Naïveté et falsification

Ce soir-là, Lucie n'a pas rejoint la cellule. Tam était tellement angoissé, lui qui ne laissait jamais paraitre le moindre sentiment avait peur à s'en mordre les doigts. Sophie essayait de le rassurer, lui disant que jamais elle ne les rejoindrait. Pourtant, Tam savait au plus profond que si, elle était capable de les rejoindre. Et ça le terrifiait. 

- Est-ce que tu as hésité ? a-t-il finalement demandé à Sophie. 

Elle baissa la tête. 

- Oui, avoua-t-elle. J'ai failli céder et me laisser avoir. Il m'a laissé voir l'un de ses souvenirs. Un souvenir déchirant. Mais j'ai réussi à percer la vérité derrière ce souvenir : il avait été falsifié. Tout était faux, censé attiser mes doutes, attirer ma pitié. Mais lorsque j'ai compris tout cela, j'ai aussitôt renoncé. Lucie n'a pas une aussi bonne maîtrise de sa télépathie que moi. J'ai peur qu'elle tombe dans le piège, avoua-t-elle. 

- Je ne suis pas télépathe, dit Tam. Mais ce faux Keefe m'a laissé le lire. Il avait une étonnante force de bonté en lui. Je ne sais pas si c'est bon signe. D'ailleurs, je sais que c'est dangereux : trop d'écart entraine des esprits détraqués. J'espère qu'il n'est pas comme ça. Et j'espère surtout que Lucie ne va pas tomber dans le panneau en croyant ses mensonges. 

Le temps passait et ils ne restaient que deux dans leur cellule. Tam finit par abandonner ses espoirs car une attente aussi longue pouvait signifier deux choses : soit elle avait accepté, soit ils ont mal accepté son refus. Sophie avait arraché je ne sais combien de ses cils et Tam faisait craquer ses articulations, prêt à tabasser le premier venu - surtout si c'est le faux Keefe. 

Finalement, après de longues heures d'attentes, il y eu du mouvement. Le faux-Keefe entra et projeta sur le sol une petite machine qui fit apparaitre une image de Lucie. Tam essaya d'échapper à ses chaines pour sauter sur le faux-Keefe, mais elles étaient trop fortes. L'imposteur avait un rictus mauvais aux lèvres. 

- Elle voulait vous transmettre un message, mais je ne pouvais pas la faire venir. Vous comprenez, sinon elle risquerait de comprendre tout le mensonge. 

- Espèce de...

- Tam, Sophie, le coupa la voix de l'hologramme. J'ai décidé de rejoindre les Invisibles, mais avec mes conditions. Je me sens assez puissante pour empêcher leurs plans de nuire aux elfes, si besoin et Lyan est avec moi là-dessus : il n'y aura plus de conseillers morts, plus d'explosions et plus de meurtres et de terreur. 

- C'est moi Lyan, éclaircit le faux-Keefe. Elle est tellement naïve cette fille, c'est extra ! Bien évidemment, elle ne sera que manipulée tout du long jusqu'à ce que nous n'ayons plus besoin d'elle. Alors je vous la rendrais... en plus ou moins bon état. 

- Je vais te... 

L'hologramme recoupa la voix à Tam. 

- Bizarrement, les intentions des Invisibles sont à réfléchir. Leurs manières de faire jusqu'alors laissaient à désirer, mais leur but est positif, surtout lorsqu'il est motivé par des souvenirs aussi douloureux que celui que j'ai vu dans l'esprit de Lyan. Ils veulent préserver le monde pour tous, sans sacrifier les humains comme nous aurions pu le penser. Ils élaborent un plan pour créer un espace de vie réservé aux humains, laissant les créatures intelligentes à la Terre.

- Mais oui, nous ne sommes que des petits anges qui cherchons le bien de la planète pour toutes les créatures intelligentes, dit Lyan en imitant la voix de Lucie et battant des cils en se rapprochant de Sophie. Elle lui mit un coup de pied en pleine tête, faisant sourire Tam. 

- Je suis désolée, mais je ne rentrerai pas avec vous... 

- Et vous ne rentrerez pas non plus, hein, dit Lyan en souriant. Qu'est-ce que j'aime mon pouvoir ! Je suis amplificateur, au passage : j'amplifie tout ce que je veux, et je manipule aussi très bien. Et la naïveté de cette fille est d'un délice... Je pourrais peut être aussi la faire basculer émotionnellement à moi, qui sait ? 

- Si tu la touches... menaça Tam en tirant sur ses chaines. 

- Je me ferai un plaisir de t'envoyer des photos, se moqua le faux Keefe. Bon, le message est délivré. Comme vous êtes beaucoup plus durs à manipuler, on va vous laisser ici et notre machine pourrait avoir besoin de vous. On l'a testée sur la conseillère en face, ça marche du tonnerre de dieu ! 

La conseillère en question était immobile depuis leur arrivée et respirait à peine. Ses cheveux dorés étaient brûlés par parties et donnaient un ensemble hirsute, et son teint de porcelaine avait viré au teint fantomatique. 

- Que lui avez-vous fait ? demanda Sophie en murmurant. 

- On a extrait de son corps ses pouvoirs, dit Lyan comme il aurait dit "on a mangé des pâtes". Et après on les redistribue. On pourrait donner à Lucie tes pouvoirs à toi, rajouta-t-il dans un rire en pointa Tam du doigt. Enfin bon, je n'ai pas votre temps, moi : j'ai un coeur à conquérir et une guerre à mener. 

Lorsqu'il fut parti, les chaines des prisonniers cédèrent enfin. Ils purent faire quelques pas, se dégourdir les jambes et chercher, en vain, un moyen de s'évader ou de prévenir les autres. Sans succès immédiat. 

- On n'a plus nos pouvoirs pour le moment, et après on ressemblera à un légume, résuma Sophie en réfléchissant. Il va falloir oublier nos talents et utiliser autre chose pour communiquer avec Keefe, Linh et les autres. 

Tam réfléchit. Pouvoir. Communiquer. Linh. 

- J'ai une théorie, dit Tam en avançant vers elle. Linh est hydrokinésiste : si on envoie un message par un fleuve ou autre, il se pourrait qu'elle le reçoive. 

- Oui, c'est possible, concéda Sophie. Et comment on fait pour écrire, sans papier et stylo ? 

Tam chercha dans la cellule. Il attrapa une feuille d'arbre. 

- Tu vois le poêle devant la cellule ? demanda-t-il. Il nous faut l'un des morceaux de charbon à l'intérieur. 

Comprenant enfin ce à quoi il pensait, Sophie passa sa jambe à travers les barreaux, mais elle n'arrivait pas à retourner le poêle pour obtenir un morceau de charbon. Oralie bougea et Sophie tenta le tout pour le tout : elle donna un grand coup de pied dans le poêle qui s'écroula. Son contenu s'éparpilla au sol, très proche de la conseillère. 

- Oralie, supplia Sophie en retirant sa jambe. Nous avons besoin d'un bout de charbon. Lancez-en un vers nous, je vous en prie. Ca nous permettrait peut être de nous échapper.  

La conseillère se releva un petit peu et regarda Sophie, les yeux vides. Elle articula difficilement le nom de la jeune fille au moment où un garde entrait, grommelant lorsqu'il vit le travail. Il repartit sans même adresser un mot aux prisonniers. Sophie et Tam encouragèrent Oralie, qui finit par réussir à lancer le charbon assez près pour que Tam l'attrape. Il traça quelques mots sur sa feuille morte et balança la feuille morte par la fenêtre, afin qu'elle tombe dans la rivière qu'ils entendaient ruisseler en dessous que leur cellule. 

- On n'a plus qu'à prier, marmonna Sophie en regardant par la fenêtre - qui ressemblait plus à une meurtrière - leur feuille tomber.  



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