8. L'aérodrome
- Stupide carte !, pesté-je en me perdant pour la troisième fois aujourd'hui.
Je lève le nez de ma carte pour regarder autour de moi. Encore et toujours de la jungle. Je n'en peux plus. Cela fait trois jours que je marche, cours et me perds tout en essayant d'éviter les soldats. Il n'y aucune trace de la ville dont Tao m'a parlé, rien à part de la jungle. J'étais censée arrivée dans quelques jours mais, vu mon avancée laborieuse, j'ai dû être retardée...
Mes yeux passent de la carte au paysage devant moi. Un léger chemin fait de pierre et de terre boueuse slalome doucement entre les arbres noueux et tordu de cette jungle. Un léger clapotis m'informe que je ne dois pas être loin d'une rivière, ou du moins d'un cours d'eau. La lumière tamisée qui me tombe sur le visage me fait légèrement sourire. Je lève la tête et ferme les yeux pour profiter des rayons du soleil sur ma peau. Quelques instants plus tard, mes yeux retombent sur ma carte. Il n'y a aucune trace du chemin que j'ai emprunté sur cette carte.
De toute façon, j'ai toujours été nulle en course d'orientation...
Je dois me rendre à l'évidence, je suis perdue... encore une fois. Tournée en rond dans cette jungle me rend malade. Courir, tomber à cause des racines, se relever pour courir à nouveau. Je me laisse tomber sur un tronc d'arbre couché derrière moi. C'en ai trop.
Je craque, je n'en peux plus. Pourquoi suis-je partie à travers la jungle sur les conseils d'un homme que je n'ai vu que cinquante minutes ?
Pourquoi je lui ai accordé ma confiance ?! Je deviens folle ou quoi ? Comment ai-je pu faire ça.
Soudain j'ai envie de tout envoyer balader. Ma magie, mon but, mon histoire et la Terre entière. Je ne sais pas quoi faire. À vrai dire, depuis que je suis partie de chez moi je ne sais pas quoi faire. J'ai suivie aveuglément toutes les personnes que j'ai croisées. Pourquoi ?
Maman me dit toujours qu'une personne sans repère à plus tendance à faire confiance à autrui.
Je suis une personne sans repère. Non une personne qui n'a plus de repère...
Je mets ma tête dans mes mains, mes joues sont humides. Je pleure comme je n'ai jamais pleurée. Un torrent de haine, d'incompréhension, de tristesse et de remords coule sur mes joues et atterrit sur les racines à mes pieds.
Je ne sais pas combien de temps je suis resté ici à pleurer. J'ai perdu la notion du temps depuis pas mal de temps déjà.
Je me lève et récupère ma carte qui traîne toujours par terre. J'essuie les dernières traces de larmes de mon visage avec ma manche. Avoir déversé mes émotions m'a fait du bien, je me sens à nouveau mieux. Je me remets en route plus décidé que jamais. Même si Tao m'a menti, cette ville reste mon meilleur espoir pour quitter cet horrible endroit.
J'ai finis par abandonner ma carte sous un rocher couvert de mousse. C'est peut-être une erreur mais j'en ai assez de me battre contre cette carte. J'avance tranquillement dans la jungle. J'ai l'impression de pouvoir nager dans ma combinaison de soldat tellement je transpire à l'intérieur. J'ai beau avoir coincés la mèche de cheveux bruns qui cache habituellement mon visage derrière mon oreille, des cheveux sont quand même collés par la transpiration sur mon visage.
Autour de moi, c'est plutôt tranquille. Chaque soir, je me débrouille pour dormir dans un arbre à l'abri —plus ou moins— de quelconques prédateurs. Mes rangers écrasent sans délicatesse les feuilles mortes et les brindilles sous mes pieds. Comme toujours, la lumière filtrée par les feuilles me donne chaud. J'ai beau essayer de me laver un minimum quand je passe près d'une rivière j'ai toujours aussi chaud. Quand je pense que quand je suis partie de chez moi, il n'avait pas neigé autant depuis plusieurs dizaines d'années. C'est presque irréel.
Je marche entre les arbres, cela était plusieurs heures qu'il n'y a plus de chemin sous mes pieds mais peu importe. Je lève les yeux pour regarder plusieurs singes se poursuivent entre les immenses troncs d'arbres et les lianes. Après plusieurs jours seuls ici j'ai compris qu'aucuns arbres ne se ressemblent. C'est comme ça que j'arrive à ne pas me perdre.
Enfin plus ou moins...
J'ai beau me déplacer sans presque aucun repère, je sais —sans vraiment savoir comment— que je me rapproche de mon but. La ville ne doit plus être loin. Cela fait presque dix jours que je marche. D'après ce que m'a dit Tao, je suis presque arrivée.
Je suis surprise de ne pas être aussi fatiguée mais j'imagine que les entraînements de Coal m'ont bien aidé.
Pensé à son nom me rappelle qu'il a disparue de ma vue depuis dix jours. Je ne sais pas ce qu'il a pu lui arriver. Tout s'est passé si vite. Je ne pense pas qu'il ait été capturé par les traîtres de l'armée. Impossible non ? Le fait qu'il peut être, en ce moment même, prisonnier me fait peur. Coal est mon seul allié dans cette guerre entre les Gardiennes et Isildor. C'est la seule personne en qui j'ai confiance.
Même si Sirielle était bienveillante, du moins à première vue, il y avait un trop grand décalage entre nous deux. Elle était trop vieille pour espérer comprendre tous mes problèmes. Mais après avoir lu et entendu bien des choses sur elle je ne sais plus quoi penser. Elle a sauvé des centaines de personnes après la rébellion de son armée en les empêchant d'agir mais elle est en même temps responsable de la misère d'un village entier, sans oublier la première et la seconde guerre mondiale bien sûr...
Mais contrairement à elle Coal m'aide beaucoup. Je l'apprécie vraiment, il est un peu comme un grand frère pour moi. Quand je suis arrivée, je me suis tout de suite attaché à lui. Il était une bouée au milieu du bateau qu'était ma vie au moment où je l'ai rencontré. Un bateau coulant au milieu de l'océan de problèmes, d'incompréhension et de peur qui le submergeait tous les jours un peu plus. En ce moment j'ai vraiment peur pour lui.
Je plissé inconsciemment les yeux. La lumière est étrangement plus forte ici. J'arrête de contempler le sol pour regarder vers l'origine de la lumière. Un peu plus loin devant moi, la jungle se raréfie. Un grand sourire apparaît sur mon visage. Je suis arrivée !
Je cours sur les cents derniers mètres me séparant de la fin de la jungle.
Une fois sorti, je suis obligé de mettre ma main devant les yeux car la lumière est aveuglante. Je sens quelques larmes apparaître aux coins de mes yeux. Mais une autre sensation vient me déranger. Le même sentiment qu'il y a une dizaines de jours, suspendu sur une corniche de pierre à Amilys. Une sensation de vide et de froid. Je sais que ce souvenir est spécial. Plus je le sens, plus j'ai l'impression qu'il m'agrippe pour n'emmener avec lui dans une abîme glaciale et noire comme le ciel sans étoiles.
J'arrive tant bien que mal à m'adosser à un arbre. Je ne peux pas éviter les souvenirs, ils viennent à moi un point c'est tout. Je suis obligé de les voir.
※※※
Je marche main dans la main avec Isildor. Je sais qu'il veut me montrer le village qui se développe au milieu de la jungle.
J'ai été plus que ravie d'accepter ce voyage de douze jours. J'ai l'impression d'étouffer dans ce château. Mais c'est surtout les enseignements d'Alinore qui me fatigue le plus. Maîtriser la magie n'est pas aisé, pas plus que d'apprendre des siècles d'histoire transmis de Gardiennes en Gardiennes.
Mon regarde se porte sur celui que j'aime et je souris, cela fait déjà trois mois qu'il m'a fait sa déclaration d'amour. J'ai pourtant l'impression que c'était hier que nous étions tous les deux à Amilys à admirer les étoiles main dans la main.
Le temps passe si vite...
Mes yeux tombent sur nous main enlacés. J'ai l'impression d'avoir rêvé de ce jour depuis ma naissance.
- Regarde Sirielle.
Je lève les yeux vers la nouvelle cité. Des centaines de personnes sont en train de construire les maisons du quartier sud. La plupart des maisons sont en bois, certaines en pierre pour les plus riches. Je souris à ce village perdu en plein milieu de la jungle. Un oasis au milieu de la nature. Je serre plus fort la main d'Isildor et me colle à lui.
- Comment le trouve tu ? me demande-t-il.
Je regarde les maisons venant à peine de sortir du sol. Je ne sais pas si cette cité durera longtemps.
- J'apprécie.
Pour être honnête je ne sais pas quoi dire d'autre. J'ai surtout accepté de venir pour la marche que pour la ville. Il fallait a tout prix que je quitte le château.
- Tu veux descendre ?
Je secoue négativement la tête. Toujours main dans la main, nous faisons demi-tour dans la direction d'Amilys.
※※※
Quand je rouvre les yeux, je vois la ville s'étendre devant moi. Elle est bien différente de la ville du souvenir de Sirielle. Je souris pour moi-même, cela fait tellement longtemps que je n'ai pas vue une vraie ville. Amilys a beau être belle, une ville du XXI ème siècle me manquait. Et le fait que les habitants de cette ville n'aient pas envie de me tuer me donne encore plus envie de l'apprécier.
Je me demande vraiment qui est cet Isildor... J'ai l'impression de plus connaître Sirielle grâce à ses souvenirs que pendant les quelques moins où je l'ai côtoyé...
Vraiment étrange...
Les toits des immeubles défient la hauteur des arbres de la jungle. La ville a l'air du calme. Un minuscule repère d'être humain au milieu de l'immensité de la jungle. Je plissé les yeux pour être sûre de ce que j'ai vue. Une dizaine de petits avions attendent sur le tarmac. Des avions ! Je vais pouvoir partir. Sauf que la désillusion se fait très vite, je ne sais pas piloter un avion.
Je secoue rapidement la tête, ce n'est pas le moment de penser à ce genre de détails. Je verrai ce que je ferai une fois arrivée là-bas. Une pente raide me sépare de mon salut.
Je n'ai qu'à descendre lentement et tout ira bien. Enfin normalement...
Au moment où je pose mon pied sur la pente, il glisse et je me rattrape in-extremis à une racine dépassant du sol. Quelques cailloux et morceaux de terre se détachent et glissent jusqu'en bas. Je m'assois très lentement sur le bord de la pente, les pieds vers ma destination, mes mains tremblent encore contre mes cuisses. J'essaie de calmer ma respiration. Je sens mon cœur battre à cent à l'heure. J'ai évité la chute de peu et, vu la raideur de la pente, j'ai échappé à une chute vertigineuse.
Je reste assise pendant plusieurs minutes à écouter le bruit du vent dans les feuilles derrière moi mélangé au piaillement des oiseaux forme une mélodie calme et apaisante.
Brusquement plusieurs d'entre eux s'envolent des arbres et s'éloignent loin d'ici. Instinctivement, je me retrouve et étouffe un cri de surprise. Une dizaines de soldats sont à l'orée de la jungle, arme à la main. D'après ce que je vois, depuis la rébellion, ils auraient échangés leurs arcs et épées pour des fusils et mitraillette. Ils pointent tous leurs armes vers mon visage et se tiennent prêts à tirer. Je suis paralysée par la peur, incapable de bouger ni de parler. Mais à quoi bon parler ? Grâce à Tao, je sais qu'Isildor veut ma mort. Un sourire victorieux apparaît sur la plupart des visages des soldats. Je suis morte.
Voilà c'est terminé. Je ne peux même pas me défendre, à quoi sert une épée contre douze hommes armés de fusils ?
Je ne peux même pas utiliser ma magie étant donné que je ne sais pas comment l'utiliser. En quelques mots, je suis complètement désarmée. Mon regard se porte vers la pente derrière mon dos. Et si ?
Avant qu'ils n'aient le temps de comprendre quoi que ce soit, je me lève et commence à descendre la pente en courant le plus vite possible. Plusieurs cris retentissent dans le silence de la jungle. Quelques secondes après, les hommes s'approchent de la descente et commence à me tirer dessus. Les balles passent autour de moi. Soudain, mon pied heurte une bosse, un rocher dépassant du sol, je tombe brusquement sur le sol et roule jusqu'en bas de la pente. Je rampe vers l'arbre le plus proche, j'ai le tournis et un énorme mal de crâne. Je sens un goût métallique dans ma bouche. J'ai dû m'écorcher la lèvre en tombant.
Je me lève le plus vite possible et cours vers la ville sans me faire remarquer. Mon regard se porte vers la pente. Plusieurs soldats sont en train de descendre pendant que les autres restent en haut pour surveiller. Je crois qu'ils m'ont perdu de vue. Mais je repense à mon souvenir et mon rythme cardiaque monte en flèche.
Je marche sans faire de bruit jusqu'à la ville. Chaque personne qui me regarde me dévisage avec étonnement. J'imagine qu'ils me regardent comme cela à cause de mon état. Je n'étais déjà pas très propre avant de tomber dans la pente, alors maintenant... Je m'approche d'une vitrine de magasin et soupire, ma tête fait peur à voir. À vrai dire ce n'est pas la préoccupation essentielle et personnellement je m'en fiche, mais comme ça, je ne passe pas vraiment inaperçu... D'épaisses cernes violettes s'étalent sous mes yeux gris. Mes cheveux bruns sont complètement emmêler, des morceaux de terre et des branches y sont accrochés. Mon visage est couvert de poussière et de terre. Le reste de mes vêtements également et plusieurs trou dans ma combinaison laissent voir ma peau. J'ai une entaille au niveau du coude et ma lèvre est fendue en deux. Je grimace face à mon reflet et soupire.
En effet, difficile de passer inaperçu...
Quand j'essaie de demander mon chemin aux gens dans la rue, ils m'ignorent ou ne comprennent pas ce que je leur demande. Même l'anglais ne m'aide pas. Maintenant que j'y pense, je parlais en quelle langue à Amilys ? Je n'en ai aucun souvenir... Peut-être en anglais, sûrement pas en français ou bien il est arrivé la même chose qu'avec le journal de Tao. J'ai parlé une langue inconnue sans m'en rendre compte... In-cro-ya-ble.
Puisque personne ne me parle, je cherche donc sur les panneaux de la ville le chemin vers l'aérodrome. Je ne peux pas m'empêcher de jeter des coups d'œil inquiet derrière mon dos. J'ai l'impression de les avoir semés mais cette éventualité me paraît trop simple.
Je finis par trouver un panneau m'indiquant la direction de l'aérodrome. Je marche tantôt dans de larges rue tantôt dans de minuscules ruelle.
Quand j'arrive enfin à l'aérodrome mon cœur explose dans la poitrine. J'ai réussi ! Je suis arrivée ici !
Je regarde les entrées et sorties des touristes et des habitants. Hors de question pour moi de passer par cette entrée. Je n'ai même pas de papier et vu mon état pitoyable et le fait que je porte une épée cachée sous ma veste, je risque de me faire recalé au premier contrôle de police... Je ne peux même pas demander de l'aide à ces gens car si je leur dis que je suis la nouvelle Gardienne Immortelle ils risquent de, soit me rire au nez, soit de m'envoyer dans un hôpital psychiatrique.
Je soupire pour la cinquantième fois aujourd'hui. Je n'ai pas le choix, il va falloir que je vole un avion.
Oui, rien que ça...
Si j'arrive déjà à rentrer dans l'enceinte de l'aérodrome sans me faire repérer, ce sera déjà un miracle.
Je marche le long du grillage qui entoure l'objet de mon désir et cherche un moyen de passer. Plus loin devant, il y a un trou dans le grillage.
C'est l'occasion rêvée. Je me mets à rampé en dessous du grillage en espérant qu'il ne soit pas électrifié. Heureusement pour moi ce n'est pas le cas et je passe cet obstacle sans trop de problème. Je marche ensuite vers le hangar comme si tout était normal. Il paraît que quand on fait quelque chose d'illégal, comme voler un avion par exemple, il vaut mieux faire comme si c'était tout à fait normal. Donné l'impression que tu as confiance en toi fait souvent douté les gens sur tes intentions.
Enfin je crois... Après tout je n'ai jamais fais ce genre de chose.
Soudain je remarque à la périphérie de ma vision un groupe de soldats de diriger vers moi. Je ne pense pas qu'ils m'ont vu mais je vais devoir jouer à : qui sera le plus rapide. Je n'ai clairement pas le temps de me cacher et je suis certaine qu'ils viennent surveiller les entrées et sorties du hangar donc je n'aurai aucune chance de passer s'ils arrivent avant moi...
Sans réfléchir une seconde de plus je cours en direction du hangar en dépassant les hommes de l'armée. Je vous la surprise dans leur regard. Mais elle ne dure pas longtemps, ils commencent à me suivent et les balles fusent. Je pense qu'ils n'ont pas apprécié le fait que j'ai réussi à les semés cinq fois en moins de deux semaines. J'imagine que leur réputation en a pris un coup, et leur égos aussi. J'arrive à l'entrée du hangar quand une douleur indescriptible part de mon bras gauche pour me faire exploser le cerveau. Sauf que je continue de courir je n'ai pas le choix. Mon regard tombé sur ma tenue de combat typique des hommes de l'armée immortelle. Elle est trouée et brûlée. Je peux voir la peau de mon épaule redevenir presque normale même si je sais que je garderai toujours une cicatrice de la brûlure. Je me retourne rapidement pour évaluer la situation.
Dix hommes me poursuivent et me tire dessus. À chaque foulée, la douleur de mon bras s'intensifie, ma respiration commence à être saccadée. Ce n'est pas bon signe. Je slalome au milieu des avions pour éviter les balles. Des plaques et des drapeaux son peint dessus, ces avions viennent du monde entier. Sur un minuscule avion je vois une date. Le 18/02/2018. Je cours de plus en plus lentement. Je suis fatiguée, le manque de sommeil commence à se faire sentir mais je ne dois pas m'arrêter de courir, s'ils m'attrapent... Soudain je glisse sur une flaque de kérosène et tout deviens noir.
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