Épistolaire

Lui poussa la porte de son studio. Le logement était minuscule : une petite cuisine encastrée dans un des angles, un salon qui servait à la fois de chambre et de salle à manger et une salle de bain séparée. Rien de très luxueux. Lui avait quitté son travail d'agent de sécurité pour se consacrer à sa passion. Mais celle-ci ne lui rapportait pas le moindre argent, à son grand désespoir.

Lui avait écrit, un an plus tôt, un roman dans lequel il avait déversé toute sa rage, toutes ses peines et ses ressentis. Des rancœurs et de la violence gardées en lui depuis de nombreuses années. A peine sorti de prison, il avait réussi étonnamment à trouver ce tout petit appartement en périphérie de la grande ville. Tout le monde lui avait tourné le dos et c'était, selon lui, la meilleure façon pour qu'il ne se réintègre pas. Bien sûr, il le déplorait, mais au moins il se disait qu'il n'avait pas à faire semblant, loin des considérations et du jugement des autres. Il était un voyou, un homme bourru et ça ne changerait pas de sitôt. Ecrire n'a pas changé cet aspect de lui, et c'était très bien comme ça.

Après avoir envoyé son manuscrit à plusieurs maisons d'édition, il était resté sans réponse. Un silence lourd et pesant qui le fit encore plus sombrer dans la noirceur. Lui crut d'abord pouvoir soulager sa colère en participant à un détournement d'œuvres, sans se faire attraper. Pourtant, rien ne semblait adoucir son irritabilité.

Un soir d'orage, recroquevillé devant la télévision, il eut une idée. Tant pis que le monde entier le rejette. Au diable les professionnels de l'édition qui n'ont pas su déceler son talent. Lui continuait d'écrire et, sous les coups de tonnerre, entama de rédiger un premier chapitre d'un second livre.

Elle, une belle jeune femme, unique, timide et renfermée. Une âme si solitaire, perdue dans cet univers qu'elle ne comprenait pas. Tout ce qu'elle savait venait de Lui. Il était devenu sa raison d'être, malgré ses défauts et son manque de clarté. Elle ne vivait que pour Lui et Lui survivait grâce à Elle. Chacun passait des heures à écrire à l'autre des lettres passionnées. Il ne pouvaient se voir, ni se toucher, mais leurs mots suffisaient. Elle vivait dans un pays lointain, et pourtant si familier de Lui. Il imaginait son quotidien, bien différent du sien.

Et pourtant. Il ne se passait que peu de temps après lui avoir écrit une lettre, pour qu'il reçoive sa réponse. Le texte apparaissant sous ses yeux, comme si elle écrivait au fur et à mesure de sa lecture. Elle lui confiait ses doutes, ses craintes. Lui aurait voulu la protéger, dans ce monde étranger. Mais il ne pouvait la rejoindre et ne voulait jamais montrer la moindre tendresse. Son cœur se déchirait à chaque page. Il aurait tellement aimé connaître quelqu'un comme elle dans son entourage. Une fille de porcelaine, fragile mais passionnante, qu'il pourrait serrer dans ses bras couverts de cicatrices.

D'autres vinrent rapidement. Il lui fit évoquer sa famille, ses amis. Des gens bien, dont il avait hâte de développer les relations. Elle ne se sentait plus orpheline et délaissée, désormais. Lui en était heureux, mais également jaloux et regrettait parfois de ne pas avoir su la garder pour lui seul.

Il ne sortait plus. Son temps était entièrement consacré à écrire. Parfois jusqu'à l'épuisement, au point de se faire des crampes dans la main. Il lui parla de son nouveau livre. Elle semblait d'abord très intéressée, mais son ton, sa façon de s'adresser à Lui changea petit à petit. Il comprit son erreur quand elle se referma à nouveau sur elle-même, retrouvant son mutisme originel. Aucun des autres ne semblait pouvoir s'adresser à Lui, nul ne lui écrivit. Il tenta de se rattraper, de corriger ses mots, mais rien ne fonctionna.

La magie de cette relation épistolaire était éteinte. Elle avait assimilé ce qu'il lui avait expliqué. Rompant le charme de leur belle histoire. Il savait qu'il aurait dû se méfier. C'était trop beau pour être vrai. Ce jour-là, dans un élan de colère incontrôlable, il saccagea son appartement. Il mit le feu à un grand baril, derrière son immeuble. Il tenait à la main toutes les lettres qu'ils s'étaient écrites, recueillies dans ce livre qu'il estima maudit.

Il s'apprêtait à le lancer dans les flammes, mais le lâcha. Quand il se pencha pour le ramasser, le livre s'était ouvert à une page encore vierge. De l'encre apparut, formant des mots, puis des phrases, comme par enchantement. C'était Elle.

"Je suis désolée. Ne fais pas ça.

J'accepte ma condition."

Le visage de l'homme frémissait dans un mélange de rage et de désemparement. Mais au fond de Lui, se trouvait un garçon en larmes, hurlant à l'infini sa détresse.

S'unissant alors, ces deux parties de son être décidèrent de se relever de toutes ces épreuves. Il jeta le récit de cette folle aventure, de cette extraordinaire correspondance, et le regarda bruler. Il fera alors front, mais ne succombera plus jamais au chant des sirènes, ni à l'appel d'une telle fille, aussi attachante et fictive soit-elle.



Epreuve 3 du concours Défis des Murmures Littéraires 2021

Écrire une chronique de moins de 2000 mots sur le modèle

"Fille timide x Bad boy", en détournant le cliché

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