Vendredi vénéré - partie 1

I

Délicats bruissements.

Assourdis par le confort épais de ce décor riche et tiède ; les besogneuses abeilles s'affairent autour de leur princesse.

Coiffée et parfumée, poudrée et soigneusement apprêtée, la belle se tient nue dans le soir vénitien. De sa fenêtre elle voit rosir le feu du jour, alors que dans le sfumato de cette fin d'été, s'élèvent encore les humeurs du phénix. Prêt à mourir pour elle. Prêt à renaître de son feu.

La ruche s'évapore, l'essaim se disperse. La nuée de servantes range les atours de la maîtresse dans les coffres et s'apprête à la confier à son destin.

Elle, debout, hume l'adorable parfum des roses et du myrte, lesquels dissimulent les remugles du bruyant port. Les cris des marchands font échos aux reflets des toits dorés.

Le luxe de la Sérénissime coule lascivement dans les canaux et dans le flot du Lido.

Ce soir, elle sera l'écrin et le joyau. Elle brillera de mille feux dans les yeux de celui qui rejoint déjà sa demeure.

Dans l'antichambre de son royaume, le Condottiere remercie ses vassaux et congédie ses valets. Les uns ou les autres, après tout, Saint Marc en soit témoin, il reste détenteur du pouvoir d'un grand guerrier. Il se voudrait las, alors qu'en lui brûle déjà le désir de conquérir une nouvelle plaine vierge. Il rêve de soumettre forêts inconnues, déserts immaculés ou terre incognite. L'encens se consume et s'élève en volutes lourdes vers les hauteurs de son palais. Il suit d'un regard fier le filet qui lui révèle le chemin. Là-haut une fenêtre est ouverte. Laquelle donne sur la plus merveilleuse vue qu'un homme n'ait jamais contemplée.

Il monte pas à pas l'escalier dont les marches se resserrent à mesure qu'il les gravit. Caresse la courbe d'albâtre d'une rampe, anticipe son prochain geste. Déjà il pose la main sur le bouton de la porte.

Il franchit l'entrée d'un geste décidé, d'un geste d'homme. La lumière du crépuscule jaillit, l'éblouit alors que le passage d'un temps à l'autre éloigne le souvenir du lointain matin. Il marque un arrêt.

Face à lui la Belle se dresse dans l'embrasement. Elle respire le parfum chaud de la fleur qui se mêle aux relents de sueurs et de labeurs venus de tout en bas.

Toujours nue et voilée de soleil.

L'homme avance vers elle. Son poing s'enlace autour de la garde de son arme dont le fourreau est retenu par l'élégant ceinturon qui l'enserre. Son bras s'élance vers la Belle. Elle, regarde tout au loin vers la lagune, où s'éloignent de frêles goélettes. Son épaule pâle ne tressaille pas lorsque l'homme l'attrape.

Coiffée et parfumée, poudrée et soigneusement apprêtée, elle est l'écrin et le joyau.

Pourtant c'est lui qui pousse le cri de joie, bestial mâle aux mains puissantes, au corps vigoureux. Il la tourne vers elle et s'en saisit dans une étreinte assurée. Il l'amène jusqu'à la couche, l'affaisse sur l'édredon pourpre filé d'or, et dans une lutte sans gloire où se chevauchent éclats de lame, éclairs de désir, stupre et stupeur, il balaie toute trace de beauté et de douceur.

Leurs râles et leurs cris se mêlent à leurs sèves, versées pour étancher la soif des draps.

La lagune s'est assombrie, son flot est désormais rouge alors que le soleil se dissout dans ses larmes.

La nuit sera courte.

Demain un nouveau phénix naîtra pour la gloire des Doges.

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