Chapitre 18 : l'imposteur

- Je voudrais aller voir Yeong Ji, demandai-je alors.

Pourquoi maintenant ? Bonne question. Ce n'était sûrement pas le moment idéal, mais j'en avais envie. Les affirmations d'Akito, il y a quelques semaines, venaient de me revenir, à force de parler de Scriruslèmiens.

- Il est à l'infirmerie, réveillé depuis quelques jours, m'indiqua mon père.

Je me levai et me dirigeai vers le lieu indiqué, résistant à l'envie d'aller câliner Opale qui jouait toujours dehors avec des serviteurs.

Je toquai avant d'entrer dans l'infirmerie. Yeong Ji, assis sur son lit, lisait tranquillement un livre. Un bandeau dissimulait son œil droit, et il portait un masque chirurgical. Son système immunitaire semblait encore affaibli.

- Comment ça va ? lui demandai-je en m'asseyant sur une chaise à côté de son lit.

- Ma blessure à l'oeil s'était rouverte, les points de suture ne sont pas beaux à voir, fit-il un peu sèchement en désignant le bandeau sur son œil. Et, à cause du gamin, le médecin a dit que j'étais plus fragile et susceptible de tomber malade.

Quoi ? Yeong Ji qui se faisait traiter de "fragile" et ne relevait pas ?

Il ne croisa toujours pas mon regard, continuant de lire.

- Pas moi, souffla une voix.

- Quoi ? m'étonnai-je.

Il toussa un peu.

- Je n'ai rien dit. Tu es bizarre.

Je fronçais les sourcils.

- Yeong Ji, regarde-moi, s'il te plaît.

- Pourquoi le ferais-je ? Mon livre est plus intéressant que toi.

- Alors, dis moi juste. Qui est ton meilleur ami ?

Un sourire moqueur étira ses lèvres. Son regard se figea sur un mot. Il faisait semblant de lire pour ne pas croiser mon regard.

- Léonard, non ? tenta-t-il.

Je me levais d'un bond et transformais mon bracelet en poignard doré, dont je plaçai la pointe sous la gorge de celui qui n'était pas Yeong Ji.

- Yeong Ji est blasé, pas blessant. Son meilleur ami s'appelle Léon, il le surnomme Léo. Il déteste lire. Ayan, rend nous Yeong Ji.

- Quel dommage, dit-il en tournant lentement la tête vers moi. J'apprenais tellement de choses, en restant ici.

- Yeong Ji a également les yeux verts, pas bleus, rajoutai-je sans baisser mon arme.

- C'est vraiment trop dommage. Autant la gamine et son frère n'étaient pas des problèmes, autant toi, les gens te croiront si tu parles. Je me demande si je dois te tuer ou respecter mon pacte envers mon "moyen frère".

- Tu es déjà en mauvaise posture, dis-je en appuyant un peu plus contre sa gorge.

- Faux. Je ne fais que posséder ce corps à distance. Si tu lui tranches la gorge, tu le tueras, sans me causer le moindre dégât.

- Qu'est-ce qui peut me le prouver ?

- Tu n'as qu'à essayer, pour voir, ricana-t-il en attrapant mon poignet et l'appuyant un peu plus contre sa gorge.

Je reculai en lâchant un juron.

- Que veux-tu ? Pourquoi ne nous rend tu pas Yeong Ji ?

- Ferme la porte, fit-il.

- M'enfermer avec toi ? Hors de question.

Il haussa les épaules et reprit sa lecture.
Ayan, je te déteste.

Je claquai violement la porte.

- Content, monsieur le connard ?!

- Moi, un connard ? s'offusqua-t-il en jetant son livre par terre.

- Quelqu'un qui possède à distance une personne qui m'est chère pour me forcer à obéir, c'est être un connard, renchéris-je.

- La ferme. Bon, tu dois être curieuse de savoir ce que je fais là, entre guillemets ?

Je haussais les épaules.

- Je m'en fiche un peu, mais pour ne pas énerver sa Majesté la tête à claques, je vais faire comme si cela m'intéressait.

- Je veux ton frère.

- Il ne rentrera pas à Scriruslème ! Il est avec nous et-

- Non, pas dans ce sens là. Je veux ton frère.

Je me rappelais que, plus tôt, Carl avait dit, pendant qu'il nous définissait le mot "peur", qu'il craignait que le prince aîné ne le... ?
Oh, par les rois !

- Voilà, tu as compris comment je veux ton frère ?

- Espèce de monstre ! hurlai-je. Tu n'es qu'un monstre, Ayan !

- Non, juste un homme frustré. D'habitudes, quand je veux quelqu'un, je l'obtiens. Mais lui, il arrive encore et toujours à m'échapper. Si tu me laisses avoir ton frère , je laisserais ce corps tranquille. Dans le cas contraire, je lui provoquerais une crise cardiaque dont il ne se réveillera pas.

- Tu me répugnes, Ayan.

- Tu me fatigues, Lucie.

Je serrais les poings.

- Allons, choisis donc. Ton frère, ou ton ami ? Lequel vas-tu trahir, lequel vas-tu préserver ?

Je saisis Ayan - Yeong Ji par le col de sa chemise et le soulevais du lit pour le plaquer contre le mur.

- Tu es un monstre, tu m'entends ? Un monstre ! Comment as-tu cru, même le temps d'une seconde, que je te laisserais t'en prendre à mon frère ? Tu as déjà largement détruit sa vie ! Tu mérites de mourir, ordure !

- Au risque de me répéter, je ne suis qu'un prince frustré que l'une de ses conquêtes lui échappe inlassablement. Je veux le faire mien, je veux le posséder, je le veux pour moi tout seul.

Le plus déconcertant était que ces mots étaient prononcés avec la voix de Yeong Ji. La seule chose qui me prouvait que c'était bien Ayan était son œil bleu visible.

- Tu n'auras jamais mon frère, tu m'entends ?! Il ne sera jamais "tien", tu ne l'auras jamais "pour toi tout seul" !

- Qui te dis que ce n'est pas déjà arrivé ?

- Il... tu ne serais pas aussi "frustré", sinon.

Il voulait me faire peur ; il avait réussi.

- En es-tu sûre ?

Je lui mis le plus violent coup de poing que je pus à la tempe. Il s'effondra, assommé.

Puis soudain il se mit à convulser.

- Yeong Ji, m'écriai-je. Oh hé, réveille toi, mec !

Quelques secondes qui me semblèrent interminables plus tard, il s'immobilisa. Son souffle se fit plus régulier. J'écartais ses paupières pour voir son œil... vert, on ne peut plus normal.

Je lâchais un soupir de soulagement, et soulevais avec difficulté Yeong Ji pour le remettre sur son lit.

Yeong Ji, 1. Ayan, 0.

Dans ta face, ordure de pigeon.

Je repris la clé et ouvris la porte... pour faire face à Carl, en larmes et tremblant de tout son corps.

Je me précipitais vers lui.

- Carl, qu'est-ce qu'il se passe ?!

- Ayan... il voulait... me... me... je...

- Tout va bien, Carl, lui dis-je doucement en le serrant dans mes bras.

Il s'agrippa à moi, un peu comme si j'étais une bouée qui l'empêchait de se noyer. On s'assit à même le sol au milieu du couloir sans se lâcher.

- Tout va bien, lui répétai-je en le serrant un peu plus contre moi.

Quand est-ce que Carl pourrait enfin laisser cet enfer derrière lui ? Hein, quand ça ? Pourquoi ces maudits Scriruslèmiens réussissaient même à lui faire du mal alors qu'il était avec sa famille ?

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