Chapitre 1 : les retrouvailles
Carl.
Mon grand frère était là, devant moi.
Ce n'était pas une illusion. Il était vraiment là, au château du Printemps. C'était impensable, improbable... impossible.
Je relevai les yeux vers cet être nécessaire à ma vie en agrippant son bras, comme pour être sûre qu'il n'était pas qu'un mirage qui s'évaporerait sitôt que je l'eus quitté du regard. Je ne voulais pas m'éloigner d'un pas de lui. Tout était trop irréaliste. Mais ma main se refermait bel et bien sur son - frêle - poignet, et...
Par les rois, il est là.
Mes pensées se bousculaient si vite dans mon esprit que je n'arrivais moi-même pas à les comprendre. Trop de joie, de soulagement et d'incompréhension. Je ne pus m'empêcher de pleurer plus longtemps et le serrai dans mes bras.
Quelques minutes plus tôt, je me reposais paisiblement dans un arbre. Désormais, j'étais collée à mon frère, enlevé il y avait onze ans de cela par les Scriruslèmiens.
- Lucie, souffla-t-il en reculant d'un pas.
Je suivis son mouvement pour ne pas le laisser s'éloigner, tremblante.
Beaucoup de souvenirs refaisaient surface dans mon esprit. Les jours - les ans - précédents, ils m'auraient attristée et brisé le cœur. Ce jour-là était différent. Mon frère était juste devant moi et rien d'autre ne m'importait.
Il ne disparaîtra plus jamais, bon sang.
- Je... suis rentré, dit-il, souriant à travers ses larmes.
Pour toute réponse, je le serrai avec plus de force encore entre mes bras, pleurant de plus belle. Je n'avais jamais versé de larmes de joie avant ce moment.
Je n'arrivais pas à croire que cette situation était réelle. J'avais la stupide peur qu'il ne s'évapore aussi vite qu'il était apparu. Il me me rendit un peu brutalement mon étreinte, me coupant presque le souffle, et je ne m'en plaignis pas.
La dernière fois que je l'avais vraiment vu, vraiment étreint, nous n'étions que des enfants. Des êtres innocents qu'un roi Ailé avait séparés. Comment Carl pouvait-il lui avoir échappé ? En réalité, je ne voulais pas le savoir. Je ne voulais ni imaginer les sacrifices nécessaires à cette liberté ni le forcer à me les expliquer.
- Puis-je savoir ce qui se passe, princesse Lucie ? me demanda l'Entraîné chargé de surveiller l'entrée du château.
- Prévenez mon père que j'ai quelque chose de très important à lui dire... ou plutôt lui montrer, déclarai-je en séchant mes larmes d'une main car je ne lâchais toujours pas mon frère.
Je me redressai quelque peu. Je n'avais plus onze ans, je devais stabiliser mes émotions et me montrer digne de mon statut.
- Après cela, faites savoir aux autres clans que le prince Carl est revenu.
Les yeux de l'homme s'écarquillèrent et sa bouche s'entrouvrit sous le coup de la surprise.
- Nom de Dieu, marmonna-t-il, employant sans le vouloir un juron Terrien.
- Lucie, que se passe-t-il ?
Je sursautai et tournai la tête alors que le garde entrait en courant dans le château, médusé et déterminé à m'obéir au plus vite. Je croisai un regard bleu clair caractéristique de la famille royale du clan de l'Hiver : c'était Anniah, m'ayant sûrement rejointe par curiosité.
- Je ne saurais pas vraiment l'expliquer, admis-je, riant légèrement d'une voix tremblante. Disons simplement que je ne suis plus la dernière princesse à ne pas pouvoir compter sur tous les membres de sa famille vivants.
Carl sembla comprendre qui elle était, comme il sursauta et essaya de reculer.
- Elle est du clan de...
- Nous avons fait la paix.
- La... la paix ? répéta-t-il, perplexe. Le Printemps et l'Hiver se sont alliés ?
Je me fis la réflexion qu'il n'avait même pas connaissance de l'existence des autres clans.
- En effet, confirma mon amie dont seuls les sourcils froncés trahissaient sa légère méfiance.
Elle passa une main dans ses longs cheveux blonds, à peine plus sombres que ceux d'Arwen, et souffla longuement.
- Je ne comprends rien à ce qu'il se passe, mais... soit.
Son incompréhension évidente m'arracha un léger rire. Je me ressaisis en constatant que Carl gardait sa posture défensive en la regardant.
- Allons donc voir papa, murmurai-je alors en serrant sa main.
Il se raidit légèrement quand j'évoquai cette idée, nerveux.
- Papa... ? Il... se souvient de moi ?
- Évidemment ! m'écriai-je, interloquée. Pourquoi t'aurait-on oublié ?
Des larmes brillèrent de nouveau dans ses yeux.
- Car je n'étais pas là, et les absents s'effacent toujours du cœur des présents.
- C'est n'importe quoi !
Il me regarda droit dans les yeux durant de longues secondes.
Il récupéra sa main de mon emprise tremblante, se la passa sur le visage et resta immobile quelques longues secondes.
- A... allons parler à papa, dit-il après une longue hésitation.
Ce fut lui qui m'attrapa par la main lorsqu'on entra dans le château.
- Votre père vous attend dans la bibliothèque, annonça le garde de tout à l'heure, visiblement très gêné par la situation actuelle.
Je hochai la tête pour montrer que j'avais compris et nous montâmes les escaliers. Une fois arrivés au pallier du premier étage, Carl marqua un temps d'arrêt.
- C'est... différent.
- On a tout changé depuis que Till a incendié le château, ris-je, submergée par une vague de tendresse devant sa moue faussement innocente. Ne fais pas l'ignorant.
Il me lança un regard amusé sans pour autant me répondre.
- Luuuuucie, pourquoi Anniah fait les cent pas dehors ? cria alors Dylan en accourant vers nous, suivi de quasiment tous les autres princes et princesses de Gayleri. Elle n'avait pas autant l'air de réfléchir en cours de mathématiques, tu sais ?
Carl, ramené à la réalité par cette entrée en scène douteuse du prince de l'Été, recula d'un pas.
- Fermez la un peu ! ordonnai-je. Tout va bien, ce sont toutes les personnes de sang royal d'un âge raisonnable de Gayleri.
- Oh, Misa ne va pas aimer apprendre que tu l'as traitée de vieille, railla Éléa en frappant sans raison apparente son frère Dylan. Tu...
- Carl ? la coupa soudainement Arwen en les poussant pour se rapprocher.
Je sentis la main de mon frère trembler dans la mienne. Je compris qu'il risquait de se mettre à pleurer. Or, savoir qu'il allait pleurer me donnait aussi envie de pleurer alors on pleurerait tous les deux.
Bon sang, quelle émotivité encombrante...
- On... on allait parler à notre père, annonçai-je finalement.
- Je comprends mieux pourquoi des médecins rodent à l'étage, admit soudainement Loís, prince de l'Automne, en descendant les escaliers. Ignore les autres. Je me charge de leur expliquer avant qu'ils ne dégradent leurs trois neurones et demi. Communes. Enfin, sauf les Hivernales.
- Comment tu viens de parler de nous ? siffla Alix, princesse étrange et agressive de l'Automne.
Arwen ne put s'empêcher de pouffer en voyant Loís partir en courant pour esquiver le livre que tenait sa sœur ainsi que les tentatives de claques de tous les autres présents.
- Il me semble donc que ses cours de diversion commencent à porter leurs fruits, soupira-t-elle avec un sourire. Je ne vous retiens pas plus longtemps. Faites ce que vous avez à faire.
Je hochai la tête, reconnaissante envers elle et mon très ancien fiancé, et m'engageai dans les escaliers menant au deuxième étage sans lâcher la main de Carl. Une fois devant la porte de la bibliothèque, il s'arrêta net.
- Et s'il réagissait mal ? Et s'il ne voulait plus me revoir ? souffla-t-il en reculant d'un pas.
- Carl ! murmurai-je en le serrant dans mes bras. Ne raconte pas n'importe quoi ! Dans le pire des cas, il va paniquer car il sera surpris, mais jamais au grand jamais il ne réagirait mal.
- Parle... parle-lui avant que je ne rentre. S'il te plaît, ajouta-t-il d'une voix suppliante.
- Mais je ne veux pas m'éloigner de toi ! répondis-je sur le même ton.
- Je t'en prie... je ne veux pas qu'il réagisse mal...
Je plissai les yeux et me mordis la lèvre, frustrée de me montrer si faible.
- Alors reste juste ici et ne bouge pas. Ne bouge pas d'un pas.
Il hocha la tête sans hésiter.
Je pris une grande respiration et entrai dans la bibliothèque, refermant soigneusement la porte derrière moi. Rien que d'être séparée de mon frère par une porte en bois me rendait malade. J'avais peur qu'il ne disparaisse, qu'il ne s'évapore, qu'il n'ait été qu'une illusion. Pourtant, je me retins d'aller vérifier s'il n'avait pas bougé ; je devais néanmoins me faire violence pour m'en empêcher.
- Lucie, à quoi rime tout ce cirque ? me demanda abruptement alors mon père. Je sais que je ne suis plus tout jeune, mais faire venir des médecins pour une simple conversation me semble légèrement excessif, non ?
- Ce... ce n'est pas qu'une simple conversation, dis-je lentement en croisant son regard.
Il posa rapidement le livre qu'il lisait et se leva de sa chaise, se moquant de perdre sa page, soudainement inquiet.
- Par tous mes prédécesseurs, tu as pleuré. Que se passe-t-il, ma fille ?
Sa capacité de père à remarquer le moindre détail me désarçonnait souvent.
- Je...
Je lançai un coup d'oeil vers la porte, nerveuse. Il se plaça en face de moi.
- Tu peux tout me dire, ma petite Lucie, insista-t-il en posant ses mains sur mes épaules.
- Je... euh... papa, essaie de garder le contrôle de tes émotions, alors. Tu peux essayer de faire ça ?
- Ne me dis pas que tu es enceinte... ? demanda-t-il avec méfiance.
Son instinct avait ses limites, bien entendu.
- Non ! m'exclamai-je sans pouvoir retenir un sourire face à sa supposition.
- Tu es déjà maman ? insista-t-il avec suspicion.
- Non plus.
- Si ce n'est pas ton enfant qui se trouve dans le couloir et qui te met dans cet état, qui est-ce ?
- Ce n'est pas mon enfant, articulai-je lentement pour jauger ses réactions. C'est le tien.
Son visage se décomposa. Plusieurs émotions s'y lurent. Je ne savais pas les nommer.
- Lucie, dit-il avec sérieux. Que viens-tu de dire ?
- Que... ton fils était dans le couloir. Carl est dans le couloir. Mon frère est dans ce putain de couloir. Là. Juste... là.
- A... arrête, balbutia t-il en s'appuyant au mur. Carl est... est à...
- À la maison.
Incapable de résister plus longtemps, je me dirigeai vers la porte et l'ouvris. Il n'avait pas bougé d'un centimètre et cela me rassura instantanément.
Je le tirai légèrement par le bras pour le faire entrer, ravie d'être de nouveau collée à lui. Son regard croisa celui de notre père. Personne ne bougea - nous attendions tous la réaction des autres.
- C... Carl ? bégaya le roi.
Le susnommé hocha la tête, visiblement prêt à se remettre à pleurer. Papa s'avança vers nous. Il posa une main sur la joue de mon frère et le regarda longuement dans les yeux, puis il nous serra tous les deux dans ses bras, comme si sa vie en dépendait.
Je crus également distinguer le fantôme de notre mère se joindre à notre étreinte, mais je n'en étais pas certaine. Ma vision était de nouveau brouillée par des larmes que je ne pouvais contrôler.
Je venais de me rendre compte d'une chose : même sans savoir pour combien de temps cela serait le cas,
notre famille était enfin réunie.
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