassurer.

– Donc, redemanda mon père. Que voulais tu dire ?

– Je... c'est vraiment stupide et puéril de ma part...

– Hé, pour une fois que ce ne sera pas moi qui dit quelque chose de stupide et puéril, faisons une croix sur le calendrier, rit Dylan.

Cette blague arracha un léger sourire à Carl, ce qui me fit évidement sourire. J'avais l'impression que l'humour des deux princes pourraient assez bien s'accorder.

– Enfin... je... je sais que j'ai dix-sept ans, mais en fait... je n'ai jamais dormi seul, dit-il en rougissant.

J'avais accepté avec une joie immense de partager une chambre avec lui, comme ça, je pourrais le garder à l'oeil et être sûre qu'il ne disparaîtrait pas dès que j'avais le dos tourné. Cela pourrait paraître idiot pour n'importe qui, mais pas pour moi. Je gardais la stupide crainte qu'il ne disparaisse à nouveau, comme quand nous étions petits.

***

Je sursautai en sentant un bout de papier dans ma main alors, qu'assise à la bibliothèque du château, j'étais presque en train de m'endormir. Je ne tenais rien quelques secondes auparavant, pourtant.

Je me redressai sur mon fauteuil et l'ouvris.

"Je suis désolé d'être un méchant pigeon. J'espère que ton grand frère va bien. Tu ne diras à personne que je l'ai un peu aidé, hein ? Mes aînés seraient très, très fâchés.
Je te souhaite une agréable soirée,
Le garçon dont tu connais l'identité"

Je me raidis. Carl, qui était en train de plisser les yeux pour réussir à lire un livre dans le fauteuil en face du mien, le remarqua et me demanda ce qu'il se passait.

– Rien de très important, répondis-je un peu trop vite pour que cela ne soit crédible.

Il fronça les sourcils mais ne dit rien.

J'appréciais vraiment la bibliothèque. Il y faisait toujours frais et les fauteuils étaient confortables, l'idéal pour lire ou pour venir réfléchir, ce qui était mon cas. Je me levai.

— Où vas-tu ? me demanda-t-il d'un ton inquiet.

— Je veux juste marcher un petit peu, la bibliothèque est assez grande pour que je n'en sorte pas, le rassurai-je.

— D'accord.

Je m'avançai entre les étagères en laissant mon regard dériver sur les couvertures en cuir, plus ou moins usées selon l'ouvrage. Et dire qu'Akito connaissait sur le bout des doigts chacune de ces oeuvres !

Je me reconcentrai néanmoins sur le problème qui me préoccupait et m'assis par terre, adossée à une étagère. Ce n'était pas la première fois que je recevais un papier de ce genre. Ce Scriruslèmien semblait vraiment tenir à moi... ou juste avoir envie de me filer des insomnies, car il finissait chacun de ses messages par "Le garçon dont tu connais l'identité". Mais je ne la connaissais pas, bon sang ! Qui était-il ?

Énervée, je me relevai d'un bond. Mon coude heurta un livre, le faisant tomber. Il s'était ouvert sur le chapitre "citations Terriennes". La première que je vis fut "Quand les mensonges prennent l'ascenseur, la vérité prend l'escalier. C'est plus long, mais elle finit toujours par arriver."

La même phrase que m'avait sortie Alina, la Scriruslèmienne fantôme dont je n'avais parlé à personne. Et elle m'avait dit ça... après m'avoir affirmé que je connaissais l'identité du jeune prince.

Ces coïncidences commençaient sérieusement à me taper sur les nerfs.

Non, je ne connaissais pas l'identité de ce foutu pigeon. Pourtant, tout portait à croire le contraire. Mais ils avaient tous tort. Moi, je ne savais pas qui il était.

Dis plutôt que tu ne veux pas savoir qui il est.

Je serrai les poings. Cet homme invisible commençait également à me taper sur les nerfs. Sa voix apparaissait toujours au mauvais moment : pour m'empêcher de sauver Gayl, pour me pousser à utiliser mon super-bracelet en tant que bombe, et ces derniers temps, pour aller dans le sens d'Alina en me disant que je me voilais la face.

Quoi que, sur les deux premières reproches, il m'avait aidé car si je m'étais faite capturer, je ne serais sûrement jamais rentrée. Même si j'avais échappé aux Scriruslèmiens, si je n'avais pas utilisé mon bracelet pour fabriquer une bombe, Arwen y serait restée. Mais cette fois, il avait tort ! ...n'est-ce pas ?

— Qui êtes-vous ? demandai-je à voix basse.

Retente le Mur des Regrets.

Le Mur... des Regrets. Il n'existait pas. J'avais dû l'imaginer quand j'avais onze ans. Pourtant, je me souvenais clairement de ce lieu étrange. Mais comme personne n'en connaissait l'existence, je m'étais faite à l'idée de l'avoir inventé.

Et pourtant...

Je crois que j'allais sérieusement devoir repenser à tout ce que j'avais fait à mes onze ans, car toutes ces coïncidences commençaient à être un peu lourdes.

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