Spiders

« Allez, là-dedans ! Debout, Épeire ! »

La voix tonitruante de mon instructrice me réveilla instantanément.

Je n'avais aucune envie de l'écouter et de me lever. Je gardais les yeux résolument fermés, pour faire croire que je dormais. Mais mes talents d'acteur était apparemment minables.

Mygale me secoua. Ses cheveux roses me frôlèrent le visage.

« Je sais que tu dors pas. Debout ! »

Elle me gifla. Mygale avait vraiment de sacrés manières ! Je frottai ma joue et ouvris les yeux. La gifle en plus de la brûlure en forme de toile d'araignée réduisait ma joue à un simple bout de peau endolorie.

« Mygale, tu ne pourrais pas me réveiller un peu plus doucement ?

- Et bien non, abruti. Bon, debout, habilles-toi vite, fais ta valise et rejoins moi devant la porte.

- Arrête de m'appeler abruti ! » hurlai-je.

Elle ne m'écouta pas et avait déjà passé le pas de la porte.
Faire ma valise ? Mais, nous n'avions pas terminé ici.

Je me mis difficilement sur mes pieds. Mon corps était encore courbaturé par l'entraînement d'hier. Je m'étirai, puis me dirigeai vers ma commode.

La tenue habituelle ferait l'affaire, décidai-je. Je l'enfilai rapidement, laçai mes chaussures et m'assis sur mon lit.

Une petite introspection ne me ferait pas de mal, ai-je pensé.

J'étais arrivé à la Capitale il y a six mois. Depuis quatre mois maintenant, j'avais intégré les Spiders. Quatre mois. Seulement quatre mois. Pourtant, j'avais l'impression d'y être depuis toujours. Les entraînements, le Club, Mygale... Tout ça, je le connaissais par cœur maintenant. Mes parents ne me manquaient plus. Pourtant, ils avaient laissé un trou en mourant, et en me laissant orphelin, que je pensai irréparable.

Mais, ici, j'avais trouvé une nouvelle famille. J'étais tout de même bien mieux ici qu'à l'orphelinat. Mais la nourriture était meilleure là-bas qu'ici.

Je me massai le crâne. Quelle heure était-il ? Ici, demander l'heure était interdit. Nous devions perdre toute notion du temps, pour que cela n'influence pas nos missions.

Je tâtai sous mon matelas. Heureusement le carnet était encore là, Mygale ne l'avait pas remarqué. C'était interdit, aussi, de tenir un cahier. Qui savait ce que l'on pouvait écrire dedans ?

Un carnet, c'était une piste sur la vie du gang à fournir aux autres. Si les Cats, ou pire, les Snakes, venaient à tomber dessus, c'était la fin des Spiders.

Ce soir, d'ailleurs, les Snakes viendraient présenter leur nouvelle recrue. Une fille, je crois. Elle était apparemment arrivée il y a quatre mois.

Je sortis le carnet de sous le matelas, puis me levai.

Prenant la valise dans l'armoire, je rangeai les affaires qu'il restait. J'avais pris assez de vêtements pour une semaine, mais nous ne resterions pas un jour de plus apparemment. J'enfonçai dans une poche mon carnet.
Je sortis et fermai la porte à clé derrière moi.

« C'est bien, Épeire. Tu a mis moins de temps que d'habitude. »

Je sursautai. Vraiment, Mygale ne pouvait donc pas me parler en face ? Je me tournai vers elle.

« Mygale, tu ne peux pas m'avertir de quelque chose sans me blesser ou me faire peur ? »

Elle sourit.

Mygale était la cheffe des Spiders. Avec ses cheveux roses et ses vêtements en cuir, elle avait un style de guerrière punk. Elle me servait d'instructrice, ce qui était un grand honneur pour un apprenti comme moi.

Elle portait, comme tous les autres Spiders, la marque en forme de toile sur la joue.

« Bon, c'est pas tout ça, mais faut qu'on se barre, maintenant. »

Son langage familier, indigne de la part de la cheffe d'un gang d'espions, me fit sourire. Elle m'entraîna par la main et me fit descendre les escaliers du motel où nous avions dormi la nuit dernière. Nous étions en pleine mission, mais elle venait de se terminer, m'apprit Mygale en descendant les escaliers. Notre cible avait été assassinée dans la nuit.

« Ça nous fera un Cat en moins. », conclut-elle en tapant dans ses mains une fois dans le hall.

Elle me tendit sa valise, puis me fit signe de m'asseoir le temps qu'elle règle à la réception. Nous étions certes des espions, mais restions des gens civilisés. Je posai nos valises à mes pieds et m'asseyais sur un banc.

Je regardai autour de moi.

Le motel était l'un des plus banals que l'on puisse trouver. Un garçon de trente ans tirait un chariot plein de valises. Il le mit dans l'ascenseur. Les portes se refermèrent, et je ne le revis plus.

Je tournai la tête.

Une jeune femme blonde d'une vingtaine d'années, comme moi, habillée avec une minijupe jaune pâle, venait de s'asseoir à côté de moi. Elle mit une longue mèche de cheveux derrière son oreille, et je pus apercevoir un tatouage en forme de patte sur sa nuque.

Une Cat.

« Enchantée, me dit-elle en remarquant que je la regardais et en me tendant la main. Je m'appelle Siamois.

- De même, lui dis-je. Je m'appelle Épeire. »

Siamois me faisait un drôle d'effet. Je ne saurais le décrire. C'était comme si mon cœur avait été soulevé au-dessus du sol pour flotter au-dessus d'elle.

C'était une Cat, elle était donc une ennemie.

Pourtant, je lui serrais la main en ce moment même.

Quelque chose m'avait toujours fasciné dans les gangs de la Capitale. Malgré une animosité évidente, nous restions poli et courtois avec les autres espions.

D'ailleurs, ce soir, à la soirée qui serait organisée chez les Snakes pour leur présentation, tous les gangs seraient invités, un chef, un membre masculin, et un membre féminin.

Comme à n'importe quelle présentation des Snakes, en fait. Mais il n'y avait qu'eux pour faire cela.

Ils étaient le gang le plus important de la Capitale, mais aussi le plus riche.

« Que faites-vous ici ? »

Sa voix douce et mélodieuse résonnait dans mon oreille.

Non, je ne devais pas me laisser avoir par elle.

Les Cats avaient un pouvoir bien spécial : celui de séduire les gens de par leurs apparences.

Et Siamois ne dérogeait pas à la règle.
Ses grands yeux bleus brillaient et son visage aux traits fins était encadré par de beaux cheveux blonds. Sa bouche peinte en rouge était remplie de belles dents blanches. Et, si je me risquais à regarder un peu plus bas, je lui devinais un corps fin, parfait et gracieux.

« Vous ne m'avez pas entendu ? »

Je secouai la tête.

« Oh, euh... et bien... je... bégayai-je.

- Bon, au lieu de tenter de bécoter une Cat, on va y aller, nous. »

Mygale me saisit par le col et me fit mettre debout. Sa force m'étonnerait toujours.

Elle m'entraîna loin de Siamois, à qui je fis un dernier signe. Je suppliai Mygale de me relâcher, mais elle refusa de m'écouter. Je me sentais vraiment imbécile.

Quand elle me reposa par terre, ce fut dehors.

« Épeire, combien de fois t'ai-je dit de ne surtout pas traîner avec une Cat ? Tu t'imagines, père d'un bâtard mi Cat, mi Spider ? s'énerva-t-elle.

- Je lui disais simplement bonjour... ça ne serait jamais allé plus loin, dis-je en haussant les épaules.

- Mais bien sûr. Tu crois que je n'ai pas vu la façon avec laquelle tu la regardais ? »

Mygale soupira.

« Tu es amoureux, c'est ça ? »

Mon orgueil était blessé. Alors, cela se voyait-il tant ?

Je me regardai dans le reflet de la vitre. Mes joues étaient devenues presque aussi rouges que mes cheveux. Oui, cela se voyait...

Mygale éclata de rire en voyant la tête que je faisais.

Notre voiture arriva. Nous montâmes. Elle s'assit à l'avant, et moi à l'arrière.

« Ça va, Goliath ? », demanda-t-elle à notre chauffeur.

Lorsque j'étais arrivé, Goliath m'avait impressionné. Il mesurait deux bons mètres, et devait bien faire un mètre d'envergure. Mais ce géant était extrêmement gentil. Il m'appréciait d'ailleurs beaucoup.

« Parfaitement, répondit-il de sa grosse voix. Et vous ? Comment s'est passée ta première mission, mon bonhomme ?

- Bien, bien, dis-je.

- Ce petit imbécile est allé traîner avec une Cat. Ils ont bien failli s'embrasser...

- C'est totalement faux ! », criai-je.

Goliath rit.

« On s'est tous fait avoir par un ou une Cat une fois durant ces dix dernières années. Ce n'est pas bien grave. »

Je tournai la tête, vexé.

Le paysage défilait derrière la fenêtre. Nous devions parcourir au moins vingt-cinq kilomètres avant d'arriver au club.

Je me renfonçai dans mon siège. Vivement qu'on arrive.

Au bout d'une trentaine de minutes de route, j'entendis Goliath jurer.

« C'est pas possible ces satanés bouchons sur la route. Il y en a vraiment qui devraient se apprendre à conduire ! »

Un choc incroyable ébranla soudain la voiture. Je me retrouvai à deux doigts d'être projeté, mais j'avais attaché ma ceinture correctement.

Mygale sortit de la voiture en claquant la portière.

Le conducteur de la voiture, qui n'était autre que Selkirk, le chef des Cats, aussi.

Il était petit et frêle, mais sa présence était aussi remarquable que celle de Mygale. Il ressemblait en tous points aux autres membres du gang. Sa peau à la couleur de porcelaine brillait sous le soleil, ainsi que ses yeux bruns.

J'avais entendu dire que lui et Mygale avait entretenu une relation, il y a quelques années.

Mais leurs tous nouveaux rôles de chefs de gangs les avaient séparés. D'où leur animosité évidente l'un envers l'autre.

Ils se parlèrent, mais je ne pus saisir que des bribes de leur conversation. Ce fut Mygale qui commença.

« Vous ne pourriez... apprenti la... Auriez pu... tuer ! »

La conversation me semblant intéressante, j'essayai d'ouvrir ma fenêtre. Mais elle était résolument fermée.

« Moi... une nouvelle... Les Cats... pu perdre... Êtes des irresponsables ! Les... doivent être... »

- Alors faisons sortir les apprentis ! »

Cette phrase, je l'entendis plus clairement que les autres, car Mygale la cria, assez fort pour que je puisse l'entendre.

Mes yeux s'écarquillèrent en voyant la personne qui venait de sortir de la voiture.

Siamois.

Mon cœur battit la chamade. Siamois !

« Laisse-moi deviner, demanda Goliath en croisant les bras sur sa poitrine. C'est la fameuse Cat ? »

Il me semblait qu'à cet instant précis, mes joues s'empourprèrent encore plus que tout à l'heure.

Je sortis de la voiture. Siamois me sourit. Je lui répondis par un sourire niais, que Mygale réprimanda sévèrement en me lançant un regard noir, qui signifiait assez clairement : il y aura des conséquences.

« Et bien, faisons les présentations, commença Selkirk. Décline ton identité devant mademoiselle Hurst, Siamois. »

Les chefs de gang avaient l'avantage de se parler en utilisant leurs véritables identités.

Privilège que nous n'avions que lors des présentations.

« Fait de même devant monsieur Rid, Épeire. »

Je posai un genou à terre, en signe de soumission. Je levai le menton vers Selkirk.

« Ransom Holan, monsieur Rid. C'est un honneur. »

Selkirk me frappa l'épaule, avant de se tourner vers Siamois.

« Qu'est-ce que tu attends pour te présenter ? »

Elle esquissa une révérence exagérée en écartant sa jupe, dévoilant un peu plus ses jambes. Ce qui, je l'avoue, n'était pas pour me déplaire. Selkirk serra les dents en voyant le comportement à la limite de l'indécence de son apprentie.

« Audrey Fog, madame Hurst. Tout l'honneur est pour moi. »

Mygale acquiesça. Siamois l'agaçait, et cela se lisait sur son visage.

« Bien, maintenant que ce petit différend est réglé, je pense que nous pouvons passer notre chemin. À ce soir, Mygale. N'oubliez pas: la soirée des Snakes. »

Elle hocha la tête. Selkirk repartit vers sa voiture, Siamois sur ses talons. Le véhicule démarra et ils s'en allèrent dans un nuage de fumée.

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